Date dont la symbolique semble prendre de l’ampleur chaque année, la Journée mondiale de l’Eau est célébrée au Maroc et ailleurs, ce vendredi 22 mars 2024. Coïncidant avec le début du printemps, cette Journée, instituée par l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 1993, s’articule chaque année autour d’une thématique bien choisie. « La Journée mondiale de l’eau 2024 a pour thème « L’eau pour la paix ». Lorsque nous coopérons dans le domaine de l’eau, nous créons un effet d’entraînement positif qui favorise l’harmonie, génère de la prospérité et renforce la résilience face aux défis communs. Nous devons prendre conscience que l’eau est non seulement une ressource à utiliser et dont on se dispute l’usage, mais aussi un droit humain, intrinsèque à tous les aspects de la vie. En cette Journée mondiale de l’Eau, nous devons tous unir nos efforts à propos de l’eau et l’utiliser en faveur de la paix, en jetant les bases d’un avenir plus stable et plus prospère », souligne un communiqué de l’ONU.
Guerres de l’eau
Derrière les mots candides de l’organisation, il est possible de comprendre que l’enjeu est d’éviter, autant faire se peut, les guerres de l’eau. Annoncés par un grand nombre de spécialistes en ressources naturelles, mais également en géopolitique, les risques de conflits armés pour le contrôle de l’eau vont prendre de l’ampleur dans le contexte actuel, exacerbé par les impacts des changements climatiques. « Les instances internationales, notamment celles chargées de la sécurité et de la défense, estiment que l’eau va devenir la première source de conflits sur la planète », explique la juriste Nathalie Hervé-Fournereau, spécialiste en droit de l’environnement à l’Institut de l’Ouest, dans un article publié par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Les conflits anticipés peuvent se décliner à diverses échelles, allant du conflit local entre les utilisateurs d’un même territoire qu’aux conflits beaucoup plus larges opposant plusieurs pays qui se disputent les ressources hydriques d’un même fleuve par exemple.
L’exception marocaine
« La relation entre la sécurité sociale et l’accès à l’eau est une réalité bien connue de tous. Dans les territoires arides, ça prend souvent la forme d’une hantise de voir des populations ou des peuples qui s’entretuent pour l’eau.
C’est arrivé dans l’Histoire, et avec les changements climatiques, ce cauchemar n’est pas à exclure », nous explique un expert en gestion intégrée de l’eau, ajoutant que « si au Maroc, des conflits apparaissent encore entre les fractions de certaines tribus autour de l’utilisation des sources hydriques, force est de constater qu’il s’agit le plus souvent de problèmes qui sont rapidement contenus et arbitrés au niveau local ».
Pour les risques de conflits à l’échelle transfrontalière, le Maroc est privilégié de tout point de vue. « Tous les grands fleuves et oueds du Royaume ont leurs sources au sein même du territoire marocain. C’est un atout majeur, qui n’est mesuré à sa juste valeur que par d’autres pays qui dépendent du bon-vouloir de leurs voisins pour accéder à l’eau », poursuit la même source.
Solidarité spatiale
Lors d’une conférence organisée par l’Alliance des ingénieurs istiqlaliens en coopération avec la Fondation Konrad-Adenauer au Maroc, sous le thème « La guerre de l’eau : Le stress hydrique, qui gagnera ?», M. Nizar Baraka, ministre de l’Equipement et de l’Eau, avait par ailleurs évoqué la nouvelle dynamique de solidarité hydrique spatiale qui permettra aux Marocains de faire sereinement face au défi hydrique. Le ministre avait alors évoqué le rôle important que les sociétés régionales multi-services devront jouer pour garantir le droit de l’accès à l’eau au niveau local. Citant une rupture avec un passé où le rural se solidarisait avec l’urbain en le fournissant en eau, M. Baraka a rappelé que la politique de l’eau qui est menée actuellement permettra à l’urbain de se solidariser avec le rural grâce au dessalement de l’eau de mer.
A noter que le Maroc a également développé d’autres solutions de solidarité hydrique, notamment à travers les projets de transfert de l’eau entre les bassins hydrauliques.
3 questions au Pr Laila Mandi, experte dans le domaine de l’eau : « Notre pays avance pour relever le défi hydrique »
Professeur universitaire, membre de l’Académie de l’Eau de France et anciennement directrice du Centre National d’Etudes et de Recherche sur l’Eau et l’Energie, Laila Mandi répond à nos questions.
- Le Maroc a développé plusieurs projets basés sur la solidarité spatiale et l’innovation technique. Quels sont les leviers pour améliorer encore plus notre politique de l’eau ?
