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International

Mme Fatima Haram Acyl, vice-Présidente la Commission de la CEMAC : « La stratégie de promotion de partenariat interafricain choisie par le Royaume est appréciable »


Rédigé par Mamady SIDIBE Vendredi 18 Juin 2021

Coronavirus a explosé la dette des pays africains. Il faudra une nouvelle approche pour relancer l’économie du continent et faire face au chômage massif de sa jeunesse tout en développant le commerce intra-africain à travers la ZLECAF. Entretien avec Mme Fatima Haram Acyl, vice-Présidente la Commission de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC).



Le Coronavirus a touché les pays africains, menant à l’aggravation de la dette et du déficit. Pensez-vous que les DTS pourraient favoriser la relance de l’économie du continent comme il en a été question au Sommet de Paris si jamais les pays riches y concèdent ?

Je souhaite avant tout vous exprimer ma gratitude pour l’occasion que vous me donnez de m’exprimer dans les colonnes de votre journal. Vous avez indiqué en préambule de votre question, fort opportunément du reste, que la pandémie de la covid-19 a aggravé la dette et le déficit des pays africains. Oui, la dette et le déficit des pays africains a effectivement explosé depuis la pandémie. Deux sources crédibles nous édifient sur l’impact du coronavirus et singulièrement sa profondeur sur les économies africaines.

D’abord, en avril 2020, une étude de l'Union africaine (UA) concluait que la Covid-9 pourrait entrainer en Afrique un déficit estimé à 500 milliards de dollars et contraindrait les pays aux emprunts massifs en vue d’alimenter les finances publiques. Ensuite, une autre Organisation internationale, la Commission Economique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA), estimait que l'Afrique a besoin d'au moins 100 milliards de dollars pour financer immédiatement une réponse en matière de santé et de sécurité sociale, et de 100 milliards de dollars supplémentaires pour la relance économique, y compris un moratoire sur la dette, le financement d'un instrument spécial pour les obligations de la dette commerciale et la fourniture de liquidités supplémentaires au secteur privé.

En fait, de nombreux pays africains pauvres et lourdement endettés pour la plupart- certains avec un ratio dette extérieure/PIB supérieur à 100 % - doivent maintenant, dans un contexte de pandémie, décider comment structurer leurs économies et résorber les difficultés financières.

Les pistes sont nombreuses, au rang desquelles la priorité aux mesures politiques à moyen terme telles que la transformation structurelle et la diversification des économies individuelles, les réformes des finances publiques en vue de la mobilisation adéquate des recettes et une intégration commerciale accrue afin de faire face à l’aggravation de la situation de la dette consécutive à la pandémie de la Covid-19. D’où la pertinence de votre question, à savoir : les Droits de Tirage Spéciaux (DTS) pourraient-ils favoriser la relance de l’économie du continent ?

Pour y répondre, je crois utile, en premier lieu, de porter à l’attention de nos lecteurs qui ne sont pas familiers de la notion, ce que sont les DTS.  Le DTS est unité de compte, un avoir de réserve international créé en 1969 par le Fonds Monétaire International (FMI) pour compléter les réserves de change officielles de ses pays membres.
 
Il s’appuie sur cinq grandes monnaies internationales : le dollar américain, l’euro, le yen, la livre britannique et le yuan chinois. C’est une possibilité offerte aux pays de « tirer » jusqu’à un certain plafond des liquidités, c’est-à-dire une possibilité d’accéder aux moyens de paiements pour financer les opérations économiques entre un pays et le reste du monde.
 
Le DTS n'est en conséquence pas une monnaie quoiqu’assurant certaines fonctions de la monnaie comme, par exemple, la fonction d'unité de compte. Il est plutôt un outil du FMI qui donne à chaque pays la possibilité d’une mise à disposition d’une certaine quantité de droit de tirage convertible en devises, notamment en cas de déficit de la balance de paiement. C’est, en d’autres termes, un mécanisme d'endettement auprès du FMI.
 
