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Les communes marocaines en panne : le projet du développement territorial victime de l’ineptocratie


Rédigé par ​Mounir Zouiten le Samedi 30 Juillet 2022



Les communes marocaines en panne : le projet du développement territorial victime de l’ineptocratie
Introduction

L’objet de ce texte vise à élucider la problématique de l’incapacité de nos communes à prendre le virage du développement territorial. Pourquoi peinent-elles à développer leur territoire ? Pourquoi ne parviennent-elles pas à assumer les tâches qui leur sont confiées ? Seront revisitées, dans ce papier, les dimensions  relatives à la question de la tutelle des communes du pouvoir central, celle liée aux défaillances dans le management territorial et, enfin, la question des exigences du dépassement du système régnant de l’ineptocratie.

Les déceptions et déconvenues de nos communes en matière de développement territorial s’avèrent aujourd’hui de l’ordre du fait socio-politique bien établi. Elles frisent l’échec patent eu égard aux multiples problèmes des agglomérations urbaines et du délabrement des communes rurales.  Toutes les parties prenantes, institutionnelles et non institutionnelles, sont unanimes sur ce triste constat de stérilisation territoriale (1). Plusieurs causes sont à l’origine de l’ancrage de cette impuissance. En dépit des ambitieux et répétitifs projets d’amélioration de la décentralisation et de réformes de la gouvernance locale, intervenus ces dernières décennies en vue d’une meilleure implication des élus dans le processus de développement, les projets communaux n’ont pas pu combler toute une panoplie de lacunes récurrentes (2). La réalité d’un très grand nombre de services communaux demeure encore décevante. L’institution communale n’est guère parvenue à surmonter les obstacles et entraves, internes et externes qui se posent à elle et qui nuisent à sa responsabilité directe quant à l’amélioration du cadre de vie et de promotion de ses habitants. Urbaine ou rurale, l’entité communale n’a ni les moyens et encore moins les aptitudes ou le statut de majorité légale pour  affronter tout un amas de lacunes et déficiences d’ordre institutionnel, structurel et de gouvernance.

Une des grandes défaillances du système communal, chargé de la gestion des affaires locales et censé assurer des avancées significatives, sur les plans aussi bien du développement que de la démocratie, réside dans l’inaptitude des acteurs concernés à assumer les responsabilités qu’on leur confie et à accomplir les très complexes missions qui leur sont dévolues. Ces dernières seraient accomplies, nonobstant leur complexité, si les staffs communaux étaient constitués d’un personnel d’administratifs et d’élus qualifié, responsable et efficient dans le management territorial.

De larges prérogatives, dans différents domaines, sont allouées par la Loi à la commune, chose qui lui concède, en principe, le statut de leader et de meneur des projets de développement dans un cadre de convergence partenariale avec les autres acteurs territoriaux, publics et privés. Elle est censée jouer le rôle du chef d’orchestre et animer le cercle vertueux de la territorialisation (3). Cependant, force est de constater que les acteurs communaux ne s’organisent pas et ne prennent que très rarement l’initiative d’intervenir d’une manière opérationnelle et efficiente pour leurs intérêts et ceux de leur collectivité. Cet état de fait se manifeste sur plusieurs registres de la gouvernance communale. Avant d’évoquer quelques aspects des défaillances communales, signalons d’abord les principaux problèmes d’ordre structurel bloquant, depuis quelques décennies, le décollage tant escompté du fonctionnement communal et, par ricochet, la concrétisation progressive du projet de développement territorial global.

1. Une mise en dépendance pérenne des communes à l’agenda du pouvoir central
 
Bien qu’elles soient dotées du statut d’autonomie et de la personnalité morale depuis le début de la mise en œuvre de la politique de décentralisation, les communes continuent de dépendre du pouvoir central par les canaux des Préfectures, des Pachaouyas et des services déconcentrés de l’Administration. Elles sont un produit de l’administration centrale et de ses relais. L’ancrage de l’esprit de ‘’tutellisation’’ est allé dans le sens de dénier aux communes tout statut de collectivités libres et majeures. L’État ne se contente pas d’exercer un contrôle, il dicte des orientations et formule des injonctions (4).  Le résultat d’une tutelle suffocante ne peut donc aller dans le sens de cultiver le sens des responsabilités dans la conduite des affaires territoriales et leur promotion.

