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Culture

Mohamed Tamri, sur la Terre comme au ciel…


Rédigé par Anis HAJJAM le Dimanche 4 Juin 2023

Parti discrètement comme il a vécu, le journaliste émérite avait 74 ans. Mort paisible pour un professionnel minutieux, amoureux de la formule qui fait mouche. Son ami et confrère Abdelghani Dades se rappelle de l’homme et de l’érudit depuis le Québec où il vit voilà plusieurs années. Un texte prenant, sans appel.



« Terre des Hommes. » De retour d’un séjour en Mauritanie, c’est ce titre qu’il avait choisi de donner à son reportage. Un texte tout en force, des mots d’une précision chirurgicale et une idée en filigrane : rendre plus nette l’image floue que nous avions alors tous du pays des Chinguetti. Je m’en étais délecté.

Au point même d’éprouver une petite faiblesse et un semblant de début d’affection pour ce pays qui dans nos têtes n’était que sable et vents, que chameliers un peu brigands et légionnaires au blanc képi. Mohamed Tamri, personnage par ailleurs peu disert, avait ce talent rare et presque talismanique de charmer et séduire n’importe qui par son écriture. N’importe qui ? Non. Car ce jour, l’un de nos collègues l’apostropha : « Je ne comprends ton titre, ton papier méritait mieux ».

J’étais outré de tant d’inculture. « Saint Exupéry ! », m’écriai-je alors qu’on ne me demandait rien.  Ignorant son inquisiteur, Mohamed posa sur ma petite personne de localier débutant un regard curieux et étonné mais amène. Notre amitié, qui ne s’était pas déclarée au sein de la première salle de rédaction qui nous avait réunis, était désormais scellée et elle dure encore aujourd’hui, malgré les années, les distances, la vie et la mort.

Je reconnaissais en lui – à l’instar d’un Ali Bouhaddar qui faisait scintiller ses chroniques sportives en citant Camus ou Montherlant – un de ces journalistes qui se plaisaient à introduire les Lettres dans l’écriture journalistique aride qui faisait florès à l’époque, à coups de « sujet-verbe-complément » et chez certains dont il n’était pas, de « sujet-verbe-compliments ».
 
Sans compromis ni concession
 
Il était journaliste, d’accord, mais avec l’âme d’un poète comme le prouve d’ailleurs le prénom de l’un de ses fils. Il faisait dans le journalisme politique, mais avec mesure, jamais dans l’outrance, ce qu’il lui permettait de faire passer quelques messages qu’autrement, en haut lieu, on aurait jugé séditieux.

Lorsque nous nous sommes retrouvés collègues pour une troisième fois, dans une troisième salle de rédaction, à une époque de notre histoire un peu beaucoup Maccarthiste où nul n’appréciait ni idéologie ni idées, alors que les journalistes essayaient de reconnaitre les couleurs des lignes pour ne pas aller au-delà du rouge, alors aussi que la censure était là sans y être, que l’Autorité tentait d’apprivoiser la liberté sans trop la concéder, quand une photo dont on n’avait pas reconnu le sujet vous faisait engeôler, quand un ministre de l’Intérieur n’hésitait pas à vous téléphoner pour vous souffler au creux de l’oreille un menaçant «tu es un peu rude, toi!», quand commençaient à se dessiner les sentes d’un début de liberté d’écrire, Mohamed savait tirer son épingle du jeu, sans compromis ni concession.

Permettez-moi de dire aussi que les pressions ne venaient pas que du Makhzen. Les ambassades aussi s’en mêlaient. Et même des confrères, comme cet honorable correspondant de feue l’agence TASS, portant le même nom qu’un célèbre champion de jeu d’échec et que ses confrères de la presse étrangère accréditée à Rabat surnommaient « le colonel », nous rendait régulièrement visite pour nous dire ce que Moscou pensait de nous et que nous risquions gros à manquer de délicatesse à l’endroit de la grande URSS et de son renom. Et là encore, Mohamed Tamri savait y faire.

Et il saura encore comment et quoi faire lorsqu’il ira explorer d’autres domaines journalistiques en créant des publications spécialisées en économie et finances, en agriculture, en tourisme. Ces dernières années, il s’est mis à une écriture moins périssable que le journalisme factuel. On m’a ainsi dit le plus grand bien des travaux biographiques qu’il a réalisés mais que je n’ai pas encore eu la chance de lire.

Et tout cela s’est fait, cinquante années durant, sans bruit. Dans une discrétion qui l’honore et ne le rend que plus grand. Et encore n’ai-je dit que le peu que je sais. Je vous laisse deviner ce dont aurait pu témoigner des gens qui l’ont côtoyé plus longtemps que moi, des Boubker Monkachi, des Abdallah Stouky, des Mustapha Iznasni et j’en passe… Et de ce dont pourrait encore parler à son propos un Mohamed Jibril ou un Hassan Benaddi. Salut à toi Mohamed Tamri, aujourd’hui au Ciel des Hommes, auprès de Touria qui, à nouveau, éclaire ton chemin.
 
                                                                                        Abdelghani Dades