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Maroc-France : Vers le renouveau de la coopération sécuritaire ?


Rédigé par Anass Machloukh Mardi 28 Mai 2024

Alors que l’axe Paris-Rabat se réchauffe, la France cherche à consolider le partenariat sécuritaire et militaire après une série de crises. Décryptage.



Droits réservés
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Entre la France et le Maroc, l’accalmie s’installe après une série d’orages. L’axe Paris-Rabat reprend petit à petit sa vigueur perdue avec la reprise du dialogue de haut niveau. Le jeune Premier ministre, Gabriel Attal, s’apprête à visiter le Royaume pour poursuivre le ballet diplomatique qui dure depuis trois mois.

 

L’objectif est de consolider le rapprochement esquissé par le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, qui fait de la réconciliation avec le Maroc l’une des priorités majeures de son mandat au Quai d’Orsay tel que souhaité par le président Emmanuel Macron. À quelques jours des Jeux Olympiques, Paris n’a jamais eu autant besoin du Maroc, dont le concours est indispensable pour sécuriser le festival olympien, sur lequel parient fortement les Français pour redorer leur blason à l’international. D’où la volonté de Paris de cajoler l’allié marocain pour gagner les faveurs de son appareil sécuritaire, dont l’aide est sollicitée partout. Ce que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, n’a pas manqué de faire lors de sa dernière visite au Maroc. Il a prononcé une phrase que la presse marocaine a bien retenue. “Sans les services de Renseignement marocain, la France serait plus touchée”, a-t-il déclaré après un échange avec son homologue marocain, Abdelouafi Laftit.

 

En quête d’une confiance durable après une série de malentendus

 

Paris espère que le réchauffement actuel soit de bon augure et donne un coup de pouce à la coopération sécuritaire, si vitale pour les Français. Il va de soi que le niveau de la coopération entre les services de Renseignement a toujours été révélateur de l’état des relations entre Rabat et Paris. En dépit de la crise silencieuse qui a prévalu ces dernières années, la coopération judiciaire et sécuritaire n’a pas été condamnée à la rupture, comme ce fut le cas en 2015 suite à l’affaire de la tentative de convocation d’Abdellatif Hammouchi par la Justice française. Une affaire qui reste toujours gravée dans les mémoires. D’aucuns disent dans les cercles des initiés que cela a créé une trace indélébile dans les relations franco-marocaines. “Il n’était pas normal ce qui s’est passé. Les autorités françaises ont évidemment commis une faute en prenant une décision qui contrevient aux usages diplomatiques et politiques”, reconnaît Alain Juillet, ancien directeur du Renseignement au sein de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE), rappelant que cette maladresse avait surpris même les diplomates au Quai d’Orsay. “Il est inimaginable maintenant qu’on puisse assister à un incident pareil dans le futur puisque tout le monde en a tiré les conclusions nécessaires”, pense l’homme de Renseignement, connu pour son franc parler.

 

Un partenariat qui résiste aux orages diplomatiques

 

Les services de Renseignement des deux pays ont montré qu’ils peuvent coopérer dans un contexte de tension politique. En témoignent des réussites conjointes avec l’arrestation de plusieurs individus recherchés par la police française. Les informations livrées par les autorités marocaines ont permis aux Français de mettre la main sur une des responsables de l’attaque d’une église lors des fêtes de Pâques. Encore plus récemment, l’un des plus grands narcotrafiquants marseillais, Félix Bingui, a été appréhendé au Maroc au grand bonheur de Gérald Darmanin qui s’en est félicité ostensiblement sur les réseaux sociaux, sans cacher sa gratitude pour le Maroc qui a prouvé qu’il ne fait pas de la coopération sécuritaire une monnaie d'échange, quelles que soient les circonstances. Le rapatriement de l’imam sulfureux, Hassan Iquioussen, en pleine crise, en est la démonstration.

 

“Changer de logiciel” !

 

À Place Beauvau, on espère maintenir ce cap. Mais l’enjeu, aujourd’hui, est d'établir un lien de confiance durable, d’autant qu’on a l’impression que la nouvelle génération des hauts cadres français connaît moins le Maroc que les précédentes. “Dans le futur, il va falloir que les nouvelles générations apprennent à se connaître davantage”, insiste Alain Juillet, ajoutant que cet effort doit être consenti réciproquement. Dans l’esprit de Gérald Darmanin, il convient maintenant de “changer de logiciel”, comme il l’a dit pendant son séjour au Maroc. Il a même confié qu’il était temps que les vieilles habitudes cessent pour autant que le Maroc et la France aient, chacun pour sa part, changé.