Nous avons effectivement plusieurs beaux projets étatiques dans le domaine de l’eau dont nous voyons actuellement l’aboutissement. C’est des success-stories dont nous sommes fiers et qui démontrent que notre pays avance pour relever le dé hydrique. Il convient cependant d’améliorer encore plus les efforts dans certains domaines, notamment la lutte contre le gaspillage de l’eau et le contrôle liés aux stations de traitement et d’épuration. De même, notre pays gagnerait à franchir le pas pour se lancer dans l’utilisation des eaux usées traitées dans l’irrigation de certaines cultures, à l’image de ce qui se fait dans d’autres pays. La collecte des eaux de pluies, le chantier de la tarification, la sensibilisation qui a pour objectif de changer les comportements… Nous avons encore beaucoup à faire, collectivement, pour changer notre rapport à l’eau en tenant compte de sa rareté et de sa valeur réelle.
- Pensez-vous que la recherche et l’innovation dans le domaine de l’eau sont suffisamment développées et encouragées au Maroc ?
La réponse est oui et non. Oui, parce qu’actuellement, nous disposons d’un nombre non-négligeable de solutions innovantes dans le domaine de l’eau qui ont été développées au sein de l’université marocaine, puisque, ces dernières années, nous nous sommes beaucoup orientés vers la recherche et développement. Cela a donné lieu à plusieurs brevets, mais également à la création de start-ups. Cette dynamique se fait cependant dans des conditions souvent difficiles, mais le plus dur est de voir que les chercheurs marocains peinent encore à atteindre l’étape de la capitalisation.
- Qui est le plus responsable de cette limitation ? Les chercheurs ou plutôt les décideurs ?
Je dirai un peu les deux. Nous en tant que scientifiques n’arrivons pas à bien « vendre » ce que nous produisons en termes d’innovation dans le domaine de l’eau. Du côté des décideurs, c’est plutôt un manque d’intérêt par rapport à la recherche scientifique. Il faudrait absolument trouver un compromis pour installer un dialogue et une véritable interface entre la recherche et les décideurs.
Monde : Les ressources en eau potable se raréfient à travers le globe
Dans un contexte international marqué par les impacts des changements climatiques, la raréfaction des ressources en eau potable est un phénomène qui se globalise. Selon les experts de l’Organisation des Nations Unies, cette situation s’explique principalement par l’augmentation de la population urbaine qui de 54 %, actuellement, devrait augmenter de 60% à 92% en 2100. La concentration des populations dans les zones urbaines induit l’augmentation de la production agricole en milieu rural qui capte en moyenne plus de 70% des ressources hydriques disponibles. Le phénomène impose également de nouveaux défis techniques pour le développement des structures d’assainissement et de distribution de l’eau. Au-delà des très grandes villes, cette problématique devrait toucher encore plus les agglomérations de taille moyenne dont les gestionnaires devront relever le défi de l’innovation technique dans le domaine de l’eau. À noter que l’ONU estime que près de 2.1 milliards de personnes au niveau international n’ont pas accès à une eau gérée en toute sécurité.
Géopolitique : Près de la moitié des humains dépendent d’une eau transfrontalière
Face à l’aggravation des effets du changement climatique et à la croissance démographique, « il est urgent, au sein des pays concernés et entre eux, de s’unir pour protéger et conserver notre ressource la plus précieuse. La santé publique et la prospérité, les systèmes alimentaires et énergétiques, la productivité économique et l’intégrité environnementale sont tous tributaires d’un cycle de l’eau fonctionnel et géré de manière équitable, souligne l’ONU dans un communiqué à l’occasion de la Journée mondiale de l’Eau 2024. Au vu de la vitalité de cette ressource, sa répartition spatiale inégale s’avère très problématique pour les pays qui doivent se la partager. Les experts estiment que plus de 40% des ressources hydriques au niveau mondiale sont transfrontalières. L’ONU estime que plus de 3.7 milliards de personnes dans le monde dépendent de ressources en eaux transfrontières. Pourtant, 24 pays seulement ont conclu des accords de coopération pour l’ensemble de leurs ressources en eau partagées. A ce jour, et au vu de l’enjeu de souveraineté qu’elle représente, la question de l’eau n’est de la prérogative d’aucune organisation internationale qui pourrait ainsi jouer le rôle de régulateur. Un Sommet exceptionnel sur l’eau organisé par l’ONU en mars 2023 a pris acte des tensions croissantes et appelé les États à davantage de coopération sur la question. Des vœux pieux qui ne pourront pas en l’état éviter les conflits à venir, dans un contexte climatique qui s’exacerbe de jour en jour.