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Culture

Magazine : Sarim Fassi-Fihri, maux croisés


Rédigé par Anis HAJJAM le Dimanche 17 Octobre 2021

Récemment débarqué de son poste de directeur du CCM par le gouvernement El Othmani, le producteur aura géré son département de main de fer. Nous avons donné la parole à quelques professionnels dont la majorité ne porte pas l’ex dans son coeur. Lui, il a choisi la bouche cousue. Pour l’instant.



Magazine : Sarim Fassi-Fihri, maux croisés
Nous cherchons, autour et alentours, de bons mots à l’endroit de cet homme qui préside pendant sept années au devenir de la production filmique sur le territoire par le biais de son fauteuil de patron du Centre cinématographique marocain, CCM. Nous restons largement sur notre faim. Encore moins sur ce qu’il a réalisé pendant son règne.

Un acteur du secteur, professionnel jusqu’au cou, raconte sans rire : «Ce serait difficile d’énumérer ce qui n’existe pas, si on excepte l’élargissement de son bureau et de la salle de réunion, les ornant de marbre et d’aluminium ! Même la tax incentive, soutien aux productions étrangères, n’émane pas de lui, mais de bien plus haut.»

Fassi-Fihri brille, assure-t-on, par une attitude hautaine envers ceux qui ne rentrent pas dans le rang, bloquant et dédaignant les idées qui ne lui parlent pas. En 2014, à sa nomination par le tristement célèbre ministre PJDiste de la Communication Mustapha Khalfi, Sarim écrase son cigare sur les projets qu’il ne rejette pas mais qu’il exècre par essence, la sienne. Il est le boss et montre ses biceps. Pourtant, ce n’est pas un mauvais garçon. Il est né bon.

Seulement, il a grandi et évolué. Celui qui ne souffre pas de fins de mois douloureux devient patron de studios de tournage où il accueille quelques jeunes cinéastes sans ressources. Il gère et prend à son compte une partie des charges. Un samaritain qu’il ne faut pas contrarier. Les années passent et une frange de ceux qui jouent dans son écurie part exister ailleurs. Ce désir d’évolution indispose le «maître» qui compte prendre sa revanche le moment «offert». Il tait momentanément ses ardeurs, Nour-Eddine Saïl étant encore fortement dans les parages. Fassi-Fihri choisit de jouer ailleurs, chez ceux qui voient plus sa barbe que ce qu’elle cache. Il gagne leur confiance et est choisi pour le poste de directeur du CCM parmi d’autres prétendants soumis à un «appel à candidature». Sarim s’installe et s’étale.

Fait et défait par le même gouvernement

Nous contactons le désormais ancien directeur du Centre pour lui donner la parole suite à son éviction. Il réplique, courtois : «Je ne m’engage dans aucune déclaration pour l’instant. Pas avant quelques semaines en tout cas. Je le ferai le moment venu.» Pour faire de dangereuses révélations ou attendre que tout le monde se soit exprimé ? En attendant, Il est défait par le gouvernement qui l’a fait.

Le verdict du tribunal administratif ne laisse pas le choix à l’exécutif sortant (lire plus loin) qui fait de ce lâchage sa dernière et unique décision chaleureusement applaudie. Les réactions sont là, à de maigres exceptions.

La plus criante est l’oeuvre du réalisateur Kamal Kamal qui s’exprime plus par reconnaissance de l’épigastre que par souci de l’état de santé du secteur : «Avant qu’il ne soit directeur du CCM, il était le seigneur qui aidait la plupart des réalisateurs marocains, des années 90 du siècle dernier aux années 2000, à faire leurs premiers courts ou longs métrages. Personnellement, il m’a aidé en m’offrant tout le matériel de machinerie et de lumière pour faire mon premier film. Comme ses prédécesseurs, il a défendu le cinéma national et a encouragé une production de films de plus en plus importante sans oublier les productions étrangères qu’il a réussi à occasionner.»

Défense de rire. Cette grandiloquence du verbe n’est partagée qu’avec peu de cinéastes contactés, y compris les plus modérés.

L’auteur de «L’Orchestre des aveugles», Mohamed Mouftakir, met de l’eau dans son breuvage, nous faisant une prose quintessenciée mêlant trois anciens directeurs du CCM, choisissant méticuleusement ses mots dans une longue missive dont voici un extrait : «Je préfère ne pas être dans le jugement, mais plutôt dans la compréhension (…) J’ai côtoyé trois directeurs du Centre cinématographique, trois profils différents mais qui se complètent et convergent sur certains points, en l’occurrence la recherche de la qualité et le développement du cinéma dans notre pays. Trois profils, partant de Souheil Ben Barka le cinéaste, passant par Nour-Eddine Saïl le critique et enfin Sarim Fassi-Fihri le producteur. Chacun d’entre eux a contribué à sa façon et selon sa sensibilité à faire évoluer le secteur cinématographique et à le faire rayonner. Tous les trois ont cru bien faire. Ils ont été applaudis et critiqués, ce qui est normal (…) En tant que cinéaste marocain, j’aurais bien aimé être conseillé par Ben Barka, critiqué pas Saïl et produit par Fassi-Fihri.» Sous le sceau de l’ironie, Mouftakir ajoute qu’avec pareil trio il aurait décroché une Palme d’or. En somme, il prône l’apaisement.

