
Le paradoxe du tourisme marocain
S’exprimant à l’ouverture d'une conférence internationale de haut niveau dédiée au tourisme durable organisée à Ifrane, Nizar Baraka a rappelé que le tourisme, s’il génère emplois, recettes et retombées locales, pèse aussi lourdement sur des ressources hydriques déjà sous tension. Hôtels, golfs, spas et jardins urbains augmentent la demande alors que la raréfaction impose de nouvelles contraintes climatiques et sociales. Le ministre insiste : préserver la ressource est à la fois un « défi majeur » et « un devoir national » qui oblige tous les acteurs, dont les professionnels du tourisme, à repenser leur modèle.
La définition — utile et simple — de l’Organisation mondiale du tourisme n’est pas abstraite, rappelle Nizar Baraka : la durabilité réclame que l’on prenne en compte, dès aujourd’hui, les impacts économiques, sociaux et environnementaux présents et futurs. Traduction pratique : la croissance touristique ne doit plus se faire au détriment des populations locales ni des écosystèmes qui, demain, feront la valeur même de l’offre.
Gouvernance, incitations et responsabilités partagées
Pour le ministre de l’Équipement et de l’Eau, la durabilité n’est pas uniquement technique : elle est politique et organisationnelle. Le succès passera par une coordination étroite entre l’État, les collectivités locales, les opérateurs privés et les communautés. Cela implique de fixer des règles claires (normes de consommation, obligations de réutilisation des eaux traitées, labels), des mécanismes d’incitation (avantages fiscaux pour les rénovations économes, subventions ciblées pour l’efficience énergétique) et des dispositifs de contrôle transparents.
Selon Nizar Baraka, le rôle des partenariats public-privé est central : moderniser les réseaux, financer la dessalinisation couplée aux énergies renouvelables, ou structurer des filières locales de matériaux éco-labellisés ne peut se faire sans mobilisation financière et technique conjointe. Mais ces projets doivent être jugés à l’aune de leur équité : qui bénéficie vraiment des retombées ? Quels emplois locaux sont créés ? Comment sont préservés les biens communs — forêts, nappes phréatiques, biodiversité ?
Des solutions techniques… à condition d’être intégrées
Dans son intervention, Nizar Baraka a cité des leviers concrets : dessalement, réutilisation des eaux usées traitées, techniques d’économie d’eau et récupération des eaux de pluie, ainsi que l’irrigation goutte-à-goutte pour les espaces verts. Tous sont pertinents, mais aucun n’est miraculeux isolément. Par exemple, la dessalinisation est énergivore : son intérêt réel se mesure si elle est alimentée par des énergies renouvelables et intégrée dans une stratégie régionale qui valorise aussi la réutilisation des eaux et la conservation des sols.
Pour le ministre de l’Équipement et de l’Eau, les stratégies d’efficacité — audits d’eau, systèmes de monitoring en temps réel, formations du personnel — doivent devenir la norme. Les labels et chartes « tourisme responsable » ne doivent pas rester du marketing : ils ont besoin d’un cadre de certification rigoureux, d’un suivi indépendant et d’incitations palpables pour les établissements qui franchissent le pas.
Ifrane : laboratoire ou vitrine ?
Nizar Baraka a mis en avant le programme intégré de développement du Parc national d’Ifrane, présenté comme un modèle : budget global d’environ 734 millions de dirhams, dont 641 millions pris en charge par l’État. L’ambition — relancer l’investissement touristique tout en renforçant l’attractivité écologique — est louable. Mais, insiste le ministre, la transformation durable ne se réduit pas aux chiffres : elle exige une gouvernance inclusive, une transparence sur les marchés publics, des garanties pour les communautés locales et des mécanismes de suivi environnemental stricts pour protéger, par exemple, les forêts de cèdres et les espèces menacées.
Si Ifrane réussit à concilier préservation et développement, à exporter des pratiques d’économie d’eau et d’éco-gestion applicables ailleurs, alors elle deviendra un véritable laboratoire de politiques publiques réplicables. Sinon, elle risque de rester une belle vitrine sans effet structurant.
Trois priorités opérationnelles
Pour que la tribune ne reste pas une alerte, Nizar Baraka propose implicitement des orientations qui peuvent être traduites en trois priorités concrètes et immédiates :
- Audits obligatoires et plans d’économie d’eau pour tous les établissements touristiques au-delà d’une certaine capacité, assortis d’un calendrier de mise en conformité.
- Cadre incitatif et normatif : coupler labels exigeants et aides financières (prêts verts, avantages fiscaux) pour les rénovations visant l’efficacité hydrique et énergétique.
- Gouvernance territoriale intégrée : créer des contrats de destination liant collectivités, opérateurs et communautés, avec indicateurs publics de performance (consommation d’eau, emplois locaux, préservation des habitats).
Conclusion — vers un tourisme qui protège sa propre ressource
La vraie richesse du tourisme marocain n’est ni les lits ni les chiffres de fréquentation, mais la qualité des paysages, des forêts, des villages et des savoir-faire locaux. Sauver cette ressource, c’est préserver l’atout irrémédiable de la filière. Le rappel royal, comme le discours de Nizar Baraka, n’est donc pas un simple signal moral : c’est le point de départ d’une responsabilisation collective. Aux professionnels du secteur d’en faire une opportunité : celle d’inventer un tourisme qui soit à la fois attractif, rentable et — surtout — soutenable pour les générations à venir.