En second lieu, sauf méprise de ma part, le volume d'émission globale de DTS par le FMI approuvé par la communauté internationale est estimé à 650 milliards de dollars. Ces DTS doivent être répartis en fonction des quoteparts de chaque pays membre du FMI dans la mesure où tous les pays membres ne possèdent pas le même pouvoir de décision ni les mêmes droits : l’essentiel des DTS va donc aux pays les plus riches.

A priori, l'Afrique ne bénéficierait que de 34 milliards de dollars. Cette allocation dédiée à l’ensemble des pays africains est estimée trop faible par rapport à leurs besoins qui se chiffrent à plusieurs centaines de milliards de dollars. Le sommet tenu à Paris avait donc principalement pour objectif d’appeler les pays riches à attribuer aux pays africains une partie de leurs DTS, pour atteindre un total de 100 milliards de dollars. Au final, me semble-t-il, les participants au sommet n'ont pas annoncé d'engagements financiers fermes, mais ont promis d'engager des discussions autour des DTS du FMI.

Ces précisions posées, je souhaiterais insister, à la suite de Madame AHUNNA EZIAKONWA, Administratrice assistante du PNUD et Directrice du Bureau Régional pour l’Afrique, que l’utilisation des DTS pour augmenter les réserves des pays africains n’est pas seulement une question financière ou macroéconomique : il s’agit surtout et fondamentalement de donner au continent un concours réel au développement économique rapide, équitable et durable.

En fait, je pense aussi que l’Afrique pourrait regarder au-delà des liquidités pour imaginer comment résoudre les problèmes cruciaux, omniprésents et persistants de financement du développement qui affligent ses pays depuis leurs indépendances. Certes, l’augmentation des réserves offrira temporairement aux pays africains un appoint dont ils ont grand besoin.  Les liquidités attendues permettront également aux Gouvernements africains de consacrer davantage d’attention aux investissements sociaux essentiels dans la santé, l’éducation et les moyens de subsistance résilients.

Les pays pourront également se concentrer sur la création d’emplois et le développement des chaînes de valeur, ce qui pourrait donner aux millions d’Africains la possibilité de sortir de la pauvreté,
notamment grâce aux entreprises individuelles et à l’adoption de technologies transformatrices.
L’expansion des DTS qui est actuellement proposée pourrait avoir sur l’Afrique un effet similaire à celui de l’initiative d’allégement de la dette des pays pauvres très endettés (PPTE) qui s’est produite à la fin des années 1990. Toutefois, pour favoriser la transformation économique des pays africains par le biais d’investissements stratégiques, une attention particulière devra être accordée à la question épineuse, mais essentielle, de la gouvernance, tant régionale que mondiale. 

À l’échelle mondiale, des mesures doivent être prises pour s’assurer que ces gains exceptionnels ne soient pas consacrés au service de la dette extérieure. L’Initiative de suspension du service de la dette (DSSI) et d’autres initiatives d’allègement de la dette liées à la pandémie doivent être élargies et étendues.

Au demeurant, la proposition de DTS constitue une reconnaissance de l’ampleur et l’urgence des défis de développement auxquels les pays africains sont confrontés. En allant au-delà du G-7 pour inclure d’autres partenaires de développement comme la Chine, l’Arabie saoudite et la Corée du Sud, les pays africains disposeront de ressources nettement plus importantes pour s’attaquer aux effets pernicieux de la COVID-19, mieux construire l’avenir et poser les bases d’une Afrique plus résiliente.

Le Maroc est très engagé dans la promotion et le développement du partenariat économique interafricain. Quelle est votre analyse à ce sujet ?

La consolidation du partenariat économique interafricain ou, plus généralement, le développement du commerce entre les pays d’Afrique constitue le premier pas vers l’intégration économique du continent. Le commerce intra-africain est, en effet, porteur d’une croissance et d’un développement soutenus en Afrique.  C’est pourquoi, je salue la stratégie de promotion du partenariat interafricain prônée par les hautes autorités du Royaume.  C’est une option bénéfique à la foi pour le Royaume, pour ses partenaires africains et pour l’Afrique dans son ensemble.

Je pense que le Maroc a toujours été très actif sur le continent, à travers ses entreprises, ses banques, ses investissements directs. Le Royaume est notamment le premier investisseur africain en Afrique de l’ouest et le deuxième sur le reste du continent. Son industrialisation relativement évoluée par rapport à la quasi-majorité des autres pays du continent est un atout important pour conférer au Royaume une part substantielle dans le commerce intra-africain.

