En l’espace de cinq jours, plusieurs villes du Royaume se sont muées en scènes de protestation, parfois virant à de violentes confrontations entre les forces de l’ordre et des milliers de jeunes. Magasins saccagés, banques dévalisées, commerces ruinés, voitures incendiées…autant de dégâts qui illustrent une gestion de crise qui aurait pu être envisagée autrement. Ces « dérapages » ont été fermement condamnés par le Comité Exécutif de l’Istiqlal, lequel a tenu à rappeler la légitimité des revendications de la jeunesse, « car elles recoupent les grands chantiers de réforme engagés par le gouvernement, notamment en matière d’amélioration de la qualité des services de santé et sociaux ». Réunis mercredi sous la présidence de leur Secrétaire Général, Nizar Baraka, les Istiqlaliens ont ainsi réaffirmé leur conviction quant au bien-fondé de ces revendications. Le Comité Exécutif a donc réitéré son engagement en faveur du renforcement de l’hôpital public, en insistant sur la nécessité de le doter des moyens humains et techniques requis, ainsi que de conditions professionnelles adéquates, afin qu’il puisse pleinement jouer son rôle social et garantir des prestations de santé de qualité.
Responsabilité collective
Et pour atteindre l’objectif escompté, le Comex invite la jeunesse à adopter une démarche constructive, en privilégiant le dialogue responsable, que ce soit au sein des institutions, dans les médias publics ou à travers les espaces de débat ouverts, étant la seule voie pour dégager des solutions concrètes, immédiates et opérationnelles aux problèmes soulevés. Les leaders du Parti ont par ailleurs rappelé l’importance pour les autorités publiques de garantir les droits et libertés fondamentaux, « au premier rang desquels le droit à la manifestation pacifique et la liberté d’expression, dans le strict respect du cadre légal et avec le souci constant de préserver la sécurité des personnes et des biens ».Le député Istiqlalien Al Ayachi El Farfar note dans ce sillage que la violence observée lors de certaines manifestations est une responsabilité collective qui interpelle non seulement les pouvoirs publics, mais également la famille et les institutions éducatives et sociales.
Dans le même esprit, le parti a exhorté à ouvrir les canaux médiatiques publics à la pluralité des opinions, afin de lancer un large débat national sur les enjeux politiques, économiques et sociaux. Par ailleurs, il a exprimé, à travers ses différentes structures et organisations parallèles, sa disponibilité à contribuer activement au dialogue avec les jeunes, en vue d’élaborer des propositions pragmatiques susceptibles d’ouvrir des perspectives positives sur ce dossier social. En outre, El Farfar a insisté sur la nécessité d’un dialogue national ouvert et inclusif pour sortir de cette impasse, rappelant que la santé n’est pas isolée des autres secteurs. Il a appelé à ouvrir les espaces de débat aux parlementaires et à la société civile afin de discuter des problèmes avec franchise et transparence, avertissant que le verrouillage des débats ne ferait qu’aggraver la crise.
L’Exécutif promet le changement
Face à l’agitation qui s’accentue, l’Exécutif s’est dit ouvert au dialogue et fait part de « sa compréhension des revendications sociales » brandies par les manifestants et auxquelles il veut répondre de manière positive et responsable à travers « le dialogue au sein des institutions et dans les espaces publics ». Dans ce même sens, le ministre de la Santé et de la Protection sociale, Amine Tehraoui, convoqué au Parlement, a reconnu que « les problèmes auxquels fait face le secteur de la Santé sont chroniques et s'accumulent », ajoutant que le gouvernement a lancé des réformes, à travers, tout d'abord, la consolidation du cadre juridique, « dans lequel l'institution législative a joué un rôle efficace dans l'approbation et la mise en œuvre ».
Reconnaissant que les efforts restent insuffisants pour combler les déficits du secteur, Tehraoui a annoncé que le ministère œuvre à accélérer le rythme de construction et de mise à niveau des hôpitaux et des centres de santé à travers l'ensemble des régions du Royaume, notant que plusieurs grands projets hospitaliers, réalisés, ou en cours de réalisation ou programmés, devront garantir plus de 3.500 nouveaux lits dans les différentes régions du Royaume. (Voir encadré)
Mais au-delà des problèmes structurels profonds, une large part des difficultés vécues au quotidien suscite l’ire de la population, notamment les files d’attente interminables, les encombrements dans les services, les patients perdus dans les dédales administratifs, les familles épuisées par l’attente et l’incertitude. Selon le Conseiller Istiqlalien Lahcen Haddad, cette situation pourrait être atténuée grâce à la mise en place d’un véritable système de gestion du feed-back.
Dans une chronique publiée sur les colonnes de nos confrères « Le360 », Haddad propose la création, dans chaque hôpital, de comités permanents fonctionnant 24 heures sur 24, réunissant un responsable administratif, un soignant, un représentant de la société civile, un élu et une autorité locale. Leur rôle serait de « recevoir les doléances, d’enregistrer les plaintes, de les canaliser et de revenir vers la population avec une information claire dans un délai raisonnable », note le parlementaire. Une équipe dédiée pourrait, en parallèle, répondre aux appels ou aux messages via WhatsApp afin de trouver rapidement des solutions. En cas d’insatisfaction, les citoyens pourraient se tourner vers des comités provinciaux, composés du délégué médical, d’un représentant du gouverneur et du Conseil provincial, dont la mission ne serait pas de sanctionner, mais « de trouver des solutions concrètes, y compris en s’appuyant sur le secteur privé si nécessaire ».