 

Business militaire : Paris perd du terrain mais fait son comeback

 

Par ailleurs, le défi se pose également sur le plan militaire où la coopération se porte plutôt pas mal malgré le recul patent de Paris dans la liste des fournisseurs du Royaume, tourné plus vers les Etats-Unis, surtout après le fiasco du contrat sur les avions “Rafale” et, plus récemment, vers Israël, avec lequel le Maroc a signé un accord militaire inédit. Un accord qui ouvre la voie à des contrats juteux surtout dans l’artillerie et les drones, deux domaines qui ne sont pas le point fort de l’industrie française. “Le rapprochement avec Israël sur le plan militaire n’a guère été du goût des Français qui ont vu ça avec beaucoup de méfiance”, confie une source diplomatique marocaine sous couvert d’anonymat.

 

Toutefois, durant ces dernières années, les industriels français semblent trouver grâce aux yeux des militaires marocains qui ont placé leur confiance dans certains joyaux de “l'armement made in France”. Le contrat des Canons Caesar en est la parfaite illustration. Commandés en 2020, les canons, perçus comme un game changer de l'artillerie, ont commencé à être livrés dès 2021. Ce à quoi s’ajoutent les radars Ground Master 400 (GM400), acquis en 2019 par les Forces Royales Air auprès de Thales, sans oublier les véhicules blindés Sherpa.

 

“Les contrats d’armement, c’est 50% de politique”

 

Alain Juillet n’exclut pas que la coopération militaire entre les deux pays retrouve ses heures de gloire, pourvu que la France apprenne de ses échecs précédents. Aussi, pense-t-il, les industriels français doivent être en état de faire des offres plus séduisantes. Pour sa part, François Chauvancy, ancien général de l’Armée française, est convaincu que le business militaire dépend étroitement du climat politique de façon générale. “Les contrats d’armement, c’est 50% de politique, le reste étant des calculs militaires”, rappelle-t-il. Bien que la France ne cesse de multiplier les gestes de bonne volonté, elle demeure très attendue sur le dossier du Sahara, où elle est attendue pour prendre une position plus audacieuse. Une condition sine qua non pour sceller une réconciliation durable selon les observateurs. Alain Juillet pense qu’on finit toujours par revenir à nos anciennes amours.

 

 


Trois questions à Alain Juillet

Alain Juillet, ancien directeur du Renseignement au sein de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE) et haut responsable chargé de l'intelligence économique auprès du Premier ministre français, a répondu à nos questions.
Alain Juillet, ancien directeur du Renseignement au sein de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE) et haut responsable chargé de l'intelligence économique auprès du Premier ministre français, a répondu à nos questions.
 

“Les industriels français doivent proposer des offres séduisantes”

 

 

-A quel point l’échec du contrat des avions “Rafale” a-t-il porté préjudice à la coopération militaire ?

 

Personne n’en a voulu au Maroc après l’échec des négociations. Je me souviens qu’à ce moment, nous en avions voulu aux Américains qui ont manœuvré dans les coulisses. C’est de la guerre économique dans sa forme la plus brutale. On sait bien aujourd'hui qui en était à l'origine et qui a manœuvré et comment ça s’est passé. Mais, les Français doivent s’attribuer la responsabilité de cet échec puisqu’ils ne se sont pas assez méfiés des Américains et de leur force de frappe. Aujourd'hui, la France a toujours quoi offrir sur le plan militaire avec une industrie de pointe. L’essentiel c’est qu’il faut apprendre des échecs précédents. La coopération militaire dépend strictement de la volonté politique. Encore faut-il que les industriels soient en état de faire des offres séduisantes.

 

-Vous dites souvent que le Maroc a pris la place de la France en Afrique, est-ce que cela est mal vu dans les cercles économiques français ?

