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Interview avec Kag Sanoussi : Le Maroc, un acteur stratégique pour le dialogue ouest-africain


Rédigé par Wolondouka SIDIBE Lundi 31 Janvier 2022

La crise qui secoue l’Afrique de l’Ouest intéresse tous les acteurs du continent car il y va de la stabilité politique à la sécurité des populations en passant par la paix sociale. Kag Sanoussi, Président de l’ Institut International de Gestion des Conflits, est de ceux qui pensent que les canaux doivent être activés. Le Maroc n’est pas en reste. Explications.



- Vous êtes concepteur de la théorie relative à l’Intelligence « Négociationnelle ». Que faut-il entendre par cette approche ?
 
- L’Intelligence négociationnelle est un processus d’innovation qui vise à mettre en ordre d’action, les capacités données à chaque personne pour mobiliser tout ou partie des différentes formes d’intelligence à sa portée (intelligence linguistique, émotionnelle, spatiale, etc.), associé à une démarche combinatoire avec certaines autres dispositions humaines ainsi que des outils appropriés via : le rire, l’habillement, .la menace, l’écoute, la ruse, le réseau, la pratique de la pensée centrale, etc. dans le but de faire aboutir ses projets. Elle peut se révéler hautement utile dans les négociations complexes et de haut niveau, grâce notamment à la conjugaison de plusieurs outils comme le « Siriri », le « losodip », « Ava », la pratique de la pensée centrale et bien d’autres.


- A ce titre, comment expliquez-vous les crises multiséculaires qui sévissent sur le continent notamment alimentaire et humanitaire ?
 
- Il est vrai que l’Afrique possède 50 à 60 % des terres arables du monde et se devrait de s’auto-suffire au moins sur le plan alimentaire. Nous assistons hélas à des crises alimentaires successives dans plusieurs pays. La FAO indique que près de 10 millions de personnes ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence ! Plusieurs raisons peuvent expliquer cette crise alimentaire qui devient endémique.

D’abord la sécheresse liée au changement climatique qui sévit sur une bonne partie du continent africain, la faiblesse dans la motorisation des outils d’exploitation qui ne favorisent pas encore un déploiement massif de grandes exploitations et bien sûr les conflits armés qui bouleversent les écosystèmes, créent des déplacés et mettent en péril les exploitations agricoles.  A cela viennent s’ajouter les convoitises foncières et l’usage du foncier agricole à d’autres desseins, sans minimiser l’impact négatif des politiques agricoles des pays occidentaux sur le développement agricole en Afrique.

Et les crises humanitaires ne sont hélas que le corollaire de ces crises alimentaires et des conséquences désastreuses des conflits. Il faut donc redonner davantage de force et de vigueur à l’agriculture en Afrique et accélérer sa modernisation tout en essayant de peser sur les règles de l’OMC afin que l’Afrique, bien que grenier du monde, ne soit plus désavantagée dans les relations commerciales internationales. Il conviendrait également, outre le fait de parvenir à bien gérer les conflits du moment tout en évitant de les reléguer au rang des conflits refoulés, de développer une politique ambitieuse de prévention des conflits et un enseignement à la base de la culture de la paix.

Il pourra alors s’agir d’instruire les futures générations à la construction systématique de solutions négociationnelles, à chaque fois qu’un différend se fait jour, tant ce qui s’obtient par une négociation saine et juste est durable que tout ce que la force, la ruse et la déloyauté permettent d’acquérir.


- A ces deux s’ajoute celle sécuritaire. Comment en est-on arrivé là ?
 
- Les crises sécuritaires ont engendré de multiples crises à plusieurs dimensions dont notamment celles humanitaire et alimentaire qui sont les conséquences, les résultats de ces crises sécuritaires. Si les crises alimentaires et humanitaires constituent un terreau propice à d’autres crises, il convient cependant de souligner que la crise sécuritaire majeure du Sahel est due à un terrorisme violent mené depuis des décennies dans cette région et un peu partout en Afrique.


- Naturellement, les crises politiques viennent compliquer la situation notamment au Mali, la Guinée, le Burkina Faso et ailleurs en Afrique. A votre avis, a-t-on manqué d’anticipation ou de prévoyance ?
 
