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Actu Maroc

Accord de pêche et agricole / Maroc-UE : Rabat peut-il se passer des 27 ?


Rédigé par Hiba CHAKER Mardi 9 Novembre 2021

Lors du discours de la Marche Verte, SM le Roi Mohammed VI avait réaffirmé que la marocanité du Sahara n’était pas négociable dans les accords commerciaux. Si le tribunal européen maintient l’annulation des accords de pêche avec le Royaume, Rabat devrait se tourner vers les pays de l’Est prêts à faire du business.



Il y a un peu plus d’un mois, le tribunal de l’Union Européenne décidait d’annuler deux accords commerciaux entre le Maroc et l’UE, entrés en vigueur deux ans plus tôt, en réponse à un recours déposé par les séparatistes du Front Polisario. Une décision qui a créé un tollé dans plusieurs pays du vieux continent, particulièrement en France, au Portugal et surtout en Espagne, puisque sur les 132 navires qui pêchent dans les eaux marocaines, 93 sont espagnols.

Le voisin ibérique tient donc à cet accord stratégique, comme l’a bien affirmé le ministre de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation, Luis Planas, et ce, à l’instar de tous les pays qui bénéficient d’importants échanges en la matière avec le Maroc.

Si la justice européenne s’est permise de toucher à l’intégrité du Sahara dans sa dernière décision, le Maroc a tranché sur la question et SM le Roi Mohammed VI a bien tracé le positionnement du Royaume dans le «doing business» en affirmant, lors du discours de la Marche Verte, que «le Maroc n’engagera avec eux aucune démarche d’ordre économique ou commercial qui exclurait le Sahara marocain».

Premièrement parce que les provinces du Sud constituent une partie intégrante du territoire national, il s’agit là d’une vérité historique qui ne souffre d’aucune contestation socio-politique, comme l’ont bien démontré les populations sahraouies lors du scrutin du 8 septembre, lequel a connu un afflux massif d’électeurs dans le Sahara marocain. D’autant que les provinces du Sud occupent une place déterminante dans le développement économique du pays et constituent un trait d’union entre le Maroc et le reste du continent africain, en étant un espace ouvert aux opportunités de développement et une plate-forme propice à l’investissement national et étranger.

Ainsi, leur exclusion des accords commerciaux ne relève d’aucun résonnement logique. Selon l’économiste Najib Akesbi, cette rupture aura un impact fort sur l’exportation de légumes et de pêche dans la région de Dakhla, une dizaine de milliers de tonnes. «Le nombre d’opérateurs économiques dans la région n’est pas très grand. Ceux-ci verront leurs exportations perturbées, mais ils pourront aussitôt rediriger leur commerce vers d’autres destinations», ajoute notre interlocuteur, qui affirme que l’Espagne, par contre, va se plier à quatre pour que l’accord en question ne soit pas annulé.

L’alternative n’est pas loin !

Cela dit, même si l’accord était définitivement invalidé par la Cour de Justice Européenne, le Royaume pourrait se tourner vers d’autres partenaires commerciaux, notamment la Chine, le Japon et très fraîchement le Royaume Uni. Il est vrai que l’Union Européenne est le premier partenaire économique du Maroc.

En 2020, le commerce total des marchandises entre les deux parties s’est élevé à 35,3 milliards d’euros. En volume, 64% des exportations du Maroc sont dirigées vers l’Europe et 51% des importations du Maroc proviennent de l’Union.

Pour leur part, les échanges agricoles ont atteint près de 4,6 milliards d’euros en 2020, représentant 13% des échanges globaux de biens entre les deux partenaires. Il est donc de notoriété publique que le manque à gagner est énorme, toutefois, selon Akesbi, les perspectives qui se présentent pour le Maroc sont très prometteuses.

D’autant que le Maroc reste déficitaire dans l’essentiel de ses échanges avec les pays du vieux continent et que l’ère du Nouveau Modèle de Développement (NMD) est le moment idoine pour faire une refonte des relations économiques internationales. Une volonté d’ailleurs exprimée dans le rapport de la Commission Spéciale du NMD qui préconise de consolider les accords scellés avec la Russie, la Chine et l’Inde, lors des visites royales en 2016 et 2017. Il faut aussi ajouter les accords directs conclus avec la Turquie, ouvrant au Maroc un marché turc fort de plus de 80 millions de consommateurs, avec un nouvel accord de libre-échange à l’horizon.

Côté britannique, le nouvel accord commercial avec le Maroc, entré en vigueur en janvier dernier, inclut à l’export des produits agricoles et de la pêche issus du Sahara marocain. Si en 2018 le Royaume-Uni était le 13ème client des produits de la pêche marocains, aujourd’hui, les perspectives de croissance prêtent à l’optimisme. 

Le revirement de la diplomatie marocaine vers « l’Est » est d’autant plus nécessaire avec des « partenaires » européens qui continuent de voir leurs relations avec le Maroc « à la carte », comme décrié récemment par le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita, qui a affirmé que le rapport du maître à l’élève n’est plus accepté par le Royaume.

Le Maroc a donc fixé le cap en montrant qu’il est prêt à faire du bon commerce avec les pays qui respectent son intégrité territoriale et ses orientations économiques et politiques, dont l’objectif est d’assurer la prospérité nationale et régionale à travers des partenariats win-win. Le littoral marocain est donc ouvert à Moscou, Washington, Londres, Pékin, Tokyo, Ankara et les 27 réunis…mais à condition de repenser leur positionnement sur le Sahara marocain.