D’ailleurs, selon la revue du Ministère de l'Économie, des Finances et de la Réforme de l'Administration « Al Maliya » et les données de l’Office des changes, les échanges commerciaux entre le Maroc et le reste de l'Afrique ont affiché une croissance annuelle moyenne de 6,1% sur la période 2009-2019. La part de ces échanges par rapport au volume global des échanges commerciaux du Royaume s’est située à 5,1% en 2019. Je ne dispose pas des statistiques plus récentes mais je pense que le changement structurel des échanges observé dès 2015, année à partir de laquelle le solde commercial du Maroc devient excédentaire, constitue une preuve de la justesse de la stratégie de promotion de partenariat interafricain choisie par le Royaume.

Quel peut-être l’apport ou le rôle du Maroc dans l’espace ZLECAF ?

La Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAf) est une étape décisive vers la concrétisation de l’intégration africaine à laquelle aspirent depuis longtemps les Gouvernements et ressortissants du continent.  Plus qu’une aspiration, le Président de la Commission de l’Union Africaine (UA), S.E.M. Moussa FAKI, affirmait que « La ZLECAf est un rêve, un vieux rêve qui se réalise.

Envisagée dès le Sommet inaugural de l’OUA en mai 1963, la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine est l’un des projets les plus emblématiques de l’Agenda africain. Les Pères Fondateurs doivent en être certainement fiers, SM le Roi Mohammed, Ahmed Sékou Touré Kwame NKrumah, Jamel Abdel Nasser, Haïle Selassié, Hamani Diori et les autres doivent se dire enfin !». 

C’est aussi la plus grande zone de libre-échange au monde depuis la création de l’OMC.  L’Accord a été signé par 54 pays Africains et 36 Etats signataires ont ratifié l’Accord qui est entré en vigueur depuis le 7 Juillet 2019 à Niamey (Niger) lors de la Session Extraordinaire de la Conférence de l’Union Africaine (UA), consacrée au lancement solennel de la phase opérationnelle de Zone de Libre-échange Continentale Africaine.  

Le Maroc a participé à ce Sommet extraordinaire de l'UA, a aussi signé l'Accord. Ces formalités constituent une manifestation de la volonté politique du Royaume à concrétiser la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine, c’est-à-dire à mettre en œuvre l’espace commun africain. Bien que la signature constitue une étape importante, le processus de la mise en œuvre effective impose des diligences supplémentaires ainsi que des exigences d’ordre technique et opérationnel.  Il s’agit, entre autres, de :
-La ratification de l’Accord par le Maroc. Celle-ci permettra de lier juridiquement les parties et inscrire le texte dans la législation marocaine.  Ceci est important au regard de la vision africaine de Sa Majesté le Roi du Maroc. Permettez-moi de redire que le Maroc est aujourd’hui le second plus grand investisseur africain sur l’ensemble du continent. La ZLECAf est donc une opportunité de déploiement de la vison du Roi pour l’Afrique ;

-La participation aux discussions sur les règles d’origines qui constituent un véritable facteur d’intégration économique africaine. La réflexion devrait mettre l’accent sur la nécessité d’instaurer des règles susceptibles de développer les chaines de valeurs, sur la base des complémentarités au sein du continent (Made on África) et qui favorisent le recours au recrutement de la main d’œuvre africaine et donc réduire le chômage. Il s’agit aussi de la détermination des 90% des biens qui seront libéralisés au cours de 5-10 ans, des 7 % qui seront classés comme sensibles et libéralisés sur 10-13 ans et, enfin, des 3 % qui seront totalement exempts de libre échange ; la préparation des infrastructures douanières telles que mises en place par l’Afrique du Sud, le Ghana et l’Egypte ainsi que la consolidation des petites et moyennes entreprises. 