La longue expérience de la décentralisation, enclenchée depuis les années 60 du siècle dernier, est encore caractérisée par une incapacité avérée pour les principales catégories représentées et administratives à s’entendre sur des règles de jeu claires et acceptées par tous.

Trois grandes phases résument l’engagement du pays dans des réformes de gouvernance territoriale : La première phase d’initiation à la décentralisation entre 1959 et 1976, marquée par un découpage administratif en 1959 et l’adoption de la première charte communale en 1960, complétée par celle de 1976. La seconde phase, entre 1990 et 2009, est celle d’accélération à la décentralisation distinguée par un lot de réformes : la Loi relative à l’organisation de la Région en 1997, la Charte communale de 2002 et la Loi n°79-00 relative à l’organisation des collectivités préfectorales et provinciales. La troisième phase, depuis 2010 jusqu’à 2015, revigorée par une révision de la Constitution en 2011, est une montée en puissance de la Région avec le lancement de la régionalisation avancée en 2015, et enfin la promulgation des Lois organiques : la Loi 111-14 relative aux Régions, la Loi 112-14 relative aux provinces et préfectures et la Loi 113-14 relative aux communes.

Ce long processus de décentralisation n’a pas permis d’asseoir les bases nécessaires à la construction du projet de développement territorial et de la démocratie participative (5). Aucune volonté administrative ne s’est réellement manifestée pour instaurer une municipalisation intégrale pour satisfaire les demandes internes et externes de décentralisation. La double tutelle administrative et financière d’un ministère de l’Intérieur, omniscient et omnipotent, n’entendait pas protéger et promouvoir la libre administration des communes. Si les corrections structurelles, correspondant au  principe de ‘’libre administration’’, permettant aux collectivités territoriales, dans la limite de leurs compétences, d’exécuter librement leurs missions, le Projet de la Région avancée, aujourd’hui en vogue, risque de connaitre le même sort de l’entité communale. On devrait laisser les collectivités dans un cadre d’autonomisation territoriale et institutionnelle, s'administrer librement, sans être soumises à des contraintes excessives, avec une large marge de manœuvre mise à leur disposition et sans aucune interférence avec le pouvoir.

La dépendance de la commune, ici en question, semble voulue par la sphère politique au niveau central. Le territoire ne doit pas, selon la vision de cette dernière, échapper au contrôle social et politique du ministère de tutelle. Cette dépendance demeure, par conséquent, pesante à tous les niveaux du fonctionnement des collectivités locales. Leur marge de manœuvre, dans la planification comme dans l’exécution de leurs activités, est avérée très réduite (6).

En amont des échéances électorales, la tutelle fait toujours en sorte que les listes des électeurs, dans les différentes circonscriptions, demeurent sous son contrôle. Les modifications des listes et leur mise à jour, à la veille de chaque élection, sont souvent mineures. Par ailleurs, l’appareil administratif central comme local n’est pas loin du choix de certains candidats aux élections communales et régionales. Aussi, importe-il de rappeler que le recours au suffrage universel de liste, en lieu et place du suffrage universel nominal, est un autre moyen de façonner des majorités sur mesure lors de la constitution des Bureaux des collectivités territoriales. Les critères pour le choix des candidats aux élections sont toujours imposés par la tutelle aux appareils politiques. La proposition d’arrêter comme critère un niveau plus ou moins élevé d’instruction pour les candidat(e)s, en vue de leur permettre de se présenter aux élections, a toujours été rejetée. Le refus de la tutelle, de ne pas faire participer aux élections les illettrés, est toujours justifié par le fait de porter atteinte au principe de la démocratie. Or, il va sans dire que la volonté de développer les territoires, d’une part, et la fragilité de la démocratie, d’autre part, exigent, ne serait-ce que pour une phase transitoire, de doter les entités du développement de ressources humaines compétentes et efficaces, en plus d’être démocratiquement élus. Faute de l’adoption d’une telle position, nous nous retrouvons systématiquement, suite à chaque échéance, avec un grand lot d’analphabètes, élus aux instances communales. Quand on sait que le taux d’analphabétisme de la population âgée de 10 ans et plus s’élève à 32% selon le RGPH de 2014, contre 43% en 2004, soit 8,6 millions d’analphabètes, il est aisé de déduire que le filet électoral laisse passer un nombre non négligeable d’illettrés aux commandes des villes et territoires.

