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Interview avec Mohamed El Ouahdoudi : « Le Maghreb doit aller davantage vers son Sud »


Rédigé par Safaa KSAANI Mercredi 7 Septembre 2022

L’intégration régionale du Maghreb est visiblement loin d’être évidente. Ce qui est sûr, c’est que le Maghreb devrait se tourner vers le Sud et l’Afrique subsaharienne pour trouver de nouveaux équilibres.



- Depuis 2021, le Maghreb vit une situation tourmentée, notamment après la rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc; la fermeture de la part du gouvernement d’unité nationale (GNU) libyen des frontières terrestres et aériennes entre la Libye et la Tunisie, et récemment l’accueil de Brahim Ghali par la Tunisie. Où va le Maghreb ?

- Vu dans son ensemble le Maghreb est dans une zone de turbulences montantes. Mais sur le temps long, il a connu pire, comme la guerre des sables en 1963, entre le Maroc et l’Algérie, les conflits de courte durée entre l’Algérie et la Mauritanie, l’Algérie et la Tunisie.

La « palme d’or » est remportée hélas par la Libye qui récolte les fruits amers de l’aventurisme du régime de Kadhafi. Plus d’une semaine après l’acte du Président de la Tunisie, qui a froissé ses relations avec le Maroc, en utilisant le Polisario pour un dessein que l’on a du mal à comprendre, on ne voit rien venir qui puisse éclaircir cette situation devenue explosive.

Des voix se sont élevées en Tunisie pour demander à ses dirigeants de s’expliquer, d’envoyer des émissaires à Rabat, et au lieu d’un geste d’apaisement, on va vers une accumulation de malentendus. Sur le fond, tout le monde sait que la question du Sahara est réglée, sur le terrain, comme auprès des pays à gouvernance démocratique. 48 heures après le TICAD abrité par la Tunisie, le Japon a pris les devants et a confirmé au Maroc les constantes de sa relation avec le Royaume.

La Tunisie, tôt ou tard, sera amenée à clarifier sa position en répondant à cette question structurante dans sa diplomatie : est-ce que le pays conservera sa neutralité positive dans ses relations avec l’Algérie et le Maroc, ou s’agit-il d’un tournant ?


-Quelles tensions menacent-elles d’embraser la région, compte tenu de ces éléments ?

-Il y a comme je viens de le souligner cette crise provoquée par la Tunisie avec le Maroc, comme on dit dans l’aviation « un incident s’il n’est pas bien analysé et traité produit un accident ». Cette tension est lourde de menaces. Si on se réfère au continent européen, avec lequel le Maghreb réalise la moitié de ses échanges, on va vers des guerres, des vraies, qui, toujours selon le dictionnaire européen, vont permettre de repartir à zéro et de tout reconstruire. Heureusement que le Maghreb n’est pas l’Europe, les liens culturels, humains et historiques qui rassemblent les pays du Maghreb ont leur poids. Pourtant on voit des efforts de guerre avec des budgets en milliards de dollars.

Pour avoir la paix, il faut préparer la guerre : le Maghreb est dans cette situation. Espérons-le. Deux forces interviennent au Maghreb : celles propres à chaque pays, et celles de la mondialisation. Chaque pays du Maghreb prend ses décisions sur tous les plans sans aucune concertation avec les autres. Chacun pour soi et Allah pour tous. Le Maroc depuis plusieurs années ne se compare plus à ses voisins, il a tracé sa route verticale : vers le Sud en Afrique, et vers le Nord jusqu’en Angleterre. Mais comme ses voisins, le Maroc doit gérer ses rapports dans la mondialisation.

Sur ce plan il est dans la continuité de l’héritage de feu Hassan II : une relation équilibrée avec les grandes puissances quelle que soit leur idéologie. Le dernier discours de Sa Majesté Mohammed VI constitue un tournant pour le Maghreb et au-delà. En posant comme base de ses relations la clarification de la position de chaque pays par rapport à l’intégrité territoriale du Maroc, Sa Majesté a fixé un cap pour les prochaines années, si ce n’est les décennies à venir. Ceci a le mérite de la clarté et d’une vision sur le long terme. Est-ce que la sortie du Président de la Tunisie est une réplique, négative, à cette règle que s’est fixée le royaume ? On le saura dans les prochaines semaines.


-Ne pensez-vous pas que les problèmes du « Machrek » arabe sont en train d’être transposés au Maghreb ?

-Oui c’est un grand risque, d’ailleurs souligné par un ancien ministre des Affaires étrangères de la Tunisie. Mais de quels problèmes parlons-nous ? La signature des Accords d’Abraham par le Maroc est vue, par d’autres pays que l’on n’a pas besoin de nommer, comme une transposition du conflit israélo-palestinien au Maghreb. Les Palestiniens sont les premiers à saluer toutes les décisions du Maroc, qui renforcent son rôle dans la médiation pour la construction des deux Etats. Le statut quo sur cette question n’a jamais rien apporté, ce sont les initiatives courageuses de feu Hassan II et de Sa Majesté Mohammed VI comme celles de feu Sadate qui ont fait avancer le processus de paix.