De plus, comme le disait le Président de la Commission Afrique CGEM, Abdou DIOP, les négociations sont complexes, notamment en raison de l’existence, fort opportune du reste, de plusieurs communautés économiques régionales (CERs) africaines. Ces CERs, surtout celles dotées des unions douanières, participent aux négociations aux côtés de leurs États membres pour s’assurer de la prise en compte des acquis des unions dans l’Accord.

Enfin, le processus porte aussi sur la mise en place d’une structure institutionnelle de règlement de différends en cours de finalisation,  la mise en œuvre d’un système panafricain de payements et de règlements qui devrait résoudre les difficultés liées à la convertibilité des 42 monnaies africaines, et  l’établissement d’un fonds d’ajustement qui permettra aux États d’accéder aux ressources financières et techniques susceptibles d’atténuer les pertes ou perturbations éventuelles induites par la mise en œuvre de l’Accord. 

Justement, quelle appréciation faites-vous du commerce interafricain ?

Le commerce interafricain est au centre des préoccupations des dirigeants du continent. Les échanges intra-africains oscillent entre 15% et 18 % depuis des décennies. Un chiffre dérisoire, comparé au commerce intra-européen (67 % en moyenne), entre pays asiatiques (61% en moyenne) ou entre les pays d’Amérique du nord (50 % en moyenne). Une faiblesse qui est due essentiellement aux barrières tarifaires et non tarifaires entre les pays du continent ainsi qu’à la faiblesse des infrastructures permettant une fluidité des échanges. Les pays africains restent dépendants de leurs échanges principalement avec l’Europe et l’Asie.

Remédier à la faiblesse des échanges intra-africains est un immense défi. Les Gouvernements africains sont bien conscients de cette réalité et déterminés à entreprendre des actions correctrices. La conception et la mise en œuvre en cours de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine évoquée plus haut participe de ces actions.

D’autres pistes, plus ciblées, sont observées au cours de ces dix dernières années, au rang desquelles la promotion ou l’amélioration du niveau d’intégration régionale qui ressort comme une véritable priorité des dirigeants africains. Elle est d'ailleurs la pierre angulaire de la stratégie actuelle de développement de l'Afrique. C’est pour cette raison que le libre-échange figure parmi les grands axes de l'Agenda 2063 de l'Union Africaine.

Plusieurs études ont en effet montré que le commerce interrégional est susceptible de générer des gains de productivité considérables pour le continent, que la création de marchés régionaux en Afrique présente de nombreux avantages, que l'intégration rendrait l'industrie plus performante dans la mesure où les grands marchés permettent d'exploiter les économies d'échelle, que les mouvements transfrontaliers et l'harmonisation des politiques pourraient stimuler la croissance économique et attirer davantage d'investisseurs.

Pour encourager le commerce intra-africain, les pays devront aussi attirer les entreprises privées - nationales et étrangères - notamment à travers la promotion de politiques macroéconomiques claires, cohérentes et prévisibles, dans un cadre juridique crédible garantissant l’équité. Je pense, en conséquence, à la nécessité impérative d’accélérer toutes les mesures visant à stimuler le commerce intra-africain, qu’il s’agisse de celles levant les barrières douanières dans le cadre des accords commerciaux régionaux, de celles diversifiant la production, de celles portant sur la promotion d’un secteur privé dynamique, ou de celles mettant en œuvre des investissements en infrastructures physiques.

Plus précisément, je pense à trois groupes de mesures pour booster le commerce intra-africain : Premièrement : s’attaquer aux principaux obstacles réglementaires qui entravent le commerce intrarégional : les zones de libre-échange reposent, en principe, sur la réduction des droits de douane entre les partenaires commerciaux. Étant donné que les pays africains participent à des CERs, les tarifs intrarégionaux sont généralement faibles. En revanche, les mesures non tarifaires, notamment les mesures sanitaires et phytosanitaires et les obstacles techniques au commerce, posent des difficultés plus grandes. La ZLECAf fournit un cadre continental pour s’attaquer à ces obstacles réglementaires au commerce ;

Secondo : pour bénéficier de nouveaux débouchés, les pays africains pourraient diversifier leur production. Le commerce intra-africain est dominé par un nombre restreint de pays qui vendent un nombre limité de produits. La majorité des exportations d'un pays vers le reste du continent se limite souvent à quelques produits de base.