Au lieu de se mettre à l’ouvrage pour répondre aux besoins des citoyens, les communes perdent du temps et de l’argent pour tenter de former les nouveaux élus au management communal. Depuis le milieu des années 1970, le ministère de l’Intérieur tente d’offrir, suite à chaque échéance électorale, des formations aux cadres et personnel de gestion et d’encadrement des collectivités territoriales, de sensibiliser et du renforcer les connaissances législatives et réglementaires des élus. En fin 2021, le ministère de l’intérieur éprouvait encore le besoin d’appeler les élus territoriaux à ‘’mieux appréhender les exigences légales, institutionnelles et financières nécessaires à la bonne gestion des affaires locales’’ (7). Pour un mandat de cinq ou six années de travail communal, il est aberrant d’envisager des formations pour les nouveaux élus. Ceux-ci devraient être, en principe, assez rapidement opérationnels pour se mettre à l’ouvrage. C’est d’autant plus aberrant de procéder aux formations lorsqu’on sait pertinemment que le management territorial et local n’intéresse que très peu le personnel administratif des communes et les élus en question. L’administration locale devrait, par contre, être aidée dans ses différentes tâches par des agents de développement, des profils et des compétences spécialistes en matière de gouvernance des territoires et d’animation des espaces urbains. Nos universités, un certain nombre d’ONG et d’autres établissements publics et privés, comme l’ADS et l’IFAD, ont largement participé à la formation de ce type de profils. Beaucoup d’agents de développement ont pu occuper des postes de chefs de projets dans diverses organisations et ont, grâce à leurs apprentissages et expériences, conduit avec succès toutes les étapes des projets. 

Par ailleurs, la décentralisation complète et réelle, donnant une véritable autonomie de prise de décisions aux entités locales de gouvernance, ne peut avoir lieu dans un pays fonctionnant avec une logique centralisatrice et des mécanismes rigides de contrôle à priori. Cette dépendance freine, en fait, le fonctionnement des communes et ne contribue guère à renforcer leur confiance en leurs propres capacités. Elle nuit à leur prestige et entrave l’exécution des prestations et la création d’une légitimité démocratique. La défiance des citoyens envers leurs représentants locaux et territoriaux est aujourd’hui un fait avéré.

Après plus de cinq décennies d’administration territoriale, le rapport de l’Etat aux collectivités territoires est marqué par une forme de méfiance. L’expérience est riche en enseignements d’une décentralisation/déconcentration conçue dans les arcanes de la haute sphère administrative. Dans les démocraties, la décentralisation se construit et s’opère au niveau des territoires. Elle se nourrit des débats publics permanents entre gouvernants et gouvernés (8).  

2. Défaillance dans la gestion communale

Si les élus municipaux sont des mal-élus, les fonctionnaires communaux, eux, relèvent de la catégorie du personnel administratif de second rang. Nombreux ceux parmi ce personnel qui ne sont pas en mesure de remplir le rôle qui leur est dévolu. Nombreux ceux qui ne connaissent pas grand-chose ni en instruments et procédures d’une administration communale moderne, ni en méthodes de planification et de gestion (9). Celle-ci est plutôt mue aujourd’hui par une culture archaïque, bureaucratique et comptable. Elle se contente de réaliser un certain nombre de tâches répétitives comme celles de l’accueil, de la légalisation des documents, de l’état civil, etc. Elle soustraite, dans la plupart des cas, aux sociétés privées les principaux services municipaux (approvisionnement en eau, assainissement et électricité, ramassage des ordures ménagères, hygiène et environnement, conception et mise en œuvre de projets urbains, etc…). La quasi-totalité des communes n’instaure aucun système de suivi, ni d’évaluation des services délégués. On laisse ainsi faire et on laisse aller au détriment de la satisfaction des besoins et des intérêts des citoyens. D’ailleurs, les rapports des instances constitutionnelles (Cour des comptes, Conseil économique, social et Environnemental, Inspection Générale de l’Administration Territoriale…) sont accablants sur presque trois décennies de gestion déléguée des services urbains, qu’il s’agisse de la qualité des services rendus que de leurs coûts à la collectivité.

