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Feux de forêt : La forêt marocaine renaîtra-t-elle de ses cendres ?


Rédigé par Omar ASSIF le Dimanche 28 Août 2022

Les feux de forêt qui ont sévi ces derniers mois imposent de redoubler d’efforts pour assister la régénération des milliers d’hectares d’écosystèmes forestiers calcinés.



L’été 2022 a été marqué par des incendies de forêt parmi les plus ravageurs depuis une décennie. Des milliers d’hectares de superficies forestières situées dans diverses régions du Royaume ont été rongés par les feux, sans compter le bilan matériel et humain particulièrement lourd et sans précédent depuis plusieurs années.

En dépit des efforts colossaux des divers corps et institutions engagés dans la lutte contre ces incendies, les vagues de chaleur accompagnées de vents forts se sont acharnées sur des écosystèmes arborés déjà malmenés par une longue sécheresse, provoquant ainsi des départs de feux simultanés et difficiles à circonscrire rapidement. Si la saison des feux de forêt n’a pas encore atteint à son terme et que les feux continuent à sévir (dans la région d’Ifrane notamment), plusieurs observateurs se posent déjà la question sur le bilan de ces catastrophes et, surtout, sur les chances et moyens de régénérer les superficies endommagées par les flammes.

Feu et forêts méditerranéennes

« Dans le bassin méditerranéen, l’évolution des forêts et la façon même avec laquelle elles se structurent ont été intimement liées aux épisodes d’incendies. C’est valable depuis des temps très lointains, ce qui fait qu’une des caractéristiques des forêts méditerranéennes en général est de survivre et de vivre avec le feu », nous explique M. Abderrahim, ingénieur forestier.

Si le processus de régénération naturelle des forêts est lent, la récupération du couvert végétal se fait en plusieurs étapes, permettant ainsi une restauration progressive des paysages. « Le rythme de régénération de la forêt après un incendie dépend de plusieurs facteurs : la position géographique, la sévérité du feu, la nature du sol, les caractéristiques des espèces présentes, etc. Parfois, un paysage apparemment désolé peut être trompeur puisque les arbres n’ont pas été complètement calcinés, mais plutôt léchés par le feu. C’est-à-dire qu’ils sont encore vivants et qu’il suffit de mettre en place des mesures de protection du périmètre pour les voir récupérer d’eux-mêmes », poursuit l’ingénieur.

Mise sous cloche

Il arrive cependant que les dégâts occasionnés soient plus sévères et nécessitent une intervention humaine pour assister le processus de régénération. « Quand le diagnostic établi le justifie, un travail du sol peut être réalisé par les forestiers afin de favoriser la germination des graines et la régénération du couvert végétal. Il arrive également que les dégâts des incendies imposent de recourir à une réhabilitation assistée à travers une plantation artificielle d’essences forestières. De toute façon, les superficies qui ont été brûlées par le feu sont généralement inscrites en priorité par les équipes régionales dans le Programme National de Reboisement », explique notre interlocuteur.

« La mise sous cloche des périmètres brûlés est une mesure systématique qui permet de donner toutes ses chances à la forêt afin de récupérer sans avoir à subir d’autres pressions : quand le couvert végétal commence à reprendre, il est important d’éviter par exemple que les plantes ou jeunes pousses d’arbres soient exposées à la dent du bétail », précise la même source.

La nature reprend le dessus

Les impacts des changements climatiques provoquent un phénomène d’extension de la période des feux de forêt qui débute plus tôt et se termine plus tard que d’habitude.

Cette tendance qui se confirme dans diverses régions du globe, notamment en Méditerranée, impose de redoubler d’efforts autant dans la lutte contre le feu que dans les activités qui favorisent la régénération des superficies brûlées. Un défi colossal qui n’est toutefois pas insurmontable : « Les institutions impliquées dans la lutte contre les incendies ont accumulé une expérience importante et disposent des moyens nécessaires pour relever le défi de circonscription des feux. Il en est de même pour la régénération puisque l’Agence Nationale des Eaux et Forêts s’appuie sur les expertises et expériences dont elle dispose pour relever ce défi. En témoignent les superficies qui avaient été ravagées par le feu au début des années 2000 et qui ont depuis récupéré », rassure l’ingénieur forestier.



Omar ASSIF

Repères

Impact social des incendies
Annoncée il y a quelques semaines, la convention-cadre relative aux mesures urgentes pour atténuer l’impact des incendies, d’un montant de 290 MDH, s’articule autour de 5 axes, portant sur le soutien des personnes touchées à travers la réfection et la mise à niveau de leurs habitations, l’atténuation de l’impact sur les éleveurs et les apiculteurs, l’organisation d’opérations de reboisement des arbres fruitiers touchés, la réalisation des projets de développement économique intégré, et la création de plus de 1.000 opportunités d’emploi dans les zones touchées.
 
Feu de forêt en Méditerranée
Entre 2010 et 2015, environ 1% de la forêt méditerranéenne a brûlé chaque année, soit presque 400.000 hectares, causant, en plus des pertes humaines, d’énormes dommages écologiques et économiques. Cependant, l’ampleur des feux de forêt varie d’un pays à l’autre. A titre d’exemple, la part de la surface forestière moyenne annuelle brûlée est de : 0,01% en Albanie ; 0,04% au Maroc ; 0,05% en Turquie ; 0,13% en France ; 0,87% en Algérie ; 0,9% en Espagne ; 1,12% en Grèce ; 1,04% en Italie et 4,12% au Portugal.