Les produits manufacturés représentent seulement environ 15 % de ces échanges. A cause du manque de diversification, ces mêmes produits de base tendent aussi à dominer les exportations de l'Afrique vers le reste du monde. A mesure que les pays africains chercheront à développer leurs échanges, ils auront aussi besoin d'un secteur privé dynamique.

Dans de nombreux pays d'Afrique, le secteur privé est souvent composé, d'une part, de quelques multinationales géantes et, de l'autre, d'un vaste secteur informel de micro-entreprises. Les Gouvernements africains doivent donc s'interroger sur la gestion de ce secteur informel qui assure une part importante de la production, du commerce et des services. Bien que le secteur informel soit le moteur de la plupart des économies africaines, il n'est pratiquement pas réglementé, a peu d’accès aux financements, échappe souvent à la fiscalité et sa contribution à l'économie n'est généralement pas comptabilisée. Pour son développement, celui de son commerce et la réussite de son intégration, l'Afrique ne peut continuer à ignorer ce secteur ;

Troisièmement : pour développer les échanges régionaux et interafricains, il faut aussi réaliser des investissements en infrastructures physiques - routes, rail, lignes électriques, services aériens et télécommunications. A titre d’illustration, il existe en moyenne 1,2 ligne téléphonique pour 100 personnes en Afrique, le pourcentage le plus bas du monde. D'après la Banque mondiale, les appels téléphoniques entre pays africains coûtent de 50 à 100 fois plus cher que les appels passés à l'intérieur de l'Amérique du Nord, tandis que les coûts du fret des importations vers les pays sans littoral sont deux fois plus élevés en Afrique qu'en Asie.

Pour terminer sur cette question, je voudrais ajouter que la part du commerce interafricain est encore certes faible, Il est toutefois supérieur au commerce intra régional du Marché commun du Sud – Mercosur – mais, surtout il progresse. De plus, globalement, au cours de la dernière décennie, la composition des exportations de l’Afrique s’est améliorée en faveur des produits de moyenne et haute technologie, et le commerce intra-africain a été le principal moteur de cette tendance, suivis des exportations vers les pays développés.

On dit que l’Afrique a beaucoup d’atouts pour son développement en raison de sa population jeune mais cette jeunesse est confrontée au chômage. Comment faire pour amorcer cette bombe à retardement ?

Beaucoup d’analystes se sont intéressés à la jeunesse africaine et la problématique de sa démographie. Avec plus 200 millions d’habitants âgés de 15 à 24 ans, l’Afrique a la plus jeune population au monde. Selon plusieurs études et rapports des Organisations internationales, ce chiffre devrait doubler d’ici à 2045. Les taux de chômage dans les pays africains sont aussi des plus élevés comparés aux autres régions du monde. Selon diverses projections, plus de 400 millions d'emplois seront nécessaires pour répondre à la demande du marché du travail africain sur les vingt prochaines années.

Or, au rythme actuel, l'Afrique ne pourrait créer que 100 millions de postes sur cette période, ce qui est assez insuffisant pour contenir l'explosion du nombre de potentiels nouveaux arrivants sur le marché du travail, d'autant plus que même les emplois actuellement disponibles font face à de sérieux risques. Près de 70% des emplois actuels risqueront en effet de disparaître dans les pays en voie de développement en raison des mutations du marché du travail, notamment l'effet qu'induit la montée en puissance de l'automatisation, surtout dans le secteur industriel. 

Le taux de chômage inquiétant de la jeunesse africaine est souvent mis en parallèle avec la croissance économique rapide du continent. Le taux de chômage en Afrique subsaharienne est estimé à plus de 6 %, alors que 6 des 10 économies à la croissance la plus rapide du monde se trouvent dans cette région. Ce taux peut ne pas sembler très élevé par rapport à la moyenne mondiale d’environ 5 %.

Mais, dans la plupart des pays africains, le chômage des jeunes est au moins deux fois supérieur à celui des adultes, d’après plusieurs études. Plusieurs experts pensent en effet que les jeunes représentent 60 % de l’ensemble des chômeurs africains. Il apparait par ailleurs que les jeunes femmes sont plus durement touchées. Dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne et dans tous ceux de l’Afrique du Nord, il est plus facile pour les hommes que pour les femmes d’obtenir un emploi, à niveau d’expérience et de compétences égal.