Il n’y a que peu de temps que l’Etat s’est rendu compte que ce système de gestion déléguée ne pourrait plus continuer. Ainsi, dans le cadre du processus de régionalisation avancée, un protocole d’accord signé entre le ministère de l’Intérieur, le ministère de l’Economie et des Finances et de la réforme de l’administration, le ministère de l’Energie, des mines et de l’environnement, d’une part, et l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE), d’autre part, a révélé la mise en place d’un nouveau dispositif, qui devrait mettre un terme à l’emprise des entreprises étrangères sur la gestion du secteur de l’eau, de l’électricité et des services d’assainissement liquide (Redal, Lydec, Amendis,…). Cependant, cet accord vise à confier la gestion desdits services publics aux douze régions du pays, via des sociétés régionales multiservices (SRM) au niveau des conseils régionaux. Les SRM sont des sociétés anonymes à actionnariat public.

Effectuer ce virage vers une gestion déléguée directe entre les collectivités locales et les délégataires privés permettra, en principe, de réduire le nombre de réclamations émises par les citoyens et de stopper les hausses des tarifs. Le protocole évite donc que la gestion soit directement portée par les communes et les régions afin de pallier les manques d’efficacité, de non-spécialisation et d’absence de réédition des comptes des élus avec tout le lot des problèmes endurés.  

Avant la mise en place de ces SRM, nous signalons ici, à titre d’illustration, le cas de la commune de Harhoura, située à dix Km de Rabat, qui permet à la Redal d’agir à sa guise pour réaliser toutes les interventions qu’elle planifie sur son territoire. Concomitamment à l’aménagement récent de la route côtière de Harhoura, Redal a aussitôt commencé à installer le réseau d’assainissement liquide. Pour les eaux pluviales, venant de la route comme des zones résidentielles, Redal a tout simplement opté pour leur rejet directement sur les plages situées tout au long de la commune. A Val-d’Or, les résidents se sont opposés au système de drainage de ces eaux sur la plage. Les résidents ont rejeté catégoriquement, et à juste titre, la solution de Redal et de la CGI qui consistait à conduire les travaux et à gérer le projet à moindre coût. Les résidents ont montré que le rejet en mer des eaux pluviales pourrait être fortement contaminant par les hydrocarbures, les détergents, les insecticides et les autres substances toxiques,...Ils ont considéré, par ailleurs, qu’il existe d’autres alternatives viables et durables sur le plan écologique dont l’effet positif, sur la sauvegarde du Littoral et du milieu marin de la région, est inestimable (aménagement de bassins de rétention et de stockage et la réalisation de lagunes à double dimensions touristique et paysagère). Sous d’autres cieux, où il y a même une abondance en eau, on recycle, grâce à des moyens technologiques aujourd’hui disponibles, les eaux pluviales et usées pour d’autres usages bénéfiques aux communautés.

Pour le cas du port de Sidi El Abed, Rédal a voulu déverser, comme ce fut le cas pour Val-d’Or, les eaux pluviales le long de la plage des Sables d’Or suite à l’achèvement des travaux de l’avenue principale de la commune. Mais, le rejet qui avait été projeté (CP241) a été, à son tour, contesté dès le commencement des travaux préliminaires par les résidents. Ces derniers ont estimé que les pollutions et les détritus, charriés par les eaux pluviales et balancés à même le sable, d’une part, et la non-maîtrise des courants marins de l’océan, d’autre part, portent un grand préjudice à la qualité des eaux des plages de baignade à Harhoura, très fréquentées par les estivants venant de tous les autres territoires de la région. Redal avait cherché, par tous les moyens, à réaliser les travaux nécessaires à ce déversement des eaux pluviales en mer alors même que ses services savaient que le projet était en totale contradiction avec les termes des Lois du Littoral (n°81-12), de la charte nationale de l'environnement et du développement durable (n°99-12) et des Etudes d’Impacts sur l’Environnement (n°12-03). Aussi, elle a cessé les travaux sur le réseau de conduite des eaux pluviales le jour où elle a reçu une missive de l’Agence Nationale des Ports (ANP) lui indiquant que le site de Sidi-El Abed et de Sables d’Or est prévu pour la réalisation d’une grande Marina et que son projet de collecteur était susceptible de porter atteinte aux infrastructures portuaires, à la sécurité de la navigation et à l’environnement.