- Tout d’abord, il est capital de rappeler que tout changement de régime dans un pays de façon inconstitutionnelle n’est pas souhaitable. C’est une rupture dans un ordre établi et c’est surtout le signe d’un grand bouleversement.

Dans le même temps, et sans rien transiger de cette position, un changement non constitutionnel nous oblige à nous questionner sur les raisons, non pas pour les justifier, mais pour mieux comprendre, faute de quoi, les analyses à délivrer et les décisions à prendre manqueraient de pertinence et donc d’efficacité pour trouver une solution réaliste et durable.
 
L’opinion publique semble dans une large part s’en accommoder. Tout d’abord, les cas ne sont pas les mêmes, au Tchad, en Guinée, au Mali et aujourd’hui au Burkina, les contextes et les raisons sont différents. Il serait donc hasardeux de vouloir tracer une diagonale de tous les cas.

Pour la Guinée, l’une des principales raisons avancées est la modification constitutionnelle qui a permis à l’ex-Président Alpha Condé de briguer un troisième mandat et de se faire réélire, mais aussi des accusations ont été portées sur sa gouvernance. Dans les cas du Mali et du Burkina Faso, c’est principalement les questions de mauvaise gouvernance des régimes initialement en place qui ont semblé avoir motivé les miliaires à faire irruption sur le plan politique.

Face à cela, certaines questions mériteraient d’être traitées avec toute la hauteur qui s’impose. Si un Président est jugé incompétent, ainsi que son gouvernement, est-ce à l’armée de le faire partir par la force ? En principe, l’on serait fondé de dire qu’un président devenu impopulaire devrait normalement subir la sanction des urnes devant la volonté du peuple. Et la confiance dans les institutions des pays se pose à nouveau avec acuité, devant une opinion publique qui semble majoritairement adhérer à ces différents changements.

A entendre les expressions populaires qui montent de part et d’autre, il est difficile d’imaginer que les griefs profonds publiquement proclamés  contre ces anciens régimes aient pu échapper aux différents services de renseignements, aux conseillers et aux principaux acteurs.

Alors, sans parler d’anticipation ni de prévoyance, nous pensons qu’il était et qu’il est possible de prévenir ces crises en agissant en amont, de façon rigoureuse sur les raisons qui les sous-tendent.

Nous pensons notamment à l’appropriation par les Etats du Plan d’Organisation de la Réponse de Sécurité/Sureté d’un Etat Responsable (Plan OSER), un outil d’analyse, de planification et d’action qui, bien conduit, aurait permis de ne négliger aucune montée des clameurs, mêmes les plus hostiles, et ainsi en responsabilité mettre  en place les mesures d’anticipation.

Mais cela nécessite franchement une volonté chevillée au corps, une rigueur dans la gestion de la chose publique pour l’intérêt général et surtout un courage sans faille et une résilience éthique assumée.

Et nous savons par ailleurs que certaines études ont révélé la fragilité de certains régimes des pays du Sahel ainsi que de l’Afrique centrale avec un scénario catastrophe accru par la crise du Covid-19. Et dans les scénarios  exposés, le risque de chute de certains régimes des pays du Sahel était mis en avant.

Même si ces études tablaient sur les conséquences dues au Covid-19 dont les pires projections n’ont pas vu le jour en Afrique avec un soulagement certain, elles ont le mérite d’avoir parlé de ces risques de bouleversement des régimes.

 
- Les organisations sous régionales telles que CEDEAO et la CEMAC ont-t-elles besoin d’un toilettage pour s’adapter à l’aspiration des peuples puisque chaque coup de force est applaudi par les populations en Afrique de l’Ouest ?
 
- Chaque organisation a besoin de se renouveler, de faire évoluer ses textes en fonction des réalités du moment. Il est vrai que les décisions prises par les organisations sous régionales, dans le cas malien notamment, n’ont pas reçu l’adhésion populaire en Afrique et dans sa diaspora. Les opinions publiques exprimées portent notamment les accusations sur un traitement partial de ces organisations qui auraient manqué de fermeté sur les changements de constitutions qui ont permis à certains chefs d’Etat au pouvoir de se représenter et de se faire élire pour un troisième mandat.