 

La France voit les Marocains prendre une part très importante en Afrique. Cela peut évidemment attrister les uns qui se disent que ce fut notre zone d’influence. Or, il faut reconnaître que ce sont les Français qui ont tout fait pour la perdre. Nous ne pouvons donc pas reprocher aux Marocains d’avoir obtenu ce que nous avons perdu. De ce côté-là, il ne faut pas sombrer dans la lamentation. Les amis du Maroc dans les cercles économiques et politiques français, dont je fais partie, se disent qu'il vaut mieux que ce soit le Maroc qu’un autre pays. La colocalisation est une idée tout à fait légitime. Personnellement, je crois qu’il y a plein de choses qui se mettent en œuvre actuellement. Je pense au gazoduc Maroc-Nigeria, et au nouvel Axe atlantique que le Maroc a proposé aux pays du Sahel. Il y a d’énormes opportunités pour les entreprises françaises à condition qu’elles soient déterminées à coopérer avec leurs homologues marocaines sans pénaliser quiconque.

 

-Concernant l’affaire du Sahara, toute décision en faveur du Maroc ne peut que susciter la colère des Algériens. La France peut-elle prendre ce risque dans l’état actuel des choses ?

 

Il ne faut pas oublier qu’il y a une limite pour les décideurs français. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a une communauté algérienne en France qu’on ne peut pas ignorer. Aussi, les relations avec l’Algérie sont-elles si complexes maintenant qu’il faudrait gérer ce dossier avec finesse. Je pense qu’il faut prendre parti et tôt ou tard cela aura lieu, c’est ma conviction, à condition de le faire intelligemment et avancer progressivement.

 

Recueillis par Anass MACHLOUKH

 


Affaire des avions “Rafale”

Un fiasco aux conséquences toujours palpables

 

En 2006, le Maroc avait commencé sérieusement à penser à renouveler sa flotte de combat, jugée vieillissante. Il fallait rajeunir l’avant-garde. Dès le début, le Royaume avait manifesté son intérêt pour les avions Rafale. Les autorités marocaines étaient tellement convaincues de leur choix qu’elles estimaient conforme aux besoins opérationnels des FAR. Les pourparlers ont commencé aussitôt avec le constructeur Dassault et le gouvernement français. Ce fut à l’époque du mandat du président Jacques Chirac et du gouvernement De Villepin. Au fur et à mesure que le temps passait, les choses se compliquaient davantage bien que les pourparlers s'étaient annoncées faciles.

 

Les négociations ont rapidement buté à cause du prix et des conditions de financement. Le Maroc avait voulu commander 18 exemplaires de l’avion de combat. La France a proposé le prix de 2,1 milliards d’euros sans option de crédit. Ce que le gouvernement marocain a décliné. A ce moment-là, le ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie s’est montré trop intransigeant sur l'option du crédit contre l’avis de la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie.

 

Alors que les discussions étaient bloquées, le gouvernement américain a saisi l’occasion pour proposer une meilleure offre. Plus d'exemplaires du F-16 avec le prix de 1,6 milliard d’euros. L’Administration américaine a proposé un crédit gratuit en plus d'une aide au développement. Ce fiasco français a laissé un impact sans précédent dans la coopération militaire franco-marocaine. Depuis lors, le Maroc n’a eu de cesse de solliciter l’armement américain.

 


Réconciliation maroco-française

 

Une évidence après le fiasco algérien de Macron ?

 

Alain Juillet, ancien Directeur du Renseignement au sein de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE), a été le grand invité de la Chambre Française de Commerce et d'Industrie du Maroc, lors d’une rencontre organisée, jeudi, à Casablanca.

 

Avec ses analyses qui contrastent avec le politiquement correct et le conformisme médiatique, Alain Juillet s’est livré à un véritable master class sur la géopolitique mondiale et la place du Maroc dans le nouvel échiquier international. Le père de l’intelligence économique française demeure persuadé que les Français vont finir par revenir à “leurs bons vieux amis” après avoir réalisé à quel point le rapprochement tant espéré avec le régime algérien est un fiasco.

 

Bien qu'Emmanuel Macron se soit investi corps et âme dans le rapprochement avec l’Algérie, même au prix d’une crise diplomatique sans précédent avec le Maroc, ses efforts se sont avérés vains. “On a pris conscience récemment que visiblement cela ne nous mène nulle part”, a tranché M. Juillet. “Ils sont nombreux à Paris à se demander pourquoi on a lâché les Marocains avec lesquels on s’entendait très bien”, a-t-il conclu, révélant que dans les cercles des hommes d'affaires français, tout le monde est pour une réconciliation durable avec le Royaume.

 

 


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