Si Redal a arrêté ses travaux d’assainissement des eaux pluviales, suite à une pression extra-communale, elle continue, par contre, à ouvrir les vannes en eau de la commune de Harhoura pour arroser les très grandes surfaces des espaces verts tout au long de la route côtière. L’opération d’arrosage est confiée à des sous-traitants qui se mettent à l’ouvrage tous les jours, souvent en pleine soleil, notamment durant la saison chaude. Ces pratiques se déploient au vu et au su de tout le monde au même moment où on parle de stress hydrique dans le pays, où on essaie de sensibiliser la population à économiser l’eau et où le ministère de l’Intérieur a demandé, par la voie de la circulaire n° 1937 du 17 février 2022, à tous les distributeurs d’eau des zones en tension de réduire la pression dans les canalisations, stade ultime avant les coupures nocturnes. Le ministère de l’Equipement et de l’Eau a fait récemment de même pour annoncer la crise hydrique de l’eau et la nécessité de la rationnaliser. Cette pratique d’arrosage des pelouses vertes sur des kilomètres tout au long des abords des routes est plus qu’aberrante. Nous vivons actuellement un contexte très difficile après plusieurs années successives de sécheresse et un déficit des apports en eaux de plus de 60% par rapport à la moyenne. La prise de conscience générale du déficit en eau exige de la part des autorités compétentes de s’éloigner de telles pratiques et de trouver des solutions alternatives aux usages des eaux.   

Les courtes visions, en matière de développement des territoires, impulsées par des mobiles spéculatifs et des intérêts mercantiles contribuent à faire apparaître rapidement les menaces sur les écosystèmes écologiques. En l’occurrence, le Littoral, ici en question, malgré l’effectivité de la Loi (n°81-12), continue de subir des agressions multiples. Le cas  de l'embouchure de l’Oued Ykem, située sur le même territoire de Harhoura, est sur ce registre édifiant. Le projet du complexe résidentiel et touristique baptisé ARZANA sur la falaise rocheuse d’Oued Ykem à Val d’Or (13ha), aujourd’hui quasiment achevé, s’est bâti au détriment de l’environnement et de la santé des citoyens. Au tout début, cette surface avait été accordée par la commune, sur la base d’une dérogation, pour réaliser des terrains de Tennis en terres-battues. Sur ce site, le projet ARZANA, dans sa phase de construction en béton, avait été également contesté par les associations situées sur le territoire de Harhoura en alertant sur les impacts négatifs d’une aussi grande construction (Cf. requête de l’AAFLH dans le cadre de l’Enquête publique du 12 décembre 2013 du Projet ARZANA, arrêté n°1123/13, consignée dans les registres de l’autorité locale). Les risques majeurs, qui avaient été signalés à l’époque, montraient que le projet pouvait induire des impacts négatifs sur le cadre bâti dans l’aire urbaine de Harhoura, sur les sols et les eaux souterraines, sur la faune et la flore et sur l’environnement et la santé des citoyens. En effet, lorsque les eaux pluviales et usées se déversent sur les oueds, souffrant souvent des effets polluants rejetés en amont par les entreprises, et dans la mer, elles contaminent les plages et les eaux de baignade. Ce projet ARZANA, avec son extension, a généré d’autres projets de construction limitrophes dont les impacts sur l’écosystème marin et naturel est patent.

La gouvernance locale, au sein des communes, en interne, souffre du bas niveau des pratiques du personnel et élus locaux. Bien qu’elle dispose de ressources humaines pléthoriques, l’administration communale manque, toutefois, de personnel qualifié en matière des nouvelles technologies de l’information et de la communication en vue de se doter de bases de données et communiquer avec les citoyens de son territoire. Dans les communes, s’observe souvent l’absence d’une adéquation entre postes, profils et qualifications. Ce manque de qualification des responsables et administrateurs contraint considérablement le processus de management de l’institution communale.

