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Culture

La littérature maghrébine à genre unique cherche ses nouvellistes


Rédigé par Abdallah BENSMAÏN le Mercredi 30 Juin 2021

La nouvelle est un genre peu fréquenté par les écrivains maghrébins. Autant la poésie, le roman et le théâtre ont fleuri, autant la nouvelle a, à peine, bourgeonné sans donner les fruits que l’on pouvait légitimement escompter.



La nouvelle n’est pas le roman dirait Lapalisse… et peu de romanciers s’y aventurent. Au Maroc, Driss Chraïbi y a bien trempé sa plume mais sans lendemain. Autant son oeuvre romanesque est importante autant le nouvelliste s’est arrêté à une sorte de tentative avec « D’autres voix », paru à l’origine sous le titre « De tous les horizons », sans échos ni avenir. Ce recueil édité à la fin des années 50 semble montrer en fait que ce sont des écrits de jeunesse réunis pour la bonne cause de la littérature, mais dont les parties semblent constituer des « romans » dans le roman.

La nouvelle apparait ainsi comme une sorte de fragment de roman ou un roman en fragments dont les personnages et les lieux s’imposent mais ne s’interpellent pas. D’ailleurs, le classement « D’autres voix » semble poser un problème de genre et dans la biographie officieuse de Driss Chraïbi, « D’autres voix » n’est pas classé dans le genre « nouvelle » mais est répertorié comme « texte radiophonique ». L’autre singularité de ce recueil est le pluriel que l’on retrouve aussi bien dans sa version originale « De tous les horizons » que dans sa réédition au Maroc sous le titre « D’autres voix » ? Le titre a peut-être été modifié par souci marketing mais le pluriel est resté comme une évidence pour exprimer une certaine pluralité de « romans dans le roman ».

C’est une hypothèse qui vaut comme question et comme question seulement… L’autre auteur maghrébin à s’être essayé à la nouvelle sans lendemain est Rachid Mimouni dont « La ceinture de l’ogresse » n’a pas ouvert la route à une succession de recueils de nouvelles mais a sans doute contribué à en faire un des romanciers les plus importants du Maghreb, aux côtés de Tahar Ben Jelloun, Yasmina Khadra et Rachid Boudjedra. Aussi bien Driss Chraïbi que Rachid Mimouni sont restés dans un registre classique de la narration… et de l’inspiration.

Abdelfattah Kilito sur le cheval de Nietzsche
 
Ni Driss Chraïbi ni Rachid Mimouni ne s’est essayé à la marge pour faire de la nouvelle une sorte d’émancipation par rapport à leur art majeur qu’est le roman que l’on peut qualifier d’un certain classicisme de bon aloi dans l’environnement social, historique, culturel et littéraire des années 50 à 80 pour l’auteur de « Le passé simple », qui tentera le diable de l’écriture par le roman policier également, 60 à 90 pour l’auteur de « L’honneur de la tribu » et de « Une peine à vivre », apparemment, unique roman de la dictature dans le roman maghrébin.

La génération des auteurs actuels n’a pas tourné le dos à la nouvelle, mais encore une fois elle n’en fait pas sa pitance principale. Kamel Daoud remarqué par « Meursault contre-enquête » a publié « La préface du nègre » et Issam-Eddine Tbeur « Rires et insignifiance à Casablanca », Tbeur à la différence de Daoud, n’a pas de roman à son actif et se réclame de ses fréquentations de l’oeuvre d’Edgar Poe dont le lecteur retrouvera, d’ailleurs, les traces comme des sortes d’hommage au père du roman policier moderne. Dans la veine des nouvellistes, Salah Garmadi, tôt disparu, mérite une mention à part avec sa nouvelle « Le territoire humain », parue dans la revue Alif.

La révolution de la nouvelle maghrébine n’est donc pas venue de Driss Chraïbi ou de Rachid Mimouni. Ni l’un ni l’autre n’a donné une oeuvre majeure à l’image d’Edgar Poe, avec « Histoires extraordinaires », traduites par Charles Baudelaire, ou Borges, avec « Fictions ». « La métamorphose » de Kafka n’est peut-être pas une nouvelle mais se situe entre la nouvelle et le roman, par sa brièveté et par sa trame qui la maintiennent en quelque sorte au milieu du gué, une sorte d’indécision littéraire qui fait le bonheur des analystes. 

Poe a donné à la psychanalyse un de ses matériaux les plus significatifs et les plus analysés, à la confluence de la linguistique saussurienne que supporte le signe, et l’inconscient freudien qui peut se donner à lire dans ce qu’il y a de plus évident alors qu’on le suppose caché : La lettre volée que la police ne retrouve pas malgré toute sa sagacité car, précisément, cette lettre volée n’est pas cachée aux regards mais déposée en évidence au regard du premier venu…

Abdelfattah Kilito dans « Le cheval de Nietzsche », égal à lui-même, ne fait pas dans la demi-mesure : l’héritage de Borges est clairement assumé. Il ne s’agit pas de faire « comme… », dans une sorte de pâle copie, mais de réussir dans les formules qui font la force de J.L Borges, l’érudition et l’appui sur la dimension fantastique des destins, de prime abord, communs mais fondamentalement autres.

S’il est dit que Borges est l’un des « 5 auteurs modernes qu’il faut avoir lus », Abdelfattah Kilito, de la trempe de Abdelkébir Khatibi, même s’il n’est pas romancier, est l’un des rares auteurs maghrébins qu’il faut avoir lus : Kateb Yacine, Driss Chraïbi, Abdelkébir Khatibi, Rachid Boudjedra, Tahar Ben Jelloun, Mahi Binebine, Mohamed Leftah, Kamel Daoud, Rachid Mimouni, Yasmina Khadra, Ahmed Boukous et Atika Benzidane pour la première oeuvre. Et si j’en ai oublié, j’en appelle à Abou Nouwas pour expliquer que l’oubli, comme le montre également la psychanalyse, est du registre du temporel, en somme du possible, souvent raisonné, rarement à l’insu, et seulement !
 
Abdallah Bensmaïn







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