Certes, les statistiques du chômage en Afrique ne tiennent pas compte des emplois précaires et du sous-emploi dans le secteur informel. Les jeunes africains trouvent du travail dans ce secteur, mais à de faibles rémunérations et sans la possibilité de perfectionner leurs compétences ou d’avoir une certaine sécurité de l’emploi. Dans tous les cas, l’emploi informel ou, plus généralement, le sous-emploi ne constitue pas une solution à la pauvreté, reconnaît l’Organisation internationale du Travail (OIT), qui signale que jusqu’à 82 % des travailleurs africains sont des « travailleurs pauvres ». Selon les Perspectives économiques en Afrique, plus de 70 % des jeunes Africains en moyenne vivent avec moins de 2 dollars par jour, le seuil de pauvreté défini à l’échelle internationale.

C’est dire qu’avec une démographie des plus galopantes qui s'accompagne d’une croissance certes relativement dynamique mais pas assez inclusive et créatrice d'emplois, le chômage des jeunes est une véritable interpellation, une problématique à résoudre pour la stabilité des pays africains, surtout que le changement qui s’opère sur le mode de travail menace les emplois disponibles.
C’est, en d’autres termes, une réalité préoccupante pour un continent possédant une réserve aussi impressionnante, talentueuse et créative de jeunes. Il est par conséquent compréhensible de redouter que le chômage des jeunes soit une bombe à retardement qui s’oriente progressivement et dangereusement vers l’explosion, notamment au regard des conséquences de la pandémie actuelle sur nos économies et nos sociétés.

Plus qu’hier, il apparaît donc urgent d’appeler l’attention sur les conséquences multiples d’un chômage des jeunes aussi important sur un continent où chaque année, près 12 millions de jeunes arrivent sur le marché du travail. Les Gouvernements africains ont déjà imaginé plusieurs stratégies pour tenter d’endiguer le chômage des jeunes. Ils ont notamment proclamé il y a quelques années la « Décennie de la jeunesse africaine » (2009-2018) et décidé de mobiliser des ressources, dont celles du secteur privé, en faveur de la promotion des jeunes.

Leur plan d’action insistait sur la nécessité de lutter aussi bien contre le chômage que le sous-emploi. Un autre portait sur la « création d’emplois sûrs, décents et compétitifs pour les jeunes ». L’effet de ces initiatives sur le taux de chômage des jeunes reste à évaluer. Mais la réalité d’aujourd’hui, l’image de certains de nos enfants qui décèdent dans le désert ou en méditerranée en tentant de gagner l’Europe, ou encore l’enrôlement des autres dans des groupes terroristes et des bandes armées, recommandent un renforcement des mécanismes de création d’emplois décents des jeunes en Afrique.
Fort heureusement, cette population jeune et dynamique de l'Afrique dispose du potentiel nécessaire pour un renouveau économique dans la région à condition qu'elle soit soutenue par des réformes adéquates, à court et long terme.

A court terme, je pense notamment à une stratégie pour l’emploi qui accorde plus d’attention au développement rural, à l’investissement dans le secteur primaire, aux mesures ciblées pour limiter l’exode rural et préparer les jeunes au marché du travail. Cette stratégie gagnerait à être appuyée par des politiques qui mettent l’accent sur la production industrielle, sur la diversification économique, sur tous les programmes de travaux publics qui donnent aux jeunes travailleurs, en particulier à ceux des zones rurales et aux personnes peu qualifiées, l’occasion d’acquérir une première expérience professionnelle.

Parallèlement à ces mesures, il s'agira de prioriser les réformes sectorielles dans les secteurs à forte intensité de main-d'œuvre tels que l'agroalimentaire, la construction et les petites et moyennes entreprises. Je pense également à la nécessité d’intégrer et mettre l’accent dans les programmes scolaires de l’Afrique sur l’acquisition de compétences adaptées à l’emploi et à l’entreprenariat. Il revient, en effet, constamment le problème du décalage entre les compétences des jeunes travailleurs africains et celles requises par les employeurs. 