Par ailleurs, le personnel administratif dominant au sein des entités communales n’a pas le même statut que les fonctionnaires titulaires dans les autres administrations publiques. Il ne bénéficie pas des mêmes avantages au niveau des salaires et n’ont pas les mêmes droits accordés au personnel de la fonction publique, d’où leur démotivation. Beaucoup de fonctionnaires, atteignant l’âge de la retraite, quittent ces dernières années l’administration communale. Faute de la disponibilité de postes budgétaires, ceux-ci ne sont souvent pas remplacés par des personnes qualifiées pour assurer les missions dévolues et assumer les responsabilités municipales. Signalons ici que beaucoup de communes n’ont pas d’ingénieurs. Lorsque, parfois, le recrutement est possible, les personnes retenues ne sont pas forcément qualifiées pour gérer la chose publique locale. Le clientélisme local fonctionne alors à plein à ce niveau pour appuyer les candidatures aux postes vacants. Bon nombre de fonctionnaires tiennent, par ailleurs, à occuper et durer dans des postes spécifiques leur permettant d’accéder à l’argent illicite de la corruption. C’est le cas des services chargés des passations des marchés privés, des achats du matériel communal, de l’hygiène et de livraison d’autorisations d’urbanisme par le moyen des dérogations. La corruption, au sein des communes, passe aussi par les indemnités de déplacement accordées à certains fonctionnaires sans la contrepartie d’un travail accompli.

Une des grandes défaillances du travail communal réside aussi dans la méconnaissance, dont font preuve la plupart des élus et des fonctionnaires, des relations qu’il faut entretenir avec les acteurs de la société civile. Ils n’engagent jamais le tissu associatif dans les débats en lien avec le développement local, et encore moins dans la gestion des affaires communales. Les conseils des collectivités territoriales ne disposent pas de mécanismes participatifs de dialogue et de concertation pour favoriser l’implication des citoyens et des associations dans l’élaboration des programmes de développement et leur suivi. Ils ne cherchent jamais à améliorer les capacités des associations de sorte qu’elles puissent agir comme acteurs de changement et qu’elles promeuvent des approches novatrices du développement. Par ailleurs, les conditions d’accès au financement municipal, prévu par les budgets des communes, suivant des modalités équitables et transparentes, ne sont pas réunies. Dans les faits, beaucoup de conseils exercent une fonction palliative, sinon substitutive, aux services publics. Et en contrepartie de maigres subventions sporadiques que les conseils accordent parfois à certaines associations locales, on leur fait jouer le rôle de figurants lors des sessions communales annuelles ou de rencontres publiques.   

3. Exigences de la bonne gouvernance et de la démocratie

Comment peut-on, dans un tel contexte, prétendre enclencher un processus vertueux de progrès sachant que la mission de l’administration communale est d’une importance capitale en matière de développement ? L’accomplissement de toutes les tâches municipales, dans un environnement caractérisé par l’augmentation continue des besoins des citoyens, suppose de disposer d’une administration performante, efficace et efficiente aussi bien sur le plan des ressources humaines que sur celui des équipements et autres outils de gestion.

La gestion dans les communes demeure, comme cela a été mentionné plus haut, médiocre et loin de satisfaire les besoins des citoyens. Aussi, elle gagnerait en efficacité si elle s’écartait des pratiques inertes d’une administration qui génère des attitudes passives et illicites pour se mettre réellement au service du développement économique et social en faveur de la population et de leur territoire.

Dans un système où manquent drastiquement les moyens d’une bonne gestion saine et pérenne de la chose locale, on ne peut, en aucun cas, réunir les conditions de la démocratie locale. L’absence de transparence rejaillit sur la confiance des citoyens et prive les élus de toute légitimité. De plus, elle n’incite guère la population à s’acquitter de ses obligations. Dans le cadre de la démocratisation, la question de la légitimation des élus politiques par la volonté déclarée des citoyens est fondamentale.

L’instauration, donc, d’un ordre démocratique peut offrir le climat nécessaire à l’apparition et à la poursuite du processus de développement et l’éclosion d’une élite urbaine à même de gouverner les villes et territoires. Les affaires publiques doivent être menées de la manière la plus transparente possible. Ceci permet aux citoyens de pouvoir vérifier si la politique est en accord avec ses promesses. Le développement et la démocratie s’épaulent mutuellement. Les actions du développement sont les meilleurs appuis à une démocratie qui dure. Le développement n’est réellement fécond que lorsqu’il est irrigué par les ressources de la démocratie. La liaison entre les deux n’opère véritablement  que lorsque les conditions d’un fonctionnement efficace des institutions de la démocratie sont durablement réunies.

Dans cette perspective, l’Etat devrait, pour donner au mandat d’un élu sa noblesse politique, agir en vue d’inciter les partis politiques à créer un environnement favorable pour propulser au-devant des jeunes imbibés de la culture démocratique et du savoir-faire en gouvernance. L’Etat pourrait aussi prendre ses distances pour favoriser une ascension sociale et politique saine des élus locaux. Dans ces conditions, le mandat local/régional d’un élu peut le propulser à des lendemains politiques meilleurs.

