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La queue!


Rédigé par Mohamed Lotfi le Vendredi 19 Décembre 2025

Allez savoir pourquoi, depuis hier, deux images qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre s’imposent à mon imaginaire. J’essaie de les dissocier, mais par un grand mystère, elles continuent de marcher ensemble, l’une à côté de l’autre. Elles se frôlent, se touchent, et par moments, elles se rentrent dedans. J’ai beau me convaincre qu’il n’existe aucun lien entre elles, elles persistent à occuper mon esprit, avec une obstination silencieuse.



Chacune de ces deux images est dominée par un personnage sorti tout droit du fil de l’actualité. Le premier s’appelle Ahmed, le second Sarkozy. Deux noms, deux trajectoires, deux récits, que rien ne semble devoir rapprocher. Les images d’Ahmed ont fait le tour du monde, elles le montrent en train de sauver des vies, avec des gestes simples, presque modestes, mais déterminants. Les images de Sarkozy le montrent en train de saluer des gens, beaucoup de gens, rassemblés pour attendre un signe de sa main, une signature apposée sur le dernier livre qu’il venait de lancer.

Une queue aussi longue qu’un train se déroulait le long d’une rue, avant de tourner encore une cinquantaine de mètres vers la librairie Lamartine, au seizième arrondissement de Paris. Tout ce beau monde attendait que l’ancien président de la République leur fasse l’honneur de sa signature. Il y avait là de la patience, de l’enthousiasme, de l'admiration à l'égard d'un premier président de la 5e république, condamné par la Justice. La scène semblait presque banale, tant elle rappelait d’autres files d’attente, d’autres écrivains, d’autres célébrités. Et pourtant, un artiste surréaliste aurait reproduit une telle scène, dans un tableau ou un film, il n'aurait pas mieux imaginé.

Quatre jours seulement séparent ces deux images, qui depuis hier, se bousculent dans ma tête. Le 10 décembre et le 14 décembre. L’une à Paris, en France, et l’autre à Sydney, en Australie. Je cherche le lien entre ces deux dates, avec une insistance qui frôle l’obsession. Il faut que je le trouve, sinon, rien n’a de sens. Dans les deux événements, il y a un élément commun, mais lequel ?

Peut-être celui de la surprise. La surprise de constater que la justice peut condamner un homme pour un crime grave, sans que cela n’affecte réellement sa popularité. La surprise aussi de découvrir qu’un homme musulman puisse avoir le courage immédiat et instinctif de sauver des vies de personnes de confession juive, alors que Gaza nous envoie des images inverses. Là où tant d’autres auraient détourné le regard, Ahmed a agi dans le bon sens. Peut-être est-ce cela le lien ? Je n’en suis pas sûr. Je reste prisonnier de ces deux images, et je continue de chercher.

Une autre idée s’impose lentement. Celle de la mort de personnes innocentes. Elle plane sur les deux scènes, comme une ombre invisible. Le vrai crime de Sarkozy, aux yeux de beaucoup, est d’avoir joué un rôle majeur en 2011 dans la chute d’un pays, d’avoir contribué au chaos libyen, et d’avoir laissé derrière lui des ruines et des morts sans visage. Ahmed, lui, sans pouvoir, sans titre, sans tribune, n’était qu’un simple vendeur de fruits, qui passait par là, ce 14 décembre, au bord d’une plage australienne. En voyant un homme armé tuer des gens, il a fait ce que Sarkozy n’a jamais fait. Il a agi, sans calcul, sans discours, sans arrière-pensée, sans prétention.

Peut-être parce que tout les oppose que ces deux images finissent par faire sens ensemble. La vie et la mort ont parfois une drôle de façon d’occuper l’esprit d’un pauvre humain.
 
 



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