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La Marche Verte dans « La mémoire d’un Roi »


Rédigé par L'Opinion Dimanche 6 Novembre 2022

Le 06 novembre 1975, feu S.M. Hassan Il annonçait le départ de la plus grande marche pacifique de l’Histoire, la Marche Verte à laquelle avaient participé 350.000 Marocains. Cette marche a permis la libération de nos provinces du Sud et la réintégration par nos compatriotes sahraouis de la mère-patrie. Elle a ainsi mis fin à près de trois quarts de siècle de colonisation et d’occupation et a permis à notre pays de parachever son intégrité territoriale dans ses frontières du Sud.



En fêtant, dans la joie et l’allégresse, l’anniversaire de cet événement grandiose, il s’avère opportun de rappeler à nos lecteurs comment est née l’idée de cette marche et la manière dont elle a été organisée à travers les propos du maestro de cette héroïque épopée recueillis par Eric Laurent dans son livre « Hassan Il : La mémoire d’un Roi », et présentés intégralement.


-En juillet 1975, les Espagnols ont décidé d’accepter un transfert de souveraineté du Sahara. Comment avez-vous réagi ?

-Nous avons protesté en introduisant un recours dans la Haute Cour Internationale de Justice de La Haye. L’Espagne s’est trouvée obligée d’attendre l’arrêt de cette Cour.


-Les auditions devant la Haute Cour se sont poursuivies jusqu’à la fin du mois d’août 1975. Le jugement devait être rendu le 16 octobre. Entre temps, qu’avez-vous fait ?

-Le 20 août, je devais prononcer le discours annuel commémorant notre départ en exil. La veille encore, je me demandais : « Mais qu’est-ce que je vais pouvoir raconter ? «. Le soir, j’ai fait ma prière et je me suis endormi. Soudain, en pleine nuit, je me suis réveillé avec une idée qui m’a littéralement transpercé la tête. J’ai songé : « Tu as pu observer des milliers de personnes qui manifestaient dans toutes les grandes villes en faveur du Sahara. Alors pourquoi ne pas organiser un gigantesque rassemblement pacifique qui prendrait la forme d’une marche?». A cet instant, je me suis senti délivré d’un grand poids.

Dans mon discours, le lendemain, je m’en suis tenu à des généralités, puis, immédiatement après, j’ai convoqué le ministre du Commerce et le ministre des Finances auxquels j’ai déclaré : « Voilà, le Ramadan risque d’être dure cette année; la récolte a été moyenne. Pourriez-vous prévoir des stocks de sécurité ? Si nous avions besoin de mettre sur le marché des réserves de nourriture, ces stocks nous permettraient de maintenir un certain prix. Pas de problème. Quelles quantités ? Un à deux mois de réserves ». Ils n’avaient rien deviné, c’était parfait.

Le lendemain, j’ai convoqué ceux qui allaient devenir les trois responsables de la Marche Verte : le général Achahbar, l’actuel intendant secrétaire général, le général Bennani, du troisième Bureau, et le colonel major Ziati, du quatrième Bureau. Je leur ai fait prêter serment de ne rien divulguer, même s’ils n’étaient pas d’accord et je leur ai expliqué comment je voyais cette Marche Verte. Je voulais qu’il y ait 350.000 participants. Ils m’ont demandé pourquoi ce chiffre. Je leur ai expliqué ceci : « C’est très simple. Il y a 350.000 Marocains qui naissent chaque année. Nous n’effectuerons donc pas un prélèvement important sur la population. Ils ont immédiatement été emballés par l’idée et se sont mis au travail, tous les trois, sans secrétaire, sans ordinateur. Rédigeant tout à la main. Il fallait calculer avec précision le nombre de pains nécessaires pour nourrir 350.000 personnes, la quantité de bougies indispensables pour éclairer les camps. Nous avons ainsi travaillé, tous les quatre, dans le plus grand secret jusqu’au début du mois d’octobre. Là, il a bien fallu que le gouvernement soit mis à son tour dans la confidence ainsi que les gouverneurs, pour qu’ils ouvrent des bureaux permettant d’accueillir les volontaires.


-Pourquoi avoir tant tardé à prévenir le gouvernement?