Conclusions et perspectives

Au terme de cette analyse, nous pouvons conclure que les pannes organisationnelles locales sont le fruit d’une vision des acteurs partielle et simplifiée à l’excès des processus en jeu. La présence très forte des autorités de tutelle dans tout le processus de gestion, la faiblesse administrative des moyens humains et le faible niveau d’instruction des élus locaux sont autant de contraintes qui entravent la mise en œuvre efficace des politiques locales de développement. Au territoire, il faut une certaine capacité et une certaine légitimité pour servir de cadre à l’action et à la mobilisation.

Cette situation générale, caractérisée par un système où il y a un manque de compétences humaines capables de mener des projets de progrès sur leur territoire, est qualifiée, aujourd’hui, par le vocable de l’ineptocratie. C’est «un système où les compétences des inaptes se limitent à permettre au système de perdurer tel qu'il est, afin de continuer à favoriser leur caste. Ce système favorise les gens les moins capables de gouverner d’être élus par des gens les moins capables de gagner leur vie, tandis que les personnes productives se voient voler le résultat de leur production pour entretenir des gens qui sont incapables de faire quoique ce soit».

Or, l’enjeu du développement exige de la part des communes, en tant qu’entités de la décentralisation, d’avoir des ressources humaines très qualifiées pour jouer le rôle pivot d’anticipation en la matière.

La gouvernance requiert de la synergie, de la concertation, la coordination et la coopération entre tous les acteurs intervenant sur un territoire, avec comme devise la réalisation de l’intérêt général. La fabrication territoriale est une savante alchimie au service d’un projet porté par une coalition territoriale. En agissant pour l’intérêt général, d’une manière volontariste, consciente, organisée et transparente, les acteurs communaux participent à la construction sociale qui est, bien évidemment, l’un des processus produisant les formes de progrès et du changement (10). La bonne gouvernance s'appuie sur une confiance accrue entre gouvernants et citoyens, permise par un meilleur accès à l'information et à la transparence. Dans le contexte public local, l’information joue, en effet, un rôle central, par exemple au travers des exercices de diagnostic territorial, qui influe à la fois sur la définition des actions et sur les processus de participation des acteurs autour des problématiques du partage des connaissances et de leur valorisation au niveau local. Différents dispositifs de communication peuvent être mobilisés pour maintenir un lien plus ou moins étroit avec les parties prenantes : les débats publics, les consultations ou plateformes en ligne, les sites Internet, les dossiers, les newsletters, les rapports d’activité, les communiqués ou les conférences de presse. Parce qu’ils ont une responsabilité directe vis-à-vis des populations et des comptes à leur rendre, les acteurs communaux doivent être des interlocuteurs privilégiés de tous les autres acteurs intervenant sur leur territoire et particulièrement les ONG. Il y a là une exigence essentielle de cohérence et de transparence.

La production contemporaine des territoires locaux n’obéit donc pas à l’encadrement administratif du territoire d’un côté et à la gestion des services publics municipaux de l’autre, mais plutôt à une logique de recherche des territoires multiformes du développement, au sens d’espaces de mobilisation des différents acteurs potentiels du développement autour d’un projet (11). Deux mots d'ordre qui se déclinent en de multiples interprétations, accompagnent, justifient et encouragent ces mutations : "gouvernance" et "développement durable". La pérennité, dans le processus du développement, est devenue une référence obligée de toute politique ou démarche contemporaines de développement (12). Dans cette perspective, le développement prend en compte le long terme dans les opérations d'aménagement ou de développement local. Celui-ci s'opère en introduisant une gestion rationnelle et intégrée des ressources qui s'appuie sur une gestion territorialisée de processus globaux, avec un éventuel transfert d'expériences et un appui méthodologique (13). Il ne s'agit donc pas d'un aspect du développement ou d'une condition du développement, mais d'une manière de faire du développement.

