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Guerre en Ukraine : Quels enseignements pour le Royaume ?


Rédigé par Amine ATER Mardi 7 Juin 2022

Logistique, renseignement, OSINT, biais cognitifs…, les remontées d’information en temps réel du conflit en Ukraine offrent de précieux enseignements sur l’emploi réel de la doctrine militaire russe dans un conflit de haute intensité.



La guerre en Ukraine, ou opération spéciale, selon les sensibilités, dure aujourd’hui depuis 100 jours ou plutôt 103 jours pour être précis. Ce qui devait être une opération foudroyante de changement de régime qui devait décapiter l’état-major ukrainien et permettre une prise de contrôle rapide et presque sans combat dans le Donbass, a évolué en une guerre de position où les combats font rage pour chaque kilomètre de terrain.

Bien que les fracas de la guerre se trouvent à des milliers de kilomètres de l’Afrique du Nord, l’affrontement entre les forces russes et ukrainiennes est riche d’enseignements pour le Royaume, compte tenu des similitudes qui existent entre l’armée algérienne et son homologue russe en matière d’armement et de doctrine stratégique.

En clair, ce qui se joue actuellement en Ukraine représente une occasion en or pour analyser les forces et faiblesses de la nouvelle doctrine militaire russe. Le conflit représente, par ailleurs, le premier grand affrontement à haute intensité entre deux armées régulières, après plus de deux décennies marquées par des affrontements asymétriques menés autant par des coalitions ou armées occidentales (Afghanistan, Mali, Irak, Syrie) que par l’armée russe (Syrie).

Le défi de la logistique

L’un des premiers grands enseignements des opérations en Ukraine est l’importance de la logistique et du renseignement sous différentes formes. L’échec de la première phase des opérations russes s’explique par l’incapacité des éléments russes à sécuriser leurs voies de ravitaillement et à fournir leurs premières lignes en carburant et en vivres.

« La supériorité numérique des matériels russes a été efficacement contrebalancée par l’utilisation à bon escient d’armements anti-aérien et anti-char légers, efficaces et faciles d’utilisation (Javelin, Stinger, etc.) », explique Hicham El-Hafidi, ex-officier de la Garde Royale et analyste en géopolitique.

La bataille de l’aéroport d’Hostomel, qui a marqué les premiers jours de la guerre (24 au 25 février) et a largement contribué à l’érosion rapide de l’avancée des troupes russes, est symptomatique de cette nouvelle réalité. Un échec qui s’explique par les capacités de défense ukrainiennes qui n’ont jamais cessé de disputer le terrain aux Russes, évitant au passage l’arrivée massive de troupes et équipements à portée de tir de leur capitale. Ces derniers ont également bénéficié d’un coup de pouce en matière de renseignement de leurs alliés qui leur a permis d’anticiper l’attaque et de préparer une défense en profondeur.

« La justesse et la pertinence des renseignements disponibles sur l’adversaire conditionnent largement la tournure que prendront les engagements militaires. A ce niveau, tout le monde s’accorde à dire que les services de renseignement russes ont mésestimé les capacités opérationnelles de l’armée ukrainienne », souligne El-Hafidi, avant d’ajouter que « l’allongement des lignes logistiques russes, conjugué à une impréparation évidente, a fragilisé l’avancée des troupes durant les premières semaines du conflit ».

Agilité ukrainienne face à la rigidité russe

L’échec de l’assaut sur Kiev s’explique en grande partie par de sérieuses défaillances en matière de renseignement militaire du côté des Russes qui, victimes d’un biais cognitif fatal, s’attendaient à être reçus à bras ouverts par les Ukrainiens, et ont à certains endroits positionné en premières lignes des forces de police censées maintenir l’ordre dans les territoires libérés et permettre une circulation fluide des mouvements de troupe.

Des colonnes qui ont été neutralisées par le dispositif de défense ukrainien qui a fortifié des carrefours stratégiques comme la ville de Tcherniv à 131 km de Kiev et multiplié les coups de main et actions de harcèlement de l’arrière garde russe infligeant de sérieux dégâts aux lignes de ravitaillement.

Face à une rigidité du commandement russe dont la doctrine centralise la prise de décision à très haut niveau, parfois jusqu’au Kremlin, la réorganisation de l’armée ukrainienne qui a adopté une chaîne de commandement agile, offrant une large autonomie aux sous-officiers et officiers sur le terrain, a permis à l’armée ukrainienne de stopper net l’avancée russe sur les fronts de Kiev et du Nord-Est. Une agilité qui s’est conjuguée à un recours massif aux techniques de guerre électronique et à l’Open Source Intelligence (OSINT). Un combo qui a permis à l’armée ukrainienne d’identifier en temps réel les concentrations de troupes, notamment les QG mobiles, et de procéder à des frappes ciblées.

Résultat des comptes : une douzaine de généraux russes ont été tués depuis le début de la campagne. Une campagne d’élimination ciblée qui a manqué de peu d’éliminer le chef d’Etat-major général des forces armées de la Fédération de Russie, Valeri Guerassimov, lors du bombardement d’un poste de commandement avancé le 29 avril près de la localité d’Izioum. Un ensemble de données qui offre une image partielle, mais avérée, des limites de la doctrine militaire russe dans le cas d’un conflit à haute intensité.

Compte tenu de la bipolarité des doctrines de l’ensemble des armées régulières au niveau mondial qui, à part quelques exceptions (Chine et Inde notamment), adoptent soit le modèle russe, soit celui de l’OTAN et permettent aujourd’hui au second groupe d’ajuster leurs stratégies de défense grâce aux remontées d’information en temps, notamment en ces temps d’incertitudes géopolitiques.