L’histoire retient aussi toutes les initiatives de feu Bourguiba sur ce conflit. La Tunisie d’aujourd’hui ignore tout ce qu’elle doit à des relations avec Israël durant les premières années de l’indépendance, pour contrer le pan arabisme de Nasser et construire son industrie touristique et son agriculture.

Parlons-nous du problème iranien, qui traverse l’Irak, la Syrie le Yémen et le Liban ? Oui dans ce cas toute intrusion de l’Iran au Maghreb ne peut que créer le chaos comme hélas c’est le cas au Machrek. Et sur ce plan le Maroc a également été précurseur, en coupant net toute relation avec ce pays qui n’a que faire si loin de sa région, si ce n’est pour semer la zizanie religieuse. Là-dessus, la Tunisie sera comptable devant l’histoire si elle joue avec le feu iranien, ce que les Tunisiens dans leur sagesse ne manqueront pas de rejeter de toutes leurs forces. J’ai du mal à imaginer les Tunisiennes épouser le tchador iranien.


-Qui pourrait aider le Maghreb à inverser cette tendance ?

-Si on en juge par la réaction des Tunisiens à la crise actuelle de leur pays avec le Maroc, on peut espérer que les peuples maghrébins seront les remparts à toute dérive. Le Maroc dépense toute son énergie pour sa propre construction, il n’héberge pas de réfugiés d’autres pays maghrébins, respecte l’intégrité territoriale de tous les pays. On peut espérer que la Lybie empruntera le chemin de sa propre reconstruction, et que la Tunisie puisse se protéger des démons de la discorde.

Les problèmes économiques doivent être réglés par des stratégies économiques, quel pays n’en n’a pas ? Je ne pense pas que la France soit derrière les tensions inter maghrébines. C’est un pays démocratique, ses décisions sont prises sur la base d’études et de concertations. Les six millions de Maghrébins qui y vivent, constituent une conscience collective pour la paix et l’entraide. La France comme l’Union européenne ont tout intérêt à la construction d’un Maghreb prospère, si ce n’est pas clair dans l’esprit de certains, il suffit de voir l’exemple du Japon en Afrique, et au Maroc en particulier.

A nous Maghrébins de nous mobiliser à l’étranger pour que notre région soit à l’écart des tensions inutiles. La reconnaissance du Sahara marocain par l’Espagne, l’Allemagne et bien d’autres pays européens va se renforcer dans le futur par une adhésion de toute l’Europe, et ce sera là un acte politique de haute importance pour aider le Maghreb à vivre normalement sans frontières fermées ou militarisées.
 
Si on se réfère au continent européen, avec lequel le Maghreb réalise la moitié de ses échanges, on va vers des guerres, des vraies.

-Les pays maghrébins ont prouvé par le passé qu’ils peuvent dépasser leurs différends et s’engager dans le processus d’une action maghrébine commune et poussée. Pensez-vous que cela serait encore possible ?

-Oui, nous devons enseigner dans toutes les écoles maghrébines ce qui s’est passé à Marrakech en 1989 : la création de l’Union du Maghreb. Toutefois le contexte change sans cesse, et il faudra imaginer d’autres modalités pour une coexistence pacifique entre ces pays frères, qui sont comme les membres d’une fratrie qui ont grandi. Je vois cinq principes pour que la région retrouve le chemin d’une croissance partagée : la non-ingérence dans les affaires internes des autres pays ; l’encouragement des rencontres des entrepreneurs, qui sont les vrais bâtisseurs des richesses des pays ; le respect mutuel des choix des uns et des autres quels qu’ils soient du moment qu’ils ne portent pas atteinte aux autres pays.

Cette orientation reste différente de la non-ingérence, et porte principalement sur les choix stratégiques et enfin faire aimer la région maghrébine aux enfants dans les programmes scolaires en construisant un manuel scolaire commun. Cela implique surtout le respect de la propriété intellectuelle, du patrimoine des uns et des autres. Tout ceci ne sera possible que si les dirigeants admettent l’idée que chaque pays est libre d’adopter le régime politique qui lui convient.


-Vers quelle politique devrait se diriger le Maghreb ?

-Vers une politique de petits pas pour retrouver de bonnes habitudes de vivre ensemble. Depuis soixante ans la région vit des tensions nées du colonialisme, de temps en temps il y a eu des lueurs d’espoir pour trouver des solutions aux bombes à retardement laissées par les occupants. Maintenant que le Maghreb est pleinement dans la mondialisation, que les acteurs mondiaux s’y impliquent, il sera difficile de trouver une table à cinq sans que d’autres veuillent s’y inviter. Le Maghreb doit aller davantage vers son Sud, comme le fait le Maroc depuis des années, pour y trouver de nouveaux équilibres en assumant son africanité.


Recueillis par Safaa KSAANI








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