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Sport

Le Hrig chez les sportifs


Rédigé par AB le Mercredi 30 Octobre 2019

Nos athlètes de plus en plus sensibles à l’appel du large

Après l’immigration des bras et la fuite des cerveaux, voici venu le temps de l’exode des sportifs.



L’image a fait le tour du monde, semant émoi et stupéfaction. C’est celle du Taekwondowiste Anouar Boukharsa, à bord d’une patera, qui jette sa médaille obtenue de haute lutte dans la Méditerranée. Cette image iconique se passe de tout commentaire. Elle renseigne sur le malaise que ressentent nombre de Marocains écrasés par le manque de perspectives dans leur pays et qui risquent chaque jour leur vie, bravant les vagues de la mer et de l’océan, dans l’espoir d’un avenir meilleur sous d’autres cieux. Cette image renseigne surtout que nul n’est plus à l’abri de ce genre de tentations, même pas les sportifs médaillés.
 
Pratiques inefficaces et illégales

L’acte d’Anouar Boukharsa n’est en effet nullement isolé. Avant lui, d’autres sportifs plus ou moins connus ont fait ce choix de l’exode. Ce qui change c’est la méthode de traversée. Au lieu du moyen ultime et dangereux qu’est la patera empruntée par notre champion de Taekwondo, les sportifs marocains optaient, autrefois, pour des méthodes moins risquées. Nous nous souviendrons à ce propos de ces footballeurs, de ces rugbywomen, puis de ces lutteurs qui, à la faveur d’un stage ou d’une compétition à l’étranger, ont choisi de ne pas revenir au pays. Face à ce genre de comportements, les instances dirigeantes du sport national, au lieu de s’attaquer au fond du problème, ont souvent privilégié d’en traiter les symptômes.
 
Plusieurs sportifs sondés par « L’Opinion » nous ont ainsi révélé que durant les dernières années, les stages ou compétitions à l’étranger sont devenus synonymes de libertés surveillée.

« Passeports confisqués, signature d’engagement au Maroc ou carrément remise de chèques de garantie, en plus de l’enfermement à double tour et la surveillance constante des moindres faits et gestes dans les lieux de séjour à l’étranger, c’est entre autres pratiques inefficaces, certaines des mesures de plus en plus mises en œuvre par les fédérations et les clubs sportifs marocains lorsqu’ils se déplacent dans des pays où la tentation du Hrig est grande», nous révèle sous le sceau de l’anonymat un cadre du ministère des Sports marocain qui ajoute : «En plus d’être inefficaces, ces pratiques sont parfois illégales ».

Comment dès lors juguler l’hémorragie du Hrig parmi nos sportifs, autrement que par ces moyens policiers dignes de l’époque soviétique ? « C’est en améliorant les perspectives de ces jeunes qu’on peut les inciter à rester dans leur pays », nous répond un sportif professionnel retraité qui ajoute : « La carrière d’un sportif est éphémère. Ceux qui parviennent à se constituer un pécule ou à lancer un fonds de commerce pour parer à la précarité de fin de carrière ne sont pas légion. Les images de sportifs morts dans la misère absolue émettent un signal décourageant aux futurs champions, tandis que le manque de garanties sociales ainsi que les manœuvres frauduleuses qui ont cours dans le milieu sportif, contribuent à une crainte réelle de l’avenir ».

Truffé de promesses, le Dahir n°1-10-150 du 24 août 2010 portant promulgation de la loi n°30-09 relative à l’éducation physique et aux sports, tarde à voir ses dispositions réellement mises en œuvre sur le terrain. Parmi ces dispositions, la restructuration des clubs et associations sportives sous forme de sociétés, avec tout ce que cela implique comme garanties sociales et professionnelles pour les sportifs, reste de l’ordre de l’anecdotique neuf années après la promulgation de cette loi. D’autres dispositions visant à favoriser le recyclage professionnel des anciens sportifs au travers de filières sport-études, sans oublier celles donnant la priorité aux anciens champions pour l’intégration dans la fonction publique et celles instituant un système de retraite en faveur des sportifs, demeurent-elles aussi sans effets notables. Alors même que ces dispositions ont montré leur efficacité sous d’autres cieux. 
 
 

Le blues des sportifs

Exposées à des jeunes sportifs en formation, ces dispositions prêtent presque à sourire, tant elles s’apparentent à une sorte d’utopie. « Dans mon entourage proche, la quasi-majorité des jeunes ne pensent qu’à l’étranger. Mais on sait tous que si le nombre de candidats se compte par milliers, celui des élus ne dépasse pas la dizaine par année. Certes, avec le développement de la Botola pro durant les dernières années, les primes et salaires ont connu une incontestable augmentation. Mais la peur concerne surtout l’après carrière et dans ce registre, le doute et la peur de l’avenir sont la règle », nous dit Hamada, jeune pousse du FUS.

Même son de cloche dans le milieu des arts martiaux, dont plusieurs pratiquants nous ont révélé l’existence d’un vrai trafic en la matière. « Quand j’étais au Maroc, nos perspectives d’avenir se limitaient à l’espoir d’une carrière de garde du corps. Mais la plupart finissaient en videur de bars ou de cabarets », explique Hafid, Judoka expatrié en Belgique, qui ajoute : « Pour autant, je ne comprends pas le comportement d’Anouar Boukharsa.

Au lieu de risquer sa vie dans une traversée périlleuse à bord d’une Patera, il aurait pu s’arranger pour faire figurer son nom sur la liste d’une équipe ou d’une délégation en partance vers l’Europe ou les Etats-Unis. Son statut de champion lui aurait facilité la tâche. En plus, le prix à payer est à peine plus élevé que celui de la traversée en patera, le risque en moins ».


Dans cet ailleurs convoité par les sportifs marocains, les perspectives ne sont pourtant pas aussi roses qu’ils le pensent. « Lorsqu’on fait le choix du Hrig, il ne faut pas s’attendre à une carrière sportive sous les couleurs du pays d’accueil. Loin s’en faut. A ma connaissance, jamais un sportif marocain ayant migré illégalement ne s’est retrouvé dans l’effectif d’un club ou d’une sélection nationale. Les perspectives se limitent à des postes de sparring-partner, de préparateur physique dans des petits clubs, voire même de videur ou simple chauffeur de taxi », regrette Hafid avant de conclure :

« Malgré tout, ça reste plus avantageux que de finir sa vie dans la rue, sans le sou » …Tristement vrai !

 
Lamia EL HACHIMI







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