Il faut reconnaitre comme dit plus haut que les décisions de la CEDEAO relèvent d’une application stricte des règles édictées et acceptées par tous les Etats membres, notamment dans le cas des changements non constitutionnels de régime. Cela dit, les situations en Guinée, au Mali et au Burkina, ainsi qu’au Tchad, vu les expressions publiques en Afrique et ailleurs, mériteraient à ce que les organisations sous régionales, puissent retravailler sur certains points.


Par exemple, est-ce possible de décréter à l’avance la période d’une transition dans un pays donné ? Ne faudrait-il pas revoir la méthodologie en prenant davantage en compte les réalités des pays et surtout les objectifs qui doivent être assignés aux gouvernements de transition, en participant par exemple au recueil des besoins des populations ?

Ne serait-il pas opportun de faire respecter avec la même rigueur et sévérité les textes qui s’opposent aux changements des constitutions et plus particulièrement à la prolongation des mandats ?

A noter que dans beaucoup de pays, ce sont les raisons de changement de régime qui sont à la base des principaux conflits militaro-politiques. Ne conviendrait-il pas d’œuvrer à changer le regard des populations africaines sur leur dépendance réelle ou supposée à d’autres puissances autres qu’africaines ? Ce ressenti qui s’exprime de plus en plus ouvertement n’est pas de nature à améliorer l’image desdites organisations auprès des peuples africains et plus particulièrement de leurs jeunesses.

Et ce dont nous sommes convaincus c’est que face aux situations du moment, les organisations sous régionales ne peuvent pas rester dans le statu quo, au risque de se délégitimer et de paraître hors sol. Or nous avons besoin qu’elles soient solides, respectées pour poursuivre leurs missions au service des populations africaines.


- Quels mécanismes de négociation faut-il mettre en place pour que les différentes parties reviennent à la paix?

- Nous pensons qu’il faut agir suivant trois axes. Le premier axe consiste à gérer les situations du moment avec une posture plus holistique qui, sans transiger des règles communes adoptées et acceptées par tous, doit amener les acteurs à construire avec des outils nouveaux des solutions négociationnelles. Ces solutions sont le fruit d’un dialogue rigoureux et exigeant qui doit intégrer en amont une analyse distanciée de chacune des réalités des pays et surtout un modèle de consultation consensuelle des forces vives des pays concernés.

Dans ce premier axe, nous préconisons par exemple l’outil « SIRIRI » et l’outil « Tamay Talo » qui respectivement donnent aux acteurs les moyens d’un analyse holistique, crédible et distanciée (sans trop se laisser entrainer par les affects) et un modèle de négociation dans les espaces officiels et non officiels, avec les acteurs désignés, reconnus, et informel, etc. C’est par le dialogue que se construisent les meilleures solutions, et dialoguer n’est jamais un signe de faiblesse.

Le deuxième axe consiste à travailler dès à présent pour éviter que ces crises ne deviennent des conflits refoulés. Pour cela, leur traitement doit se faire de manière consensuelle et dans le respect des règles présentes et ajustées aux réalités du moment. Dans cet élan, ici et maintenant, une amplification d’un enseignement de la culture de la paix doit devenir une priorité. Nous pensons qu’il faut pour cela deux choses : La solidité des institutions et leur nécessaire prise en compte des clameurs qui s’élèvent de presque partout en Afrique et dans sa diaspora.

L’enseignement continu d’une culture de la négociation grâce à l’appropriation par tous de la pratique de la pensée centrale qui invite à mieux travailler avec les divergences en faisant fructifier les points d’adhérence aussi petits soient-il.

Le troisième axe consiste à travailleur sur les interdépendances connues et non officielles qui mettent en jeu une série d’intérêts qui impactent significativement plusieurs actions publiques. Les canaux diplomatiques devraient davantage intégrer les aspirations de la société civile et de la diaspora.


- Quel rôle pourra jouer le Maroc en tant que partenaire et acteur majeur sur le continent ?

- Le Maroc a renforcé ses relations avec beaucoup pays d’Afrique sub-saharienne ces dernières années. Il jouit d’excellentes relations bilatérales avec beaucoup de pays. La confiance que lui vaut ses partenaires africains et la respectabilité qui lui est due, font du Maroc un acteur stratégique qui peut contribuer à ramener le dialogue entre les différentes parties en présence.

