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Alimentation : Il était une fois au pays du pain béni...


Rédigé par Oussama ABAOUSS Dimanche 29 Mai 2022

Le changement des modes de production et de consommation a impacté négativement la valeur symbolique dont jouissait le pain auprès de nos concitoyens.



Dans un contexte marqué par la question de la souveraineté alimentaire, le pain se retrouve actuellement propulsé au coeur de l’actualité en raison de son statut de denrée stratégique subventionnée qui subit une inflation inquiétante au vu de l’augmentation des prix des céréales.

Il y a quelques jours, nous avions relayé sur ces mêmes colonnes les propos de Pr Ahmed Bouaziz, expert en agriculture durable, qui pointaient les pertes liées à la consommation du pain au Maroc. Un constat récemment confirmé par le premier vice-président de la COMADER, Rachid Benali, qui a depuis confié au micro de nos confrères du média lematin.ma que le prix de 1.20 dh pour le pain n’était plus acceptable au vu du gaspillage enregistré dans sa consommation au niveau national.

L’enjeu d’une consommation raisonnable du pain est par ailleurs d’autant plus important que cette denrée s’avère comme une composante cardinale dans l’alimentation des Marocains. Un fait qui ne date pas d’hier et qui, selon les experts, remonterait même à la nuit des temps.

Pain et civilisation

« Les chercheurs ont trouvé des traces de consommations du pain dans des sites archéologiques marocains qui datent de plusieurs milliers d’années », explique Pr Lahlou Abdelati, anthropologue affilié à l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine (INSAP) qui est actuellement en cours de préparer un livre dédié au pain marocain.

Si certains spécialistes décrivent les débuts de la civilisation humaine dans l’espace méditerranéen à travers une sédentarisation de populations qui ont changé leurs modes de vie pour s’installer autour des premières cultures de céréales, cette dynamique semble avoir suivi le même schéma en Afrique du Nord.

« Les humains ont observé le cycle de la Nature et ont compris comment en tirer parti pour cultiver une denrée qui pouvait durer puisqu’elle pouvait être stockée. Au Maroc, on peut faire le parallèle avec les greniers collectifs ou encore les « Mtamer » où les graines qui servent à faire le pain sont préservées », raconte l’anthropologue, ajoutant que ces réserves étaient devenues un enjeu stratégique pour la survie et les périodes de disette.

Au pays du pain sacré

À l’instar de plusieurs autres patrimoines et expressions culturelles nationales, la préparation du pain s’est ainsi déclinée différemment à travers les âges, selon les régions et leurs spécificités. « Il existe plusieurs traditions qui ont donné une grande diversité de pains au Maroc. Il y a également énormément de dérivés du pain qui ont vu le jour : galettes, Msemen, Harcha, Razzet Lqadi, ou le Feqqas, pour n’en citer que ceux-là », énumère l’anthropologue.

L’autre particularité du pain au Maroc est sa dimension symbolique : « C’est un aliment qui incarne le don sacré. Le perdre ou le gaspiller était très mal vu. C’est pour cette raison que les Marocains avaient diverses recettes pour préparer des mets à base de restes de pain. C’est le cas de Tambesselt qui, dans la région de Meknès, se prépare avec des oignons et des tomates et les restes du pain. Autrement, les restes du pain étaient donnés comme une aumône aux mendiants et, au pire, déposés dans un endroit éloigné des déchets en attendant de trouver preneur », poursuit la même source.

Pain blanc et pain complet

« Avec le protectorat est apparu le pain blanc à base de blé tendre qui au début était exclusivement consommé dans les villes par les familles aisées. Ce pain s’est depuis généralisé, mais on assiste actuellement à un retour vers le pain complet dont la consommation est par ailleurs meilleure pour la santé », précise Pr Lahlou, qui, cependant, regrette que le rapport des Marocains au pain ait graduellement changé avec la mondialisation et les mutations des modes de consommation.

« J’adhère à l’idée selon laquelle le prix actuel du pain ne reflète pas sa valeur réelle. Cela dit, il est important de penser aux démunis, ou encore aux populations qui vivent en haute montagne et pour lesquelles le prix de la farine est déjà très élevé. Je pense surtout qu’il faut revaloriser le pain marocain et inculquer aux plus jeunes le respect du pain pour éviter le gâchis alimentaire et le gaspillage de cette denrée importante », conclut l’anthropologue.


Oussama ABAOUSS

Repères

Dangers du pain blanc
Une étude réalisée par l’organisation World Action on Salt & Health (WASH) met en garde contre les teneurs élevées de sel contenues dans le pain blanc qui est par ailleurs préparé avec les farines qui n’apportent que peu de nutriments au corps. Le pain blanc contient également du gluten, à l’origine de nombreuses maladies, et beaucoup de glucides dont la consommation excessive peut entraîner un surpoids. Enfin, cet aliment a un indice glycémique trop élevé, c’est-à-dire qu’il augmente la concentration de glucose dans le sang.
 