-Parce qu’il est plus facile de conserver un secret à quatre qu’à trente, a fortiori en y ajoutant plus de quarante gouverneurs. Or, une fuite aurait été mortelle et ses conséquences considérables sur le plan international. Puis le 16 octobre est arrivé. La Cour Internationale de La Haye a rendu un arrêt estimant que des liens d’allégeance avaient rattaché, de tout temps, le Maroc au Sahara. C’est alors que j’ai prononcé mon discours lançant la Marche Verte. Je n’avais pas encore fini mon allocution - il était huit heures trente - que déjà, du patio ouvert où je me tenais, j’entendais des clameurs provenant des quartiers proches du palais à Marrakech. Dans toutes les villes et les villages du Royaume, les gens sortent dans les rues en criant : Nous sommes volontaires». C’était un véritable rush. Nous aurions pu emmener un ou deux millions de personnes. Sur les 350.000 volontaires choisis. Nous avons pris 10 pour cent de femmes. Certaines, Nous l’avons découvert après, étaient enceintes. Nous avons eu onze naissances et pas une seule mort pendant un mois et demi.


-Certains dirigeants étrangers n’ont-ils pas manifesté de l’inquiétude devant votre initiative?

-Officiellement, personne n’a cru devoir me poser une question. Après tout, si Nous devions aller au casse-pipe, c’était notre affaire. Le Maroc étant totalement mobilisé, toute question eut été saugrenue et aucun chef d’Etat étranger n’a réagi pour demander : « Explique-nous, dites-nous ». Nous avons travaillé tous seuls, rassemblant les couvertures, nourrissant, soignant 350.000 individus pour lesquels on avait acheté d’énormes réservoirs en caoutchouc, afin que l’eau ne manque pas. A aucun moment, les marchés n’ont été déséquilibrés par le fait que les tomates ou la viande n’avaient pas été transportées. Je dormais peu, mais je ne me suis jamais aussi bien porté. J’étais fier de mon peuple. En même temps, je savais que si les choses ne se déroulaient pas comme je le souhaitais, ce serait une catastrophe dont je supporterai seul les conséquences.


-Quel était votre pari en lançant cette marche ?

-Il s’agissait d’un pari psychologique sur lequel tout reposait. Je savais que Franco et son entourage étaient des militaires. Mais s’ils se comportaient comme de vrais militaires, je ne les voyais pas tirer sur 350.000 civils désarmés. En revanche, s’il s’agissait de bouchers... C’était en réalité un affreux chantage, mais un chantage licite, qu’aucune loi ne réprimait.


-Et s’il y avait eu des affrontements et des tueries ?

-Dans plusieurs discours, j’avais mis en garde les marcheurs: «Attention, nous risquons de rencontrer des champs de mines, des chars, des barrages d’artillerie ». Pendant les deux mois où j’ai préparé cette Marche Verte, je n’avais qu’une obsession qui se traduisait par la même question que je posais à tous mes interlocuteurs : « Les jeunes marocains, choyés par le progrès, sont-ils les mêmes que leurs pères ? Iraient-ils au-devant des chars? ». Tous ceux que j’interrogerais me répondaient : « Mais enfin, ils n’ont pas changé. Il s’agit du même peuple ».


-Juan Carlos était-il impliqué dans les négociations ?

-Non. On l’a envoyé aux Canaries pour calmer les officiers, leur expliquer qu’il s’agissait d’une affaire qui prenait désormais une tournure politique et non plus militaire. Le capitane général Valdez, qui commandait les forces espagnoles au Sahara, s’est montré très correct. D’ailleurs, pendant toute la Marche, notre radio n’a pas lancé une seule injure contre l’Espagne. Notre leitmotiv était : « La Cour Internationale nous a donné raison ».


-A partir de quel moment avez-vous décidé de stopper la marche?

-Dès que toutes les parties impliquées se sont rendues compte qu’il valait mieux substituer la diplomatie à la présence sur le terrain. Le plus difficile n’était pas d’arriver à faire marcher les Marocains, mais d’obtenir qu’ils rentrent dans l’ordre et convaincus d’avoir gagné. Mais ils ont obéi. Le Roi Juan Carlos m’a d’ailleurs raconté une anecdote assez amusante. Un journaliste espagnol avait loué un taxi à Agadir pour aller sur le champ. Le chauffeur fait demi-tour. Le journaliste, interloqué, lui dit: « Mais enfin qu’est-ce qui vous arrive ? » Le chauffeur répond: « Le Roi a dit qu’on devait retourner, alors j’obéis ».



 








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