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Maroc - Colombie : Les dessous d’une brouille qui perdure [INTÉGRAL]


Rédigé par Anass MACHLOUKH Lundi 20 Mars 2023

Depuis la reconnaissance du polisario par la Colombie, Rabat a suspendu tout dialogue avec Bogota. Contactées par « L’Opinion », des sources bien informées racontent les dessous d’un silence qui règne entre les deux pays. Détails.



Le Chef du gouvernement, Aziz AKhannouch, et l'ex ministre colombienne des Affaires étrangères,  Marta Lucía Ramírez
Le Chef du gouvernement, Aziz AKhannouch, et l'ex ministre colombienne des Affaires étrangères, Marta Lucía Ramírez
La politique est comme un navire errant dans une mer houleuse, qui vacille au gré du vent des alternances et des changements de pouvoir. C’est le cas des relations du Maroc avec les pays d’Amérique Latine, notamment avec la Colombie. Aujourd’hui, entre Rabat et Bogota, il n’y a que le silence depuis que le nouveau président Gustavo Petro a reconnu à nouveau le polisario, au lendemain de son investiture. 

Le silence est devenu tellement assourdissant que l’ambassadrice du Royaume, Farida Loudaya, s’est évertuée à le briser par une sortie médiatique qui en dit long sur l’état actuel des relations bilatérales. Dans une interview accordée à la MAP, l’ambassadrice a dit regretter amèrement « le revirement malheureux » du président colombien en 2022, tout en rappelant à « nos amis colombiens » que la question du Sahara marocain constitue « une ligne rouge ». 

En réalité, ce sont des piqûres de rappel qu’elle s’est enhardie à adresser au gouvernement colombien d’ultra-gauche, coupable à ses yeux d’avoir sabordé une relation prometteuse entre les deux pays qui vivaient une sorte d’idylle pendant le mandat du président conservateur Ivan Duke. De 2018 à 2019, l’arrivée au pouvoir de la droite conservatrice fut une véritable bénédiction pour le Maroc qui jouissait d’une très bonne image chez les partisans du leader historique de la droite Alvaro Uribe. Les deux pays se sont tellement rapprochés que Bogota a été à deux doigts de reconnaître la marocanité du Sahara. Ce n’est qu’un souvenir. 
 
On ne se parle plus !
 
A présent, le dialogue est rompu au point que l’Ambassade de Colombie au Maroc se borne aux services consulaires et à participer aux réunions à caractère multilatéral et aux actions culturelles. Cela fait des mois que tout contact est suspendu entre l’Ambassade et le gouvernement marocain, nous expliquent des sources bien informées. 

En effet, au lendemain de la reconnaissance du polisario par le président Petro, il a été porté à la connaissance de l’ambassade, à travers une note diplomatique marocaine, que les différentes  actions de coopération sont gelés jusqu’à nouvel ordre. Une initiative qui ressemble à celle que le Maroc avait prise à l’égard de l’Allemagne pendant la crise de 2021. Le Royaume, qui fait du Sahara une ligne rouge, rompt brutalement tout dialogue dès qu’un pays prend une attitude jugée hostile. « Depuis ce moment-là, tout est gelé », nous confirme un diplomate marocain sous couvert d’anonymat. 

Qui dit suspension de dialogue, dit rupture. Dès lors, tous les projets de coopération de l’ambassade avec les ministères ont été suspendus. « Tout était en marche, mais soudainement, les téléphones sonnaient en vain », résume une source marocaine dans un ministère qui était lié par un projet de coopération avec l’ambassade. Plusieurs ministères ont dû cesser de répondre aux sollicitations des diplomates colombiens en place. A titre d’exemple, nous raconte notre source, un projet de coopération culturelle en vertu duquel la Colombie dispensait des cours d’espagnol au profit des fonctionnaires marocains, a été abandonné. 