Amine ATER

3 questions à Nizar Derdabi


« Ce conflit de haute intensité a fait apparaître au grand jour les défaillances dans la chaîne de commandement russe »
 
Ex-officier de la Gendarmerie Royale et analyste en Stratégie Internationale, Défense & Sécurité, Nizar Derdabi analyse pour « L’Opinion » les enseignements à tirer du conflit en Ukraine.


- La guerre Russie-Ukraine marque le retour de la guerre de haute intensité, qu’est-ce que cela signifie sur les plans international et régional ?

- En effet, ce conflit, qu’un grand nombre d’experts n’avaient pas vu venir, confirme la tendance annoncée par les documents stratégiques d’un certain nombre de puissances de l’OTAN (USA et France notamment) du retour des conflits armés de haute intensité. Une tendance qui risque de s’accélérer avec le déclenchement de conflits liés aux ressources naturelles ou litiges frontaliers, et de se multiplier à l’avenir et engendrer des guerres de haute intensité. Les conflits du Haut Karabakh et en Ukraine en sont les précurseurs et le continent africain pourrait être bientôt le théâtre de futurs affrontements de haute intensité entre puissances régionales.


- Quels sont les autres enseignements à tirer de cette guerre pour les différents Etats-Majors de forces armées ?

- Tout d’abord, avec le développement des drones et des missiles portatifs de défense aérienne (MANPADS), il est quasiment impossible pour une armée de s’assurer une suprématie aérienne. Malgré la destruction rapide d’une grande partie de la flotte d’avions de chasse et de systèmes de défense anti aériens ukrainiens, les Russes n’ont pas réussi à éliminer toute menace contre ces aéronefs.

Grâce aux drones et aux MANPADS, les Ukrainiens ont réussi à maintenir une menace constante dans les airs tout en gardant une capacité de frappe sur l’artillerie et les colonnes de blindés russes. Enfin, ce conflit de haute intensité a fait apparaître au grand jour les défaillances dans la chaîne de commandement russe qui manque de fluidité.


- Comment les FAR pourraient capitaliser sur les enseignements tirés de ce conflit pour améliorer leurs capacités et leur organisation ?

- Tout d’abord, il est nécessaire de porter un effort considérable sur le renseignement. Le Maroc a déjà une expertise reconnue dans ce domaine, des moyens sophistiqués dont les satellites de surveillance et une flotte de drone ISR (Intelligence, Surveillance, Reconnaissance) de dernière génération, mais doit développer les capacités d’analyse de ses spécialistes en mettant l’accent sur les sciences cognitives pour éviter des erreurs d’interprétation. La planification en amont de la logistique représente aussi un axe déterminant du succès des opérations.



Recueillis par A. A.

 

Défense


Quelles leçons à tirer pour le Maroc ?
 
Le conflit en Ukraine a souligné l’importance de disposer de stocks stratégiques, notamment en cette période de crise économique mondiale et de rupture des chaînes d’approvisionnement. « Il est nécessaire de reconstituer des stocks stratégiques de munitions, pièces de rechange et de carburant pour faire face aux défis de la haute intensité », explique Nizar Derdabi, analyste en Défense & Sécurité.

C’est pour ce faire que le Maroc a décidé de développer une industrie de l’armement. « Il est nécessaire d’accélérer ce processus pour pouvoir produire localement une partie de son armement et munitions et ne pas dépendre de fournisseurs étrangers », souligne Derdabi.

Cet ex-officier de la Gendarmerie Royale affirme qu’il est crucial que les FAR poursuivent la stratégie de modernisation de leurs capacités, engagée ces dernières années, en acquérant de l’armement stratégique (avions de chasse, systèmes de défense anti-aériens, drones, systèmes de guerre électronique) qui permettent d’avoir un avantage décisif sur le terrain. D’ailleurs, le retour du service militaire il y a 3 ans peut être également considéré comme une démarche anticipative au retour des conflits de haute intensité.
 

Guerre numérique


OSINT, les réseaux sociaux comme arme de guerre
 
La guerre en Ukraine s’est traduite par une utilisation massive des réseaux sociaux à des fins militaires. L’Open Source Intelligence (OSINT) est rapidement devenu un atout tactique de premier ordre pour l’armée ukrainienne. L’OSINT, ou renseignement d’origine sources ouvertes, est l’analyse de données obtenues à partir de sources d’informations publiques, dans le cas ukrainien les réseaux sociaux.

Dès le début des opérations, l’ensemble des publications (photos et vidéos) renseignant sur les positions ou concentrations de forces russes ont été utilisées pour mener des frappes ciblées ou des attaques de forces spéciales. La trace numérique laissée par les soldats russes lors d’utilisation d’application de rencontre du type Tinder a également été mise à contribution.

Bien que l’armée russe ait procédé à la destruction des infrastructures télécoms, il y a eu l’intervention de puissants soutiens de Kiev à l’image du milliardaire Elon Musk qui a tôt fait de mettre à contribution son réseau satellitaire Starlink pour maintenir un accès à Internet aux civils et soldats ukrainiens. L’OSINT peut également s’étendre à des moyens de diffusion « classiques », en témoigne le contre-feu subi par une batterie de missiles sol-sol russe, qui était filmée en direct par une équipe de télévision.

Conscientes que l’OSINT reste une arme à double tranchant, les autorités ukrainiennes ont tôt fait d’appeler leurs citoyens à éviter de partager sur les réseaux toute information susceptible de révéler les positions de troupes ou d’équipements de leurs forces armées.
 

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