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Interview avec Abdelmoula El Hadi : « Des leaders marocains influencent des stratégies industrielles majeures en Europe »


Rédigé par Safaa KSAANI Lundi 22 Décembre 2025

À 38 ans, Abdelmoula El Hadi vient de marquer l’actualité en intégrant le prestigieux cercle des « 40 Under 40 » Europe 2025. Ce pur produit de l’école marocaine, aujourd’hui leader de l’innovation chez le géant industriel Knauf Insulation, revient dans cet entretien sur la portée de cette distinction.



- Vous venez d’être distingué parmi les Business Elite « 40 Under 40 » Europe 2025. Au-delà de la fierté personnelle, en quoi cette reconnaissance est-elle un signal fort pour l’ingénierie et le leadership marocains ?

- Au-delà de la fierté personnelle, cette distinction a surtout une portée collective. Elle montre que des ingénieurs et des leaders marocains évoluent au plus haut niveau en Europe, influencent des stratégies industrielles majeures et contribuent à des transformations complexes, notamment sur des sujets aussi structurants que la durabilité et l’innovation. C’est un signal fort pour la jeunesse marocaine : nos parcours, notre formation et notre culture sont des atouts sur la scène européenne, voire mondiale. Cette reconnaissance rappelle que le leadership marocain n’est pas seulement présent, au delà de cela, il est aussi crédible et compétitif à l’échelle continentale. Pour moi, c’est aussi une responsabilité, celle de continuer à ouvrir des chemins, à partager l’expérience acquise et à représenter positivement l’ingénierie marocaine à l’international.

- Avant de devenir leader dans un environnement industriel européen, quel a été votre parcours ?

-Mon parcours est avant tout celui d’un ingénieur curieux, animé par l’envie de comprendre comment les systèmes fonctionnent et comment les améliorer. J’ai été formé au Maroc, dans l’enseignement public, puis dans l’ingénierie à l’École Marocaine des Sciences de l’Ingénieur, avant de compléter mon parcours académique à l’international. Professionnellement, j’ai évolué dans plusieurs secteurs industriels, notamment l’automobile, l’industrie manufacturière et la construction, qui ont un point commun : ils ont un impact direct sur la vie quotidienne. J’ai travaillé au Portugal, en Belgique et à l’échelle internationale, sur des projets de transformation technologique et digitale, d’innovation et de performance industrielle. Ce parcours m’a appris une chose essentielle : dans l’industrie, la technique seule ne suffit pas. Ce sont les capacités à fédérer, à donner du sens et à accompagner le changement qui font la différence.

- En tant que leader de l’innovation chez Knauf Insulation, comment évaluez-vous la maturité des stratégies de décarbonation dans l’industrie européenne ?

- L’industrie européenne a clairement franchi un cap. La décarbonation n’est plus un sujet marginal ou uniquement réglementaire, elle est devenue stratégique. Les entreprises ont compris que la transition climatique est à la fois une contrainte et une opportunité d’innovation. Cela dit, la maturité reste inégale. Certaines organisations sont très avancées, avec des stratégies intégrées sur l’ensemble de la chaîne de valeur. D’autres en sont encore à des approches plus ponctuelles ou défensives. Le véritable enjeu aujourd’hui n’est plus seulement technologique, mais organisationnel et humain : comment embarquer les équipes, arbitrer entre performance économique et impact environnemental, et transformer des objectifs ambitieux en solutions concrètes et mesurables. C’est là que l’innovation, bien structurée, joue un rôle clé.

- Votre ouvrage « The Creativity Paradox » traite de la difficulté des idées audacieuses à survivre dans les grandes structures. Quels sont, selon vous, les principaux freins à la créativité, et quels enseignements pour les organisations marocaines ?

- L’un des grands paradoxes que j’observe est que les organisations les mieux structurées sont parfois celles qui étouffent le plus la créativité. Les principaux freins ne sont pas le manque d’idées, mais l’excès de processus, la peur de l’erreur, la pression du court terme et la confusion entre contrôle et performance. Dans The Creativity Paradox, j’explique que la créativité ne se décrète pas. Elle se conçoit. Elle a besoin de clarté, de confiance, de temps protégé et de leadership qui accepte l’incertitude. Pour les entreprises et organisations marocaines, l’enjeu est de créer des espaces où l’expérimentation est possible, sans remettre en cause la rigueur. Il ne s’agit pas d’imiter des modèles de startups ou Silicon Valley, mais d’inventer une innovation adaptée à nos contextes, à nos contraintes et à nos priorités nationales.

- Vous êtes engagé au sein du MYCDIC. Concrètement, quels ponts souhaitez-vous créer entre les Marocains du Monde et le tissu entrepreneurial marocain ?

- Au-delà de l’inspiration, l’enjeu est très concret, il s’agit de créer des ponts opérationnels. Les Marocains du Monde disposent d’un capital immense : expérience internationale, réseaux, méthodes de travail, compréhension de marchés avancés. Ce que nous souhaitons développer, ce sont des mécanismes de transfert réel comme le mentorat ciblé pour des entrepreneurs marocains, co-développement de projets industriels, accompagnement de PME sur des enjeux de structuration, d’innovation ou d’accès à l’international. L’idée n’est pas de reproduire ce qui se fait ailleurs, mais d’adapter intelligemment le savoir-faire acquis à l’étranger aux réalités marocaines. Si nous arrivons à aligner talents, institutions et entreprises, le potentiel d’accélération est considérable.


Portrait

Abdelmoula El Hadi, quand le vacarme des usines fait émerger l’idée neuve

Par un froid sec de décembre, Abdelmoula El Hadi ne cherche pas seulement à réchauffer les bâtiments, mais à secouer les structures. À 38 ans, cet enfant de Kénitra n'a rien du technocrate rigide que son titre de Director of Innovation chez Knauf Insulation pourrait suggérer. Il y a chez lui cette décontraction de ceux qui ont grimpé les échelons sans oublier le bitume de l'école publique.

Son histoire commence au Royaume, dans les salles de classe d'un lycée de province. Bac scientifique en poche, il forge ses premières armes à l'EMSI de Rabat avant de s'envoler pour Bordeaux, puis Londres. Un parcours en ligne droite ? Pas vraiment. Plutôt une trajectoire de particule, rebondissant de l'automobile à la construction.

Aujourd'hui basé en Belgique, il pilote l'innovation pour une trentaine d'usines à travers le monde. Mais ne lui parlez pas de "rupture" avec ses racines. Pour lui, le Maroc n'est pas une nostalgie, c'est un accumulateur d'énergie. « Mes racines sont une source d’énergie, pas une limite », aime-t-il répéter. Sa distinction parmi les « 40 Under 40 » européens ? Il la porte avec la discrétion de celui qui sait que le prestige est une responsabilité plus qu'une parure. Membre actif du Conseil de la jeunesse marocaine (MYCDIC), il veut créer des "ponts opérationnels". Il parle de mentorat et de transfert de savoir-faire avec la précision d'un ingénieur et la passion d'un diplomate de l'ombre. Pas pour la gloire, mais pour que le prochain gamin de Kénitra n'ait pas à inventer la roue, seulement à la faire tourner plus vite.







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