Un départ, des standings ovations

Moins ironique est le témoignage d’un ancien jeune cinéaste évoluant dans le Nord, Abdeslam Kelai. Lorsqu’on Larache à son farniente, il dégaine avec la musicalité verbale qui est sienne : «Malheureusement, la gestion de notre cinéma durant ces dernières années n’était pas à la hauteur des attentes des producteurs, cinéastes et techniciens marocains. Nous avons remarqué un net recul dans le nombre de films produits chaque année et une stagnation du budget alloué au soutien du cinéma national. Aussi, les procédures d’obtention des autorisations de tournage sont devenues beaucoup plus compliquées et beaucoup plus lentes. L’administration a aussi obligé les professionnels à renouveler leurs cartes chaque année, antérieurement valides pendant cinq ans. Les procédures administratives sont devenues kafkaïennes. En plus, pour chaque retard dans les délais de tournage on procédait au retrait de l’avance sur recettes en détruisant un projet pour lequel les producteurs et le réalisateur ont travaillé pendant des années, sachant que les dix-huit mois prescrits par la loi ne sont pas du tout suffisants pour trouver plus de financement nécessaire afin de faire un film avec la qualité optimale que ses Sarim Fassi-Fihri, maux croisés Récemment débarqué de son poste de directeur du CCM par le gouvernement El Othmani, le producteur aura géré son département de main de fer. Nous avons donné la parole à quelques professionnels dont la majorité ne porte pas l’ex dans son coeur. Lui, il a choisi la bouche cousue. Pour l’instant. Sarim est le boss et montre ses biceps. créateurs lui souhaitent. Les retards dans le déblocage des tranches de l’avance sur recettes qui atteignaient parfois plus d’une année ont fini par dégrader la qualité de plus d’un film et détruire économiquement plus d’une maison de production.»

Les standings ovations se félicitant du départ de Sarim El Haq sont finalement légion et mettent en scène de solides noms du cinéma marocain.

Parmi eux, l’indomptable Noureddine Lakhmari sort la sulfateuse : «tout changement devrait être synonyme d’amélioration, d’avancée. Seulement cela n’a pas toujours été le cas pendant les sept années de la dernière direction du CCM. Abus de pouvoir, manipulation des lois, discours populistes pour justifier des actions pernicieuses, un mépris manifeste de la profession (plus précisément dirigé contre ceux dont des querelles passées étaient l’occasion d’une série de vengeances savamment orchestrées), sabotage de cinéastes intègres parce que réfractaires à son autoritarisme sidérant et honteusement assumé, blocage des autorisations de tournage des producteurs... , la liste est tristement longue. Et tandis que les cinéastes peinaient à promouvoir et à distribuer leurs films, le directeur se baladait sans le moindre sursaut de conscience, voyageant en VIP partout dans les festivals du monde, sans agir pour le développement du cinéma national. Ce cinéma a souffert. Je souhaite voir arriver à la tête du CCM une Femme ou un homme porteur d’un projet ambitieux, une femme ou un homme qui aime le cinéma en général, et le cinéma marocain en particulier. Une direction avec une vraie vision, et la détermination acharnée d’extirper le secteur de la boue dans laquelle l’ancien directeur nous a enlisés, afin que notre cinéma soit capable de jouer son rôle légitime d’ambassadeur dans le monde. Le Maroc est en train d’opérer une mue qui nous rend fiers. Nous souhaitons que notre cinéma puisse contribuer à cet espoir...»

Oiseau désenchanteur

Il y a également cette bête noire du directeur remercié. Il est secrétaire général de la Chambre nationale des producteurs de films présidée par l’incorrigible amoureux de son métier Latif Lahlou.

L’oiseau désenchanteur et réalisateur s’intitule Driss Chouika. Lui, n’a pas besoin qu’on lui tire les verres du nez : «Sarim aura été sans conteste le directeur du CCM qui a fait couler le plus d’encre, dans le sens négatif bien entendu. El il a été surtout le directeur qui a fait le plus de tort au cinéma national et le plus de mal à la majorité écrasante des cinéastes, toutes professions confondues : producteurs, réalisateurs, techniciens... Et ses méfaits ne se limitent pas à cela. Il a délibérément prémédité de commettre, pendant sept ans, un crime antinational horrible : saper les fondements du cinéma national, construits brique par brique par plusieurs générations de cinéastes marocains depuis l’Indépendance. Ce travail de sape a été préparé pendant longtemps à partir d’un deal passé entre lui et un groupe de représentants d’un parti politique qui considère le cinéma, et les arts en général, un interdit absolu en prônant une société sans aucune forme d’expression artistique, et si on devait avoir un art il devrait être nécessairement “propre“ ! Ce groupe, ce parti, est allé jusqu’à “imaginer“ un diplôme pour faire nommer Sarim à la tête du CCM et retarder l’appel à candidature de près de 8 mois, le temps de préparer et le dossier et la mission de sape. Voilà l’essentiel de ce que les professionnels, les cinéphiles et le public en général doivent savoir sur le comportement pernicieux de Fassi- Fihri. Et j’assume ma responsabilité en affirmant cela. Si nous sommes réellement dans un Etat de droit, liant la responsabilité à la reddition des comptes, cet homme devrait être jugé. Voilà ce que je vois, quoique cette réalité soit bien amère.»

