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Culture

MAGAZINE : Mohamed El Baz, le mâle aimé


Rédigé par Anis HAJJAM le Dimanche 2 Juin 2024

Disparu le 26 mai à 57 ans, l’artiste aura prospecté et défriché plusieurs pans d’un art qu’il consomme et propose avec une diversité étonnante. Installateur, vidéaste, photographe, « peintre », il demeure un plasticien émérite. Figure détonante de l’art contemporain, il agit seul, faisant souvent participer quelques-uns de ses amis prêts à adhérer à la folie de ses projets. Son départ prématuré laisse forcément un vide dans l’univers de la belle création déstructurée.



Mohamed « Mo » El Baz croqué en 2022 par Elias Selfati. Les clous sur les yeux sont rajoutés par El Baz.
Mohamed « Mo » El Baz croqué en 2022 par Elias Selfati. Les clous sur les yeux sont rajoutés par El Baz.
Créateur mesuré, submergé de projets, El Baz finit par penser à la communauté des agitateurs contemporains marocains plus qu’à son propre devenir. Les idées de faire et de déconstruire rythment le quotidien d’un homme aimé et pas forcément soutenu. Mais il n’en a cure. Il continue même si des murs se dressent devant chacun de ses pas. Furieux de ces non-accueils, il devient de plus en plus fou de réaliser, de laisser des traces aux pas herculéens. Fin et intellectuel aux choix dérangeants, il aime la vie et le cinéma, son art en bandoulière. Mohamed El Baz, dit Mo, ne veut pas quitter ce bas monde, seulement la bassesse de ce même monde lui montre sournoisement la porte de sortie. Mais l’homme tient bon, jusqu’à ne plus se jeter dans les bras de l’embarras, se tenant maître de ses voyageuses pulsassions. El Baz se retrouve sur terre par inadvertance. Le sait-il ? Oui et non. Furieusement aimant, il claque la bise au lendemain en enlaçant son présent immédiat, fleuri de belles paroles à l’imagerie contagieuse. L’enfant de Ksiba où il est enterré, parti en 1972 en France chez les Chtis, ne s’occupe pas encore de son avenir, et pour cause… Il n’est qu’un enfant pétri de curiosités. Il se jette rapidement dans les bras de l’art qui l’accueille sans trop se poser de questions. Mo est là et compte s’y installer. Après des études plastiques dans sa région lilloise et à Paris, il se retrouve seul face à son agrégat de questionnements qu’il fracasse à l’endroit d’intenables pulvérisations innommables. El Baz cherche la paix en croisant l’insupportable. Il en parle avec un sourire sonore, le drape de belles formules sorties d’une continuelle lecture du champ de l’enfoui. Et c’est cela qui le fait, l’a fait et continuera à le faire. Mourir n’est pas arrêter de vivre.
 
Echange sur la peur

Mohamed El Baz est passablement un extraterrestre, mais l’humain qu’il est demeure l’incroyable agitateur d’idées. Pour le bonheur de ce qu’il est et de ce qu’il n’arrête pas d’être. Il frappe à nues pattes, caresse à poings liés, pour que le verbe s’étale dans un univers de la suprême incompréhension. Il ne s’entend que peu avec la vie qu’il côtoie avec assiduité et oublie spontanément qu’il y évolue. Finalement, sa force est dans sa rugueuse fragilité. Dans les années 1990, il se trouve un thème nodal : « Bricoler l’incurable ». Une approche ironiquement intellectuelle qu’il entretient, sa carrière durant. En fait, El Baz se moque de l’art avec beaucoup de sérieux. Sans occulter quelques envolées écrites où la remise en question se fait reine. Il y a quelques années, il a cet échange sur la peur avec son ami plasticien Elias Selfati. Ce dernier s’élance : « Pourquoi avoir peur ? Pourquoi simplement de la douleur, de la déception, de la tristesse ou même de la rage ? La peur est confrontée à quelque chose à venir. L’achèvement de la vie est également quelque chose à venir puisqu’il est perçu comme un manque qui, par son énormité, transforme la certitude de l’intérieur en peur. » A cela, Mo El Baz réplique : « Elias, tes envois me bouleversent toujours mais je n’en sais pas plus. J’ai régulièrement demandé à agrandir la porte, mais je ne sais si je peux l’agrandir pour passer celle de mon père. Je me fous des Rois mages et d’Euclide. Je veux juste être un peu heureux avant de les rejoindre. Tu sais cher, je m’inquiète d’une situation. Je ne comprends pas pourquoi. Je veux toujours rire et pleurer. Je ne comprends pas Elias, je ne comprends pas, je ne comprends pas. Mais un jour, nous prendrons un bateau. » Selfati s’étale un peu plus : « Il doit y avoir autre chose, mais ici, dans cette vie. Et cet autre chose s’appelle la culture, la poésie, la nature, la beauté. C’est ce qu’il faudrait apprécier. Nous sommes des étrangers dans un monde étrange avec peur et préjugés. Un monde qui diabolise le corps et la pensée autonome et dans lequel les choses qui font partie du meilleur que nous pouvons vivre sont dénoncées comme péchés. » Le retour de Mo ne tient qu’à quelques mots : « Je suis comme toi. Je n’ai pas peur du monde. Je veux vivre. » Et il vit avec ses démons et ses facéties, son grand cœur et ses tripes. Jusqu’à ce qu’il nous fausse compagnie sans jamais donner le moindre signe de vie ailleurs, cet au-delà qui ne se conjugue qu’au passé. Mohamed El Baz, amoureux fou de son art qu’il triture à volonté et de ses enfants pour lesquels il construit une belle demeure à Tahanaout, à proximité de Marrakech où il élit domicile depuis quelque temps, laisse derrière lui un héritage inestimable, celui qui se déverse d’un cœur grand comme ça. Mo, communique mon amitié à tous les artistes qui t’ont précédé dans la galerie de l’infinie éternité. Je t’aime. 







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