A long terme, les politiques devraient veiller au renforcement des institutions, condition préalable à une mise en œuvre plus rapide et plus efficace des programmes de développement. La promotion des politiques qui améliorent les niveaux de productivité et la poursuite des efforts de renforcement du climat des affaires pour libérer le potentiel du secteur privé africain ainsi que le développement des infrastructures sont également fortement recommandées.

Il est aussi question de l'intégration des nouvelles technologies ainsi que du développement des compétences pour permettre à la main d'œuvre africaine d’acquérir les ressorts adéquats et rester compétitive, dans un environnement économique mondial tourmenté et en constante mutation.

Le chômage des jeunes reste à évaluer. Mais la réalité d’aujourd’hui, l’image de certains de nos enfants qui décèdent dans le désert ou en méditerranée en tentant de gagner l’Europe, ou encore l’enrôlement des autres dans des groupes terroristes et des bandes armées, recommandent un renforcement des mécanismes de création d’emplois décents des jeunes en Afrique.
Fort heureusement, cette population jeune et dynamique de l'Afrique dispose du potentiel nécessaire pour un renouveau économique dans la région à condition qu'elle soit soutenue par des réformes adéquates, à court et long terme.

A court terme, je pense notamment à une stratégie pour l’emploi qui accorde plus d’attention au développement rural, à l’investissement dans le secteur primaire, aux mesures ciblées pour limiter l’exode rural et préparer les jeunes au marché du travail. Cette stratégie gagnerait à être appuyée par des politiques qui mettent l’accent sur la production industrielle, sur la diversification économique, sur tous les programmes de travaux publics qui donnent aux jeunes travailleurs, en particulier à ceux des zones rurales et aux personnes peu qualifiées, l’occasion d’acquérir une première expérience professionnelle.

Parallèlement à ces mesures, il s'agira de prioriser les réformes sectorielles dans les secteurs à forte intensité de main-d'œuvre tels que l'agroalimentaire, la construction et les petites et moyennes entreprises. Je pense également à la nécessité d’intégrer et mettre l’accent dans les programmes scolaires de l’Afrique sur l’acquisition de compétences adaptées à l’emploi et à l’entreprenariat. Il revient, en effet, constamment le problème du décalage entre les compétences des jeunes travailleurs africains et celles requises par les employeurs. 

A long terme, les politiques devraient veiller au renforcement des institutions, condition préalable à une mise en œuvre plus rapide et plus efficace des programmes de développement. La promotion des politiques qui améliorent les niveaux de productivité et la poursuite des efforts de renforcement du climat des affaires pour libérer le potentiel du secteur privé africain ainsi que le développement des infrastructures sont également fortement recommandées.

Il est aussi question de l'intégration des nouvelles technologies ainsi que du développement des compétences pour permettre à la main d'œuvre africaine d’acquérir les ressorts adéquats et rester compétitive, dans un environnement économique mondial tourmenté et en constante mutation.

Sur autre plan, vous avez modéré récemment un webinaire sur le thème « Repenser les enjeux du pouvoir en Afrique : Féminisation et rajeunissement des instances politiques pour une meilleure représentativité ». Que peut-on en déduire ?

J’ai effectivement eu le privilège de participer, en qualité de modératrice, au webinaire, organisé sur le thème que vous avez précisé, par l’Institut Mandela en partenariat avec l’Ecole Doctorale Gouvernance de l’Afrique et du Moyen Orient (UM5-Rabat) et le Laboratoire de Recherches et d’Actions Diplomatiques (LaRAD), le 1er juin 2021. Permettez-moi de saisir l’opportunité que m’offre votre journal pour réitérer ma gratitude aux organisateurs précités du webinaire ainsi qu’à l’ensemble des panélistes et participants aux débats. Les échanges à cette occasion, à mon avis, ont été constructifs, courtois et de haute qualité. J’ajouterai ma disponibilité constante à m’associer aux initiatives similaires, en tout cas, à toutes celles qui entendent contribuer au développement, à l’épanouissement, à l’émancipation de notre continent et de ses ressortissants.