La neutralité apparente affichée par les autorités du royaume les place dans une bonne position pour discuter avec les différents acteurs en maille ces derniers temps et aider à l’accouchement de solutions négociationnelles acceptables par tous.

Nous pensons que la diplomatie marocaine qui est dynamique et en lien avec beaucoup de pays, ne peut pas rester les bras croisés dans cette crise mais doit être en présentiel de sa gestion. Une synergie peut donc être créée avec des acteurs et experts pour consolider et amplifier ces acquis marocains.



Propos recueillis par Wolondouka SIDIBE

 


Bon à savoir

L’Institut International de Gestion de Conflit (IIGC) est fort d’une équipe d’experts spécialisés en résolution des conflits pour offrir à l’Afrique les réponses idoines aussi bien dans les conflits en entreprise qu’au niveau de l’Etat et dans les relations entre personnes privées.

Créé en 2013 en France et en Côte d’Ivoire, l’IIGC propose une approche pluridisciplinaire ainsi qu’une démarche tout azimut mobilisant un conglomérat d’acteurs expérimentés, formés, aguerris et mobilisés pour une cause noble : la paix et le développement économique, social et sanitaire.

Quant à Kag Sanoussi, il est concepteur de la théorie relative à l’Intelligence « Négociationnelle » et Président de l’Institut International de Gestion des Conflits. Ce Franco-Togolais est Chercheur associé à l’Université de Lille, réseau Magtech-Clersé, et intervenant à l’Université Catholique de Lille.

Kag Sanoussi est aussi spécialiste des questions de diversité, de lutte contre les discriminations, de la Responsabilité Sociale des Entreprises et des Organisations, de la géopolitique ainsi que des sujets relatifs aux politiques urbaines (Politique de la Ville notamment) et rurales.
 

Interview avec Kag Sanoussi : Le Maroc, un acteur stratégique pour le dialogue ouest-africain

Diplomatie et langage de vérité
 
Le chef de la diplomatie malienne, Abdoulaye Diop, est connu pour sa finesse, son éloquence mais aussi pour son langage de vérité. Ces derniers temps, rien ne va plus entre Bamako et Paris. L’Elysée, ayant fait d’une probable présence du groupe Wagner au Mali comme une ligne rouge à ne pas franchir, a du coup ouvert la porte à toutes les interprétations possibles dans ce bras de fer, entre les deux pays, par médias interposés.

Et le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, ne rate aucune occasion pour monter au créneau avec des mises en garde et faire du groupe Wagner une obsession alors que le Mai est confronté à une série de crises dont la sécurité. Face à ces attaques en règle, son homologue malien vient de faire une sortie qui n’est pas passée inaperçue pour tous ceux qui suivent l’actualité africaine surtout en l’Afrique de l’Ouest. Une sous-région qui vient de connaître son troisième coup d’Etat en l’espace de 18 mois. Il s’agit respectivement du Mali, de la Guinée et du Burkina Faso. Malgré les condamnations de la communauté internationale et des organisations sous régionales, les populations sont massivement sorties pour acclamer les militaires putschistes.

Dans son intervention sur des médias français (France 24 et RFI) Abdoulaye Diop a mis les pendules à l’heure quand il dit : « Nous demandons que Paris nous respecte en tant que pays ». En ce qui concerne les militaires français tombés sur le sol malien, dans la lutte contre le terrorisme, le ministre des Affaires étrangères a souligné : « Nous reconnaissons les sacrifices des soldats français. Mais on doit comprendre qu’avant que la France ne vole au secours du Mali, le Mali et les Africains aussi sont venus mourir ici en Europe pour la liberté et la libération de ces pays. Donc, nous avons tous des dettes de sang les uns envers les autres ». Un rappel historique tout simplement.

En clair, les partenaires du Mali (l’Union africaine, l’ONU et les pays amis), doivent l’aider dans la lutte contre le terrorisme. Une lutte qui lui a été imposée, depuis la déstabilisation de la Libye, suivez mon regard. Il ne faut donc pas porter des lunettes de bois pour ne pas voir la réalité en face.



Wolondouka SIDIBE

 







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