« Pour passer de l’intellection à la vision, du relatif à l’absolu […] il faut […] se replacer dans la durée et ressaisir la réalité dans la mobilité qui en est l’essence », disait Henri Bergson.
Pareillement, l’œuvre de Béchir Boussandel est tant spatiale que temporelle. De ses visions oniriques, rendues concrètes dans toute leur abstraction sur le support plat ou volumineux de son travail, la mobilité est engagée. L'observateur doit se déplacer pour en saisir l’essence. Véritable mise en volume de sa peinture, les territoires de Béchir Boussandel prennent une dimension immersive, s’extrayant du cadre. Territoires instables, le déplacement n’est plus horizontal, sensible au sens de lecture, mais vertical. L’artiste nous amène dans une perte de repère presque totale.
Forte attache au sol, tant dans le processus que par les suspensions marquant ce pont entre astral et terrestre, l’artiste nous redresse. Le procédé est physique, près du sol, travaillant horizontalement à donner à voir une verticalité. Entre deux lignes, le regardeur comme les flotteurs, sont entre air et eau, air et terre. Déplacement continu dont la destination est inconnue, l’abstrait devient spatialisé. Le lino se contracte, l’eau découpant les traces, accentuant les volumes, les équilibres. Tributaires des éléments, c’est pourtant un territoire utopique que Béchir Boussandel modèle reprenant possession des lieux. Les éléments se répondent, oscillent.
Comme démonstration de nos appartenances, les grandes toiles de Béchir Boussandel devront se réapproprier nos démarcations intimes, nos barrières personnelles. Les moments vécus deviennent souvenirs. Comme les frontières, passages de perception individuelle, codifiées, l’écoulement du temps devient une variable personnelle, conscientisée. Récits pluriels, la ligne blanche, celle du parcellaire est contournée, l'observateur est à vol d’oiseau. Conservant ce point de repère, de l’entre-deux, la perte de repère devient le signet. La question des délimitations, de leurs passages, de mondes distincts est interrogée, comment percevoir nos appartenances, témoigner de leurs mouvances ? La recherche constante de Béchir Boussandel s’incarne dans les installations au sein de sa peinture, ses réflexions sur la composition. Le temps se mesure par les éléments figuratifs cherchés par le regard, leur répétition indiquant le passage d’un territoire à un autre, rythmant l’espace.
Les temps suspendus du crépuscule, ces moments d’instabilité contrastent avec les couleurs pigmentées utilisées pour les fonds de toile, résonnant avec l’environnement dans lequel l’artiste évolue. Domptant le hasard, l’ancrage de Béchir Boussandel est celui du spatio-temporel, l’entre-deux est questionné. Le figuratif est esseulé, espace intime et espace public se croisent, laissant l’insaisissable émaner.
Entre Tunis et Paris, Jardin Rouge accueille les résidences de l’artiste Béchir Boussandel, le Maroc résonnant avec ce patrimoine immatériel, eau et soleil, si vitaux à son processus créatif. L’instant vécu, et le lieu de cette action sont un dans la perception que Béchir Boussandel nous donne à voir.