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Culture

« Du haut du Balcon » : La révolte n’est plus individuelle, elle est urbaine


Rédigé par Jean-François CLEMENT le Mercredi 23 Février 2022

Le roman « Du haut du Balcon » de Driss Tahi met en scène un groupe de personnages qui se découvrent peu à peu mêlés à plusieurs des grandes révoltes urbaines du Maroc de la seconde moitié du XXème siècle. Les protagonistes de cette histoire vivent dans un lieu très restreint, la rue Khatibi de Casablanca, comme les personnages d’‘Alaa’ al-Aswani fréquentent tous un même lieu du Caire, l’immeuble Ya‘qoubian.



« Du haut du Balcon » : La révolte n’est plus individuelle, elle est urbaine
Le thème de ce roman n’est toutefois, qu’on ne s’y trompe pas, ni l’amour, ni la sexualité, ni le monde de l’enfance, ni l’exotisme sur fond d’opposition entre identité et altérité, ni le voyage intérieur ou dans les grands espaces que peut faire connaître une émigration traversant les expériences de l’exil, parfois du retour.

Dans le roman de Driss Tahi, il ne s’agit pas de transformer fondamentalement la société. Il s’agit avant tout de raconter une histoire en rappelant ses excès. Du « haut du Balcon », ce sont quelques événements marquants de l’Histoire marocaine du XXème siècle que l’on voit défiler au travers de récits d’histoires personnelles et de présentations d’engagements collectifs.

Ces formes de violence furent dans un premier temps surtout évoquées par la littérature populaire, à commencer par les izran ou izlan du Rif ou du Moyen-Atlas depuis les années 1930. Les femmes créaient ces chants pour stimuler l’enthousiasme des hommes de tribus qui savaient qu’ils allaient se soumettre à un Etat centralisé, donc à des contraintes.

Paul Marguerite, plus récemment Abdelilah Chikhi nous ont rapporté de telles oeuvres, globalement oubliées aujourd’hui parce que liées à l’orature. Mais les révoltes urbaines ne donnèrent pas lieu à des créations semblables.

Mais s’agit-il vraiment d’une forme romanesque dans laquelle s’affrontent usuellement des valeurs sans qu’il soit donné une solution évidente ? Le récit est plutôt tragique puisque des hommes et des femmes « libres » s’affrontent à un destin qui les écrase.

Ce destin prend forme avec la permanence de la violence, tout particulièrement de la violence d’Etat. Et celle-ci peut se révéler forcenée, allant jusqu’à torturer des corps. Elle est également arbitraire puisqu’elle écrase des innocents. Et cela, quels que soient les régimes politiques opposés mis en scène dans ce roman, qu’il s’agisse du protectorat ou du Maroc de l’indépendance.

Est-ce cette constatation qui fait que lorsqu’un des personnages raconte sa vie, il passe de 1953 à 1965 sans évoquer les événements complexes qui ont accompagné l’indépendance ? C’est autour de ce trou noir que se constitue aussi ce texte. Autre trou noir, la très faible présence de photographies relatant ces événements. Il faut alors raconter dans un roman qui devient un substitut de l’histoire. Utpicturanarratio.

Qu’est-ce qui prévaut dans cette histoire tragique, où l’on va d’un soulèvement urbain à un autre ? S’agit-il de constater des ruptures ou des continuités ? Et dans ce dernier cas, comment comprendre une telle permanence ? Car constater cela, c’est aller à l’encontre des valeurs des personnages, persuadés qu’ils sont de la valeur de leurs valeurs. Et c’est dans cette tragique constatation que le romanesque réapparaît. Mais c’est un romanesque réaliste, aux antipodes de toute tentation métanarrative ou de création postmoderne.

Un souhait pour terminer : jusqu’à présent, seule la Galerie de l’Aimance, située près du port, gardait à Casablanca le souvenir d’Abdelkebir Khatibi, que ce roman fasse que nous ayons rapidement une rue Khatibi dans cette ville. Si la réalité est devenue dans ce roman en partie fiction, une partie de cette fiction pourrait ainsi devenir réalité.

 
Jean-François CLEMENT
Driss Tahi, « Du haut du Balcon », Editions Les infréquentables, 2021, 240 p.