La prise en charge des questions de développement local, participatif et durable, nécessite de passer, donc, d’une ‘’logique de guichet’’ à une ‘’logique de projet’’. Les ‘’projets de territoire’’ devraient animer les nouvelles aires communales dans la double coopération de gestion et de projet. Les outils de ces missions sont la contractualisation entre les différents niveaux impliqués dans le développement local et la territorialisation systématique des politiques publiques dans des cadres spatiaux harmonisés. C’est la voie qui permet d’adapter les politiques d’aménagement et de développement à la décentralisation tout en donnant un rôle majeur aux collectivités territoriales (14). De plus, elle constitue une adaptation aux principes de gouvernance et de durabilité par l’association d’acteurs institutionnels et de la société civile d’échelles différentes et par l’inscription du projet dans le temps avec construction de collectifs pérennisés pour l’accompagnement du projet (15). C’est cette mobilisation et cet engagement des acteurs locaux qui est susceptible de compenser le déficit démocratique et de renouer avec la confiance réciproque entre les partenaires. Il s’agit, en somme, de reconnaitre et d’inventer des échelons et de cadres territoriaux politiques subsidiaires, qui se substituent aux autres pour des fonctions de régulation potentielle des efforts de développement.


Références bibliographiques :

(1) Mohamed El Merghadi, 1997, ‘’Etat et symbolique du développement territorial’’, in A. Sedjari (éd), Recherches des Territoires, éd. L’Harmattan
 
(2) Rapport OCDE, 2017, ‘’Le rôle des élus au sein des communes du Maroc : vers une gouvernance locale plus proche des citoyens’’
 
(3) L. Jennan, 1999, ‘’Le Maroc, de l'administration territoriale à l'aménagement de l'espace’’ in Régions et régionalisation au Maroc. Nouvelles bases et enjeux du développement, Jenan L. (dir.), (10th Colloquium of Sefrou), Sefrou : Publication du Conseil Municipal, 3-20

(4) Driss Basri, 1984, ‘’L’administration territoriale au Maroc : Ordre et développement’’, Thèse de doctorat, Université de Grenoble

(5) Fondation Heinrich Böll Stiftung ,  2015, ‘’L’expérience communale au Maroc, de la Jemâa à la libre administration’’

(6) Mohamed Naciri, 1985, ‘’L’aménagement de l’espace territorial au Maroc : lieux d’autonomie et centralisation étatique’’, in P.-R. Baduel, Etats, territoires et terroirs au Maghreb, Paris, CNRS
 
(7)  ‘’Programme de formation’’, novembre 2021 (conçu à la lumière des  dispositions des lois organiques n° 111-14, 112-14 et 113-14, relatives respectivement aux Régions, Préfectures et Provinces et Communes et du décret n° 2-16-276 du 29 Juin 2016, fixant les modalités d’organisation des sessions de formation continue au profit des membres des Conseils des collectivités territoriales)
 
(8) A. Bourdin, 2000, ‘’La question locale’’, Paris, PUF
 
(9) Aziz Iraki (éd.), 2020, ‘’Des élites de proximité au Maroc. Renouvellement ou hybridation de l’élite locale’’, Paris, L’Harmattan
 
(10) C. Gilette, E. Bonerandi & Y. Tayab (eds.), 2000, ‘’Les territoires locaux construits par les acteurs’’, Lyon: Géophile-ENS

(11) M. Vanier, 2003 : "L'invention des territoires ; de la dispute au bien commun" in La mosaïque territoriale, enjeux identitaires de la décentralisation, J. Beauchard (ed.)., La Tour d'Aigue : Editions de l'Aube, 123-135

(12) J. Ruegg, 2003 "Développement durable, enjeux pour la pratique de l'aménagement du territoire" in Développement durable et aménagement du territoire, A. Da Cunha & J. Ruegg (eds.), Lausanne: Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, 167-183

(13) A. Faure, 2001, “L'action publique locale entre territorialisation, territorialités et territoires”, Cahiers Lillois d'Economie et de Sociologie, numéro spécial : les nouvelles politiques locales, 27-46

(14) A. Dubresson & Y.-A. Faure (eds.), 2005, ‘’Décentralisation et développement local un lien à repenser’’, Revue Tiers-Monde XLVI (181)

(15) F. Gebrati, 2004, ‘’La mobilisation territoriale des acteurs du développement local dans le Haut-Atlas Occidental’’, Thèse de doctorat en géographie, Grenoble : Université Joseph Fourier
 
 
 

Mounir Zouiten
PES, retraité de l’UM5 de Rabat