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Feux de forêt : La forêt marocaine renaîtra-t-elle de ses cendres ?

Aménagement forestier


La forêt marocaine souffre d’un manque de régénération naturelle
 
Selon le site de l’Agence Nationale des Eaux et Forêts (ANEF), « la forêt marocaine, soumise à différentes contraintes climatiques, sociales et pastorales, souffre d’un manque de régénération naturelle conjugué à un vieillissement de ses peuplements ». Cette problématique exige la mobilisation des moyens nécessaires pour l’intensification des programmes en matière de régénération, particulièrement des essences nobles (cèdre et chêne-liège) et divers essences autochtones (pins, thuya, cyprès et arganier…).

Ce processus exige un suivi continu des parcelles de régénération sur une période de 10 à 20 années en fonction des essences. Pour répondre à cette problématique, l’ANEF a consenti un effort en matière d’aménagement forestier, et ce, dans la perspective de reconstitution des écosystèmes forestiers. « Ces études identifient pour chaque forêt le quartier de régénération qui regroupe les zones qui nécessitent d’être régénérées pendant la période d’application de l’aménagement (20 à 30 ans en moyenne) », précise l’Agence.
 

Méditerranée


Le long processus de régénération d’une forêt brûlée
 
Le retour progressif à la vie d’une forêt méditerranéenne qui a été détruite par le feu est un long processus. Les insectes sont généralement les premières espèces à réinvestir les lieux puisque les arbres affaiblis représentent une source de nourriture et un lieu de ponte surtout pour les mouches et les coléoptères.

Attirés par la présence de ces insectes, les oiseaux ne tardent pas à revenir vers ces zones qui sont pourtant encore loin d’avoir récupéré leur couvert végétal. Dans la majorité des cas, les mousses et petites plantes font leur apparition durant les 12 mois qui suivent l’incendie, surtout lorsque des conditions météorologiques et pluviométriques favorables sont au rendez-vous.

Grâce à leurs écorces, des espèces comme le pin ou le chêne-liège arrivent souvent à survivre au feu et entament doucement leur régénération naturelle durant les années qui suivent l’incendie. Dans le bassin méditerranéen, certaines espèces de faune réinvestissent les forêts régénérées après seulement une ou deux années de l’incendie.

En moyenne, il faut compter 3 à 5 ans afin de permettre aux herbes et aux arbustes de recouvrir les traces du feu. Ce n’est seulement que 20 à 30 ans après l’incendie que la forêt retrouvera son aspect initial. Contrairement à l’exemple des forêts méditerranéennes, certaines forêts tropicales, notamment en Amazonie, sont beaucoup moins résilientes aux incendies et nécessitent une à plusieurs centaines d’années avant de retrouver leurs caractéristiques et leur aspect original.
 

3 questions à Fouad Assali, Chef du CNRGCF


« L’investissement public dans la lutte contre les feux de forêt est en courbe ascendante »
 
Chef du Centre National de Gestion des Risques Climatiques Forestiers affilié à l’Agence Nationale des Eaux et Forêts, Fouad Assali répond à nos questions..


- Est-il possible d’anticiper le rythme d’augmentation des incendies de forêt afin de s’y préparer ?


- Dans le contexte de l’impact des changements climatiques qui est ressenti à l’échelle internationale, les prévisionnistes et spécialistes en matière d’incendies de forêt prévoient une augmentation globale de plus de 35% de la pression des incendies de forêt d’ici 2050. Il est certain que cette augmentation doit être anticipée par la mise en place des stratégies et la mobilisation des ressources nécessaires afin de réduire l’impact et les dégâts de ce phénomène. Le Maroc fait d’ailleurs partie des pays qui sont dans cette dynamique et qui se dotent au fur et à mesure des moyens techniques et technologiques nécessaires.


- L’investissement public dans ce domaine est-il également en courbe ascendante ?

- L’Agence Nationale des Eaux et Forêts a mobilisé près de 133 millions de dirhams pour l’année 2022 afin d’anticiper et de lutter contre les feux de forêt. Ce montant englobe les composantes liées à la prévention, l’aménagement des espaces forestiers, le recrutement des guetteurs, l’acquisition des véhicules de première intervention, le système de prévision, etc. Cela dit, cet investissement se conjugue aux autres budgets alloués par d’autres institutions comme l’Armée de l’air, le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Défense ou encore la Gendarmerie Royale. Je précise par exemple que l’acquisition des Canadairs coûte près de 35 millions de dollars par avion. Il est ainsi indéniable que l’investissement public dans la lutte contre les feux de forêt est en courbe ascendante.


- La coopération entre les différents corps et parties prenantes engagées dans la lutte contre les feux de forêt a-t-elle gagné en efficacité et en coordination ?

- Effectivement, grâce notamment à plusieurs années de travail commun où nous avons continuellement amélioré nos protocoles. Les mots me manquent pour qualifier le haut degré d’abnégation et de dévouement dont font preuve les diverses équipes engagées. Je tiens ici à remercier la Gendarmerie Royale, la Protection Civile, les Forces Royale Air, les Force Armées Royales, les Forces Auxiliaires, la Défense nationale, l’Intérieur, des autorités locales, les Eaux et Forêts, ainsi que tous ceux qui collaborent de près ou de loin dans cette lutte. Chacun apporte et continue à apporter une contribution vitale et déterminante.



Recueillis par O. A.