L’inflexibilité de Nasser Bourita
 
La discorde s’est révélée au grand jour lors de la visite du Président du Sénat de la République de Colombie, Roy Leonardo Barreras Montealegre, au Maroc. Nous sommes le 6 décembre 2022. Le président se rend au Royaume dans le cadre d’une visite officielle. Comme il est de coutume, les présidents des instances législatives sont considérés comme des invités prestigieux, et donc les usages font qu’ils soient reçus par le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, au siège du ministère avec tous les égards dus. Or, contrairement aux autres, Roy Leonardo Barreras n’a pas eu droit à un accueil bien qu’une rencontre avec Bourita ait été inscrite dans son agenda. L’histoire est tellement anecdotique que le sénateur colombien a appris l’annulation de la visite au moment où il s’apprêtait à se rendre au ministère. « Il n’y a pas de réunion », a-t-il appris de la bouche du chargé du protocole. En effet, Nasser Bourita a l’habitude de recevoir des responsables du même rang. En 2022, il a reçu les présidents des Sénats mexicain, égyptien, jordanien, et celui du Royaume d’Eswatini.

Si le dialogue est rompu au niveau gouvernemental, il ne l’est pas au niveau parlementaire. Bien que les relations ne tiennent qu’à un fil, les législateurs des deux pays s’y attachent. Même s’il n’a pas été reçu par Bourita, Roy Leonardo Barreras Montealegre, qui est venu en médiateur, a rencontré les présidents des deux Chambres du Parlement, Rachid Talbi Alami et Naama Mayara. L’ambiance a été cordiale durant les échanges sauf au moment où il était question du Sahara, nous raconte une source parlementaire qui a eu échos des discussions. « On a fait savoir au sénateur colombien que la décision du président a déçu le Maroc, ce à quoi il a rétorqué que malheureusement la politique étrangère est du ressort de la présidence », explique notre source, ajoutant que M. Montealegre a réitéré que la reconnaissance du polisario est fortement contestée en Colombie. En réalité, nombreux sont les sénateurs qui récusent cette décision (voir repères). 
 
Des appels sénatoriaux au dialogue !

En dépit de la crise actuelle, nombreux sont les élus colombiens qui s’attachent au partenariat avec le Maroc, perçu comme un pays prometteur en Afrique. « Les relations entre la Colombie et le Maroc priment sur tout », avait dit le président du Sénat à cet égard. 

Contacté par nos soins, un élu colombien, qui a requis l’anonymat, a confirmé cet état d’esprit tout en appelant les responsables marocains à ne pas céder à la crise en maintenant les échanges de visites afin de renverser la donne. « En gros, les visites de haut niveau ont été faites dans le sens Colombie-Maroc. C’est-à-dire que les responsables colombiens ont visité le Royaume plus fréquemment que leurs homologues marocains l’ont fait en Colombie », confie notre interlocuteur, soulignant que cela montre un intérêt particulier des décideurs colombiens. En effet, Rachid Talbi Alami et Naama Mayara ont été invités à se rendre en Colombie, mais rien n’est décidé jusqu’à présent. Par ailleurs, aujourd’hui, les accords bilatéraux sont toujours en vigueur, dont, l'exonération mutuelle des visas et  la lutte contre le trafic de drogue...etc. Sauf que l'accord relatif aux services aériens n'a pas encore été ratifié par le Parlement colombien. A quoi s’ajoute l’extension de la juridiction consulaire qui n’est pas entrée en vigueur.
 
Anass MACHLOUKH

Trois questions à Jawad Kerdoudi « Il faut parler davantage avec l’opposition au Sénat »

Jawad Kerdoudi, Président de l’Institut Marocain des Relations Internationales (IMRI), a répondu à nos questions sur la crise maroco-colombienne.

 
Le Président colombien est soumis à une forte contestation de la part de l’opposition de droite qui n’est pas d’accord avec la reconnaissance du polisario, faut-il renforcer le dialogue avec l'opposition ?

- En effet, je trouve qu’il est nécessaire de renforcer le dialogue avec l'opposition colombienne. Il ne faut pas oublier qu’au Sénat, l’opposition est majoritairement contre la reconnaissance de la pseudo RASD par le Président Gustavo Petro, qui a un passé révolutionnaire. Je rappelle que 63 sénateurs sur 108 ont manifesté leur désapprobation de l’initiative du président.

Le Maroc semble suspendre tout contact avec la diplomatie colombienne pour le moment, est-ce une bonne stratégie ?

Je pense qu'il faut continuer à parler avec la diplomatie colombienne pour tenter de la convaincre du bien-fondé de reconnaître la marocanité du Sahara. Il faut aussi mettre en exergue la coopération multidimensionnelle que peut apporter le Maroc à la Colombie. A mon avis, il est important d’expliquer à la Colombie l’importance de s'ouvrir sur l'Afrique subsaharienne à travers le Maroc. Ce dont le gouvernement actuel ne semble pas réaliser l’importance, contrairement à son prédécesseur.