Fibres et pain complet
Le pain complet est deux fois plus riche en fibre que le pain blanc. Il est d’ailleurs avéré selon plusieurs études que la consommation quotidienne des céréales complètes est associée à un risque moins élevé de diabète de type 2, de maladies cardiovasculaires, d’obésité et de certains cancers. Une étude parue dans la revue The Lancet a montré que manger de 25 à 29 grammes de fibres alimentaires (fruits, légumes, céréales, légumineuses, noix) par jour diminue de 15 à 30% de la mortalité, toutes causes confondues.

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Gaspillage alimentaire


Le quart de la production nationale de pain part à la poubelle
 
Selon la Fédération Nationale de la Boulangerie et de la Pâtisserie du Maroc (FNBPM), 30 millions d’unités de pain ont été jetées chaque jour durant l’année 2020, soit près de 25% de la production quotidienne totale. Sachant que les produits de base de cette denrée sont subventionnés par l’Etat, il est facile de percevoir le gâchis derrière ces volumes de pains gaspillés.

D’autres chiffres évoquent la quantité phénoménale de 350 kg (près de 1250 unités) de pains consommés par an et par habitant au Maroc.

« Il y a quelques décennies, les familles marocaines préparaient elles-mêmes leurs pains puis l’envoyaient chez un four collectif qui avait d’ailleurs une véritable fonction économique et sociale. Ce pain complet pouvait être conservé quasiment intact et prêt à être consommé pendant plusieurs jours. Actuellement, en plus du changement du rapport que les nouvelles générations ont avec ce produit, il est facile de constater que ce qui est le plus consommé, c’est le plain blanc qui peut être conservé moins longtemps que le pain complet », explique Pr Lahlou Abdelati.
 

Société


La longue agonie des fours traditionnels collectifs
 
Selon un rapport publié en septembre dernier par le Centre Régional d’Investissement (CRI) de la région Fès-Meknès, « le Maroc compte 5.351 boulangeries et pâtisseries modernes et traditionnelles, dont 84% sont actives et plus de 50% sont considérées performantes ».

Dans ce segment d’activité lié au pain, une composante jadis très importante dans la culture marocaine est en train de disparaître, à savoir les petits fours traditionnels de quartier.

Contacté par nos soins, un « fernatchi », installé depuis plus de quarante ans dans un quartier de Salé, nous a raconté les difficultés auxquelles font face les propriétaires de « ferranes » : « Nous étions trois fours installés dans ce quartier et chacun de nous travaillait à plein-régime avec les habitants des ruelles les plus proches de son périmètre. C’était la belle époque où quasiment toutes les familles préparaient leur pain à la maison et nous le ramenaient pour la cuisson. Depuis les années 80, nous avons petit à petit vu disparaître nos clients qui ont commencé à acheter le pain ou à le cuire dans leurs propres fours à la maison ».

Pour s’adapter, les propriétaires des fours collectifs ont tenté de se reconvertir tant bien que mal, mais beaucoup ont dû fermer. « Il y a encore quelques familles qui viennent régulièrement pour faire cuire le pain, mais l’essentiel de notre activité se fait actuellement à travers la cuisson de gâteaux traditionnels ou à travers des commandes spécifiques, notamment pour préparer des rôtis », explique notre interlocuteur.

 

3 questions au Pr Lahlou Abdelati, anthropologue


« Le pain dans notre pays a une dimension symbolique très intéressante, que ce soit sous une perspective culturelle ou cultuelle »
 
Anthropologue affilié à l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine (INSAP), Pr Lahlou Abdelati répond à nos questions sur son projet de livre dédié au pain marocain.


- Pourquoi avez-vous choisi de travailler sur un livre dédié au pain du Maroc ?


- C’est un choix qui a été motivé par l’importance de cette denrée au niveau national et par le rapport très profond qui existe entre le pain et le Marocain. Au-delà des spécificités de préparation et de ses ramifications historiques qui remontent à des milliers d’années, le pain dans notre pays a une dimension symbolique très intéressante, que ce soit sous une perspective culturelle ou cultuelle.


- Est-ce que les différentes façons de préparer le pain ont été répertoriées par les chercheurs ?


- Justement non. C’est une des raisons qui m’a poussé à faire ce travail dans le cadre de mon ouvrage à travers une typologie qui se décline en une dizaine de grandes familles du pain. Le lexique qui se rapporte au pain et à sa préparation fera également partie de cette typologie. La question d’identification de ce patrimoine immatériel est un enjeu important qui est au coeur du travail en cours, d’autant plus qu’il existe des préparations de pain qui sont peu connues du grand public.


- Pouvez-vous nous en citer quelques exemples et nous dire quand le livre sera disponible ?


- Dans mon enquête sur les fours collectifs, j’ai par exemple découvert, dans un quartier de la Kasba à Meknès, un pain que je ne connaissais pas et dont la particularité réside dans le fait qu’il soit exclusivement et séparément préparé par les familles du quartier pour être offert à une famille voisine en deuil. Je peux également citer un autre pain fait dans la région du Rif à base de restes de graines des « Mtamer » et qui, de par cette composition, dispose de caractéristiques gustatives particulières. Concernant la parution du livre, j’espère qu’elle pourra se faire au plus tard l’année prochaine.

 
Recueillis par O. A.
 








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