Un numéro national (hotline) renverrait enfin vers un comité central, installé au niveau du ministère de la Santé, avec la participation de l’Intérieur et d’autres départements. Ce comité interviendrait sur les cas non résolus localement, pour garantir une réponse rapide et adaptée. L’Istiqlalien assume que « ces comités et hotlines risquent d’être inondés au début », mais une fois le dispositif rodé, il devrait se stabiliser. L’enjeu n’est pas d’ajouter un outil de communication, mais bien un instrument de gouvernance capable d’identifier les failles et de les corriger dans des délais raisonnables.
Souhail AMRABI
Trois questions à Youssef Guerraoui Filali : « Il y a un problème d'inefficacité de l'investissement public »

Youssef Guerraoui Filali, économiste et spécialiste des politiques publiques, a répondu à nos questions.
- Comment analysez-vous ce mouvement de protestation de la nouvelle génération et quels sont les enseignements à tirer sur le plan économique ?
Ce mouvement porte des revendications purement sociales. Nous vivons aujourd’hui un paradoxe. La croissance est mal répartie que ce soit au niveau géographique ou social. Nous avons une bonne croissance qui a atteint 5,5% au deuxième trimestre de cette année. Mais les disparités sont énormes et les services publics en deçà des attentes. La dynamique d’investissement que connaît le Maroc dans la foulée de l’organisation de la Coupe du Monde 2030 doit se répercuter positivement sur le quotidien des citoyens. C’est ça le message des revendications exprimées lors des manifestations. L’enseignement à tirer est clair : il faut qu'on travaille sur les services publics de qualité avec une meilleure gouvernance.
- Il y a un vrai problème de qualité des services publics malgré les investissements colossaux de l’Etat. Comment expliquer ce paradoxe ?
Comme je l’ai dit, la gouvernance fait défaut. Le problème est à mes yeux plus qualitatif que quantitatif. N’oublions pas que les recettes fiscales ont explosé lors des dix dernières années. Nous sommes à 300 milliards de dirhams avec une hausse de 25% à fin juillet 2025. Les ressources sont là. Le gouvernement dispose de tous les leviers avec une majorité confortable au Parlement qui lui permet d’agir et faire passer rapidement les réformes. Or, les dépenses engagées dans l’investissement public ne donnent pas tous les effets escomptés. Des sommes énormes ont été investies avec des hausses considérables des budgets de l’Education et de la Santé sans qu’il y ait une amélioration ressentie dans les services publics. Cela pose un problème d'efficacité de l’usage des ressources de l’Etat.
- Le chômage des jeunes reste très élevé malgré la croissance qui s’améliore. Comment rendre la croissance plus inclusive ?
Il faut que l’investissement profite aux classes moyennes et laborieuses et, en même temps, au tissu entrepreneurial, surtout les PME et les TPE. On doit intégrer davantage celles-ci dans les grands chantiers. D’où l’enjeu de la commande publique qui, je rappelle, n’est pas assez accessible à la majeure partie des petites et moyennes entreprises. Les contrats de l’Etat, il faut le reconnaître, restent dominés par les grandes entreprises et les champions nationaux. Ceci nous coûte des points de croissance chaque année. Il est urgent d’intégrer plus cette catégorie d'entreprises. En définitive, il faut repenser l’investissement public pour qu’il favorise davantage le soutien au tissu entrepreneurial moyen et à l'employabilité des jeunes et des femmes. C’est une approche indispensable pour faire reculer le chômage qui demeure très élevé, chez les jeunes en particulier.
Réformes et réalisations : Engagements de la tutelle en chiffres
Lors de la réunion de la Commission des secteurs sociaux de la Chambre des Représentants, le ministre de tutelle a souligné que son département œuvre à accélérer la construction et la mise à niveau des hôpitaux et centres de santé à travers le Royaume. Plusieurs projets structurants, réalisés, en cours ou programmés, permettront de garantir plus de 3.500 nouveaux lits. Parmi eux figurent le CHU Mohammed VI de Tanger (797 lits), le CHU d’Agadir (867 lits), le CHU de Laâyoune (500 lits) et le nouveau CHU Ibn Sina de Rabat (1.044 lits), outre des projets dans les régions de Guelmim, Tafilalet et Béni Mellal.
Concernant les soins de proximité, le programme de réhabilitation couvre plus de 1.400 centres de santé, répartis sur 76 provinces : 945 déjà rénovés, 405 en cours et 50 programmés. Entre 2022 et 2025, 22 hôpitaux ont été réhabilités, représentant 2.433 lits, couvrant des établissements régionaux, provinciaux et spécialisés.
Sur les ressources humaines, le ministre a reconnu un déficit persistant, mais a rappelé la stratégie engagée : création de nouvelles Facultés et instituts, élargissement de l’offre de formation et hausse significative des capacités d’accueil. Le nombre de places destinées aux médecins atteindra 6.414 en 2025, contre 2.650 en 2019 (+142%), tandis que les Instituts supérieurs des professions infirmières et techniques de santé accueillent désormais 9.500 étudiants, contre 2.735 en 2019. Quatre nouvelles Facultés de médecine (Guelmim, Béni Mellal, Drâa-Tafilalet, Laâyoune) forment déjà leurs premières promotions.
Le Maroc est ainsi passé de 45.000 professionnels de santé en 2019 à plus de 59.000 en 2025 (+30%). Les effectifs infirmiers et techniciens ont augmenté de 29%, les cadres administratifs et techniques de 62%. Enfin, le ministre a rappelé l’effort consenti pour améliorer les conditions professionnelles, avec des augmentations salariales progressives entre 2022 et 2025 : +4.390 DH pour les médecins généralistes et chirurgiens-dentistes, +4.405 DH pour les spécialistes, +950 DH pour les infirmiers et techniciens, +1.750 DH pour les administratifs et +1.700 DH pour les agents techniques.