Des voix s’élèvent, certes après coups, mais la rage n’est pas à déconsidérer. Sarim El Haq, comme producteur ou directeur du CCM, aura fait plusieurs malheureux dont le réalisateur à succès vivant en Espagne Hakim Noury : «En 1993, je lui ai offert de produire ‘L’Enfance volée’ avec les sous du fonds d’aide. Il a refusé que je sois coproducteur en me proposant un salaire de misère -150 000 DH- pour mon scénario, ma réalisation et les sponsors que j’ai pu ramener. Le beurre et l’argent du beurre. Le film a cartonné. Rebelote avec ‘Voleur de rêves’. Là, j’étais obligé d’accepter les 150 000 DH, mon fils Souheil devait aller poursuivre ses études en France et je n’avais pas un copeck. Le film a été de nouveau un succès. Sarim a empoché près de deux millions de dirhams pour les deux productions et moi… rien. Lorsque j’ai voulu réaliser ‘Un simple fait divers’, ma défunte femme Maria, à qui je dois ce que je suis, a pris les choses en mains et a réussi à produire le long métrage en créant Prod’Action. Fassi-Fihri était fou de rage, mon épouse venait de lui chaparder un confortable gagne-pain. A sa nomination à la tête du CCM, il m’a bloqué sur son téléphone. C’est ça Sarim, un méchant, un hargneux.»

Clientélisme ou népotisme ?

Curieux qu’on n’ait pas exprimé autant de soulagement au lendemain du limogeage brutal du prédécesseur Nour-Eddine Saïl, pourtant décrié par une partie de la profession. Facteur de compétence ou de relations humaines ? Le successeur du créateur du Festival du cinéma africain de Khouribga prend également le soin de soulager la liste des habitués des évènements chapeautés par le CCM pour la garnir de nouveaux noms. La roue tourne ? Certainement…

«Sous Saïl, j’étais invité à tous les festivals, souvent en tant que membre du jury ou pour les avant-première de nos films et subitement évité à l’arrivée de Sarim. Alors, était-ce du clientélisme ou du népotisme ?», s’interroge le journaliste Omar Salim. La médiatique veuve du défunt, Nadia Larguet, tranche dès qu’on lui évoque les deux hommes : «Je ne me suis jamais permise de commenter la vision et les choix de M. Fassi-Fihri, ce n’est pas maintenant qu’il est parti que je vais le faire. Je me suis toujours tenue à l’écart, par principe. Mais la seule chose que je peux vous dire, c’est que succéder à Nour-Eddine ne devait pas être facile.»

Ne nous reste plus qu’à ouvrir nos colonnes au principal concerné s’il daigne en prendre possession cette-fois. Avec le recul qui lui sied. Un film se pense d’abord, s’écrit ensuite. Bonne projection grand ex.


Anis HAJJAM

Parcours


Des oh et des bah !
 
Natif de Marrakech en 1958, Sarim Fassi-Fihri crée en 1987 la société Moroccan Productions and Services (MPS) dans la perspective de produire des films marocains et assurer la production exécutive des projets étrangers sur le sol national. Ce qu’il réussit en signant une quarantaine de participations à des longs et courts métrages, à des séries et téléfilms.

En 1995, il préside la Chambre marocaine des producteurs de films (CMPF). Dix années plus tard, il dirige l’Association des métiers de la production audiovisuelle et du cinéma. En 2014, il pousse la porte de la direction du Centre cinématographique marocain (CCM) pour s’asseoir sur un fauteuil astiqué par le ministre PJDiste de l’époque.

En 2018, son mandat de patron du CCM prend fin. Mais Sarim n’entend pas décoller de ce siège. Il demande à son ministère de tutelle une prorogation qu’on lui accorde. L’année suivante et celle d’après, même scénario : nouvelles prolongations de mandat. Ce qui donne des indigestions aux professionnels qui espèrent un changement (lire le texte principal).

Le 28 mai 2021, suite à une plainte du CMPF, le tribunal administratif de Rabat décrète que le quatrième mandat de Sarim Fassi-Fihri aux commandes du CCM est illégale et que les décisions prises par le directeur depuis octobre 2020 sont nulle et non-avenues. Seulement, Fassi-Fihri reste accroché à son beau fauteuil jusqu’à la notification sans appel dudit tribunal au ministère de la Communication.

Le 2 octobre courant, un communiqué de ce dernier met définitivement fin à la villégiature de Sarim El Haq. En attendant un nouvel appel à candidature, le poste vacant reçoit un intérimaire en la personne de Mustapha Timi, secrétaire général du ministère de la Communication.

 



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