Hiba CHAKER

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Stats


L’export agricole dans le vert
 
Les exportations de fruits et légumes frais, réalisées entre le 1er septembre 2020 et le 27 juillet 2021, ont atteint près de 2 millions de tonnes (MT) contre 1,88 MT durant la campagne précédente à la même date, enregistrant une croissance de 5%, indique le ministère dans un communiqué.

Avec une situation commerciale favorable sur les marchés de destination, les exportations d’agrumes ont, quant à elles, totalisé un volume de plus de 537.000 tonnes, en hausse de 3% (+22% pour les clémentines) par rapport à la campagne précédente, fait savoir le communiqué.

Sur la même tendance, les produits maraîchers ont atteint un volume exporté de 1, 44 MT, en augmentation de 6% par rapport à la campagne précédente. La croissance a été particulièrement marquée pour certains produits comme les poivrons et les piments (+20%) ou encore les fruits rouges (+29% pour les myrtilles, +13% pour les framboises, +8% pour les fraises), relève le ministère. Une manne qui pourrait être redirigée vers d’autres marchés demandeurs en cas d’arrêt des accords avec l’UE.

 

Accord de pêche


L’Espagne, grand perdant
 
Compte tenu de sa tradition halieutique, l’Espagne enregistre des niveaux très élevés de consommation de poisson. Selon des estimations récentes de la FAO, la consommation des produits halieutiques s’élevait à 38 kg/habitant par an. Un chiffre trois fois supérieur à la consommation européenne moyenne. Une spécificité qui fait que le voisin du Nord devrait être l’un, voire le principal perdant en cas de rupture de l’accord de pêche entre le Maroc et l’UE.

L’hypothèse de perdre l’accès privilégié aux eaux marocaines et le recours à des négociations bilatérales qui risqueraient d’entraîner une hausse des prix des produits de la pêche dans les étals espagnols pousse Madrid à tenter de manoeuvrer au sein de la Commission Européenne pour éviter une rupture des accords de pêche avec le Royaume.

Encore faut-il décrocher la majorité au sein des instances européennes, notamment le Conseil des ministres, l’Espagne pourrait bénéficier du soutien de la France, voire de l’Italie, mais risque de se faire déborder par des pays comme l’Allemagne, le Danemark, la Finlande, les Pays-Bas et la Suède. Des pays moins disposant de leurs propres ressources halieutiques et moins dépendants de la pêche en Atlantique Sud. Preuve en est le tweet publié quelques temps après la décision du tribunal de l’UE.

Ann Linde, ministre suédoise des Affaires étrangères, a ainsi affirmé que les accords de l’UE doivent « être guidés par le droit international ». En cas de rupture des accords de pêche, des pays concurrents comme le Royaume Uni, la Russie, le Japon, voire la Chine pourraient profiter de la situation, s’engouffrer dans la brèche et conclure des accords bilatéraux avec le Royaume.

 

3 questions à Najib Akesbi, économiste et universitaire


« Les Espagnols vont se plier en quatre pour que l’accord en question ne soit pas annulé »
 
 
- Quel impact pourrait avoir la décision d’annulation des accords entre le Maroc et l’Union Européenne ?

- D’abord, il faut signaler que le manque à gagner pour l’Europe est trop important pour imaginer une annulation de ces accords. Alors que l’UE représente près de 70% du commerce extérieur du Maroc, le Royaume est, à son tour, un marché important de l’Europe.

D’ailleurs, l’accord de 1996, entré en vigueur en 2000, qui met en place un dialogue politique et organise la zone de libre-échange entre l’Europe et le Maroc, a permis au vieux continent d’accéder, depuis 2016, aux différents produits industriels dont il a besoin, sans rien payer en plus. C’est donc un avantage considérable par rapport aux concurrents asiatiques, par exemple, qui sont dans l’obligation de payer des douanes, etc… Alors, partant du réalisme froid de la géopolitique, n’imaginez pas une seconde que l’Europe va abandonner ces avantages pour un tribunal si démocratique ou même pour un Etat de droit.


- Quels sont les scénarios envisageables pour le Maroc en cas de rupture des accords ?

- Pour l’agriculture, les exportations à partir de la région de Dakhla vont s’arrêter provisoirement, ce qui va influencer l›activité de certains opérateurs qui risquent de voir leur exportation perturbées ou gênées. Le nombre de ces acteurs économiques étant limités, l'impact sera donc gérable, surtout qu›ils pourront rediriger leur produits vers d›autres clients potentiels.

Concernant la pêche, l’arrêt de ces accords aura un impact positif pour le Maroc puisque ça va permettre de soulager les ressources halieutiques de la surexploitation. Toutefois, je répète que les Espagnols vont se plier en 4 pour que l’accord en question ne soit pas annulé.


- Serait-il envisageable que la production nationale soit réorientée vers le marché national ?


- Ce n’est pas automatique. Entre 2002 et 2013, cet accord a déjà été suspendu, toutefois, cela n’a pas influencé les prix des poissons sur le marché marocain. Cela est dû au problème lié aux conditions du marché, mais également à l’exploitation du secteur de la pêche. On a besoin d’une logistique de bateaux conséquente, pour conserver les poissons et les transporter… Et les défaillances sont à ce niveau. D’ailleurs, on a le problème des fameux spéculateurs qui font que les prix entre le producteur et le consommateur sont multipliés par 4 ou 5. C’est un problème intra-marocain.
 
Recueillis par H. C.