Aujourd’hui, une nouvelle vague gauchiste déferle sur l’Amérique latine, comment le Maroc peut-il éviter que d’autres pays basculent dans le camp du soutien au polisario ?

Traditionnellement, la gauche n'est pas favorable aux monarchies. Pour la convaincre, il faut lui expliquer que la monarchie marocaine est démocratique et sociale. Preuve en est la promotion du pluralisme politique et la politique sociale en faveur de la réduction des inégalités que le Royaume continue de mettre en œuvre depuis des décennies, dont la généralisation de l'assurance maladie, les allocations familiales, et la retraite à l'ensemble de la population marocaine. Il faut faire de la pédagogie, prendre l’initiative et renforcer la présence diplomatique le maximum possible.
 
Propos recueillis par Anass MACHLOUKH

L’info...Graphie


Diplomatie : Généalogie d’une crise

L’actuel ambassadeur colombien, José Salazar Acosta, a été nommé en 2O21, vu sa profonde connaissance du Royaume. L’ambassade a été rouverte en 2013 après 11 ans de fermeture pour des raisons budgétaires. La nomination de l’ambassadeur a eu lieu dans un contexte favorable. Tout le monde se souvient de la visite de la ministre des Affaires étrangères colombienne, Marta Lucia Ramirez, au Maroc. C’est Nasser Bourita qui l’a invitée dans la lettre de félicitations qu’il lui a envoyée à l’occasion de sa nomination. Le Maroc a compté sur l’amitié de Mme Ramirez vu qu’elle est venue à la fin des années 90 au Maroc avec Andrés Pastrana Arango, le président qui a gelé les relations avec le polisario. Depuis lors, elle était restée fidèle à ses positions pro-marocaines.

A la veille de la visite de Ramirez au Maroc, un projet de déclaration conjointe a été proposé, stipulant la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara. Une suggestion déclinée par Bogota qui, après une mûre réflexion, s’est décidé à étendre la juridiction consulaire au Sahara. Un compromis proposé par le Maroc, selon nos sources.

Pour sa part, la ministre a voulu aller doucement. Lorsqu’elle est venue au Maroc, Lucia Ramirez a fait la fameuse annonce qui fut interprétée joyeusement au Maroc comme une reconnaissance de la marocanité du Sahara. Suite à la confusion, la diplomatie colombienne a publié un communiqué aux allures d’un rétropédalage qui dément toute reconnaissance. Cela a été mal vécu par la diplomatie marocaine.  Ensuite approchaient les élections présidentielles en Colombie où le candidat de gauche était favori. Un scénario pris très au sérieux par le Maroc, qui a préféré reporter la mise en œuvre des accords signés jusqu’à l’issue du scrutin. Le Maroc n’a pas approché Gustavo Petro après sa victoire, vu son soutien au polisario, le contact s’est limité à une poignée de mains avec l’Ambassadrice lors de son investiture. L’Algérie et le polisario ont profité du vide en dépêchant des délégations qui ont approché le nouveau président qui n’a pas manqué de renouer les liens avec un premier acte diplomatique. Cette aventure a suscité des ragots parmi les diplomates dont beaucoup ne l’ont pas approuvée 

 

Reconnaissance du polisario : Gustavo Petro sous pression

Le président de Colombie, Gustavo Petro, peine à convaincre la classe politique de sa démarche de rapprochement avec le polisario. Le Chef d’Etat colombien n’a pas réalisé le poids des partis politiques qui refusent de sacrifier les relations avec le Maroc pour des raisons idéologiques inutiles. En effet, la résistance vient du Sénat colombien (Congrès de la République de Colombie), dont un groupe de sénateurs, de différentes obédiences politiques, a demandé que le ministre des Relations extérieures, Alvaro Leya Duran, soit convoqué à une réunion de travail au Sénat pour s’expliquer sur les relations maroco-colombiennes. Cela a fait l’objet d’une motion adressée au ministre, le 8 février.
Il s’agit de la troisième convocation du genre, après une première demande officielle adressée le 18 octobre, puis une deuxième le 7 décembre 2022.
En fait, cette motion a été signée par 62 membres du Congrès, qui d'ailleurs avaient fustigé le président colombien lorsqu’il avait décidé de rétablir les relations avec le polisario au lendemain de son élection.








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