De la smart city à la cité sensible
Être une ville intelligente ne signifie pas accumuler capteurs et plateformes numériques. Il s’agit avant tout d’un projet de société. Une smart city véritablement marocaine doit articuler gouvernance participative, innovation éthique, gestion territoriale fine et appropriation citoyenne des services publics. Rabat peut incarner cette nouvelle voie, en mettant l’intelligence artificielle (IA) au service de la fluidité urbaine, de la prévision des flux, de l’amélioration des services sociaux — sans jamais se substituer à la délibération humaine.
Une résilience systémique, sociale et cognitive
La résilience ne se limite pas à survivre à un choc ; elle implique de rebondir, transformer, apprendre. Rabat peut devenir un laboratoire marocain de résilience urbaine, capable d’anticiper les vulnérabilités grâce à l’IA (gestion intelligente de l’eau, coordination interservices, modélisation des risques). Mais cette résilience doit aussi être sociale (équité d’accès, solidarité entre habitants), et cognitive (capacité collective à inventer des futurs souhaitables). Une ville intelligente est aussi une ville apprenante.
Une ville entre mémoire et innovation
Rabat se distingue par sa capacité à conjuguer héritage vivant et modernité assumée. La médina dialogue avec les institutions, les arts traditionnels croisent les technologies émergentes. Cette hybridation féconde peut faire de Rabat une cité créative, où les savoir-faire anciens (comme le caftan ou le zellige) sont numérisés, transmis, augmentés par l’intelligence artificielle. Loin de niveler les cultures, l’IA peut les amplifier, les documenter et les faire rayonner.
Une vision systémique de la ville intelligente
Dans un monde incertain, où les repères sont bouleversés par les transitions numériques, écologiques et géopolitiques, la pensée systémique devient une nécessité stratégique. Appliquée à la ville, cette approche repose sur quatre piliers interdépendants : l’incertitude, le paradigme, le système et le modèle.
L’incertitude appelle une gestion adaptative des ressources urbaines, où les décisions ne sont jamais figées mais réévaluées à chaque perturbation du territoire.
Le paradigme de l’IA, en tant que référentiel technologique et sociétal, ne doit pas être subi mais intégré de manière critique, comme levier de transformation.
Le système urbain est une mosaïque interconnectée d’acteurs, de flux, de règles et de valeurs, qui exige une gouvernance distribuée, multidimensionnelle, et fondée sur la co-construction.
Enfin, le modèle systémique vise à articuler technologies, institutions, usages et territoire pour faire émerger une ville « intelligente », non pas au sens technique du terme, mais au sens apprenant, inclusif et souverain.
Cette vision est incarnée dans le modèle IA-systémique développé dans nos recherches : un cadre intégrant les dimensions économiques, politiques, sociales, culturelles et numériques, désormais applicable à l’échelle de la ville.
Un exemple concret : le cimetière intelligent de Rabat
Cette approche se matérialise déjà à travers des projets innovants à forte valeur symbolique. C’est le cas du cimetière intelligent de Rabat, pensé non comme un simple lieu de sépulture, mais comme un espace de dignité, de mémoire et de lien social. Grâce à l’IA et au numérique, il devient possible de :
- géolocaliser les tombes,
- donner accès à des récits familiaux via QR codes,
- faciliter l’entretien partagé des lieux,
- créer un espace de recueillement assisté et sécurisé.
Ce projet révèle le sens profond d’une smart city marocaine : une ville où la technologie ne déshumanise pas, mais au contraire réenchante les lieux d’intimité collective. Une ville où l’innovation respecte le sacré, où l’intelligence urbaine s’exprime aussi dans les lieux silencieux. Rabat donne ainsi un signal fort : celui d’une citoyenneté numérique inclusive, qui honore les vivants tout en respectant la mémoire des morts.
Vers une stratégie marocaine, souveraine et inclusive
Rabat ne doit pas copier un modèle asiatique ou européen. Elle peut forger un modèle marocain de smart city, à la fois sobre, juste et souverain. Cela implique :
- Une gouvernance numérique locale ;
- Une formation de proximité, pour tous les âges ;
- Une urbanisation augmentée, pilotée par la donnée publique ;
- Une régulation éthique, protégeant contre les dérives de surveillance ou les biais algorithmiques.
Il ne s’agit pas de multiplier les gadgets, mais de répondre aux vrais besoins des citoyens — logement, mobilité, santé, éducation, expression. Et de le faire avec eux.
Rabat : catalyseur d’un urbanisme systémique
Rabat a les atouts pour devenir la première ville résiliente, apprenante et souveraine du continent africain. Un lieu où l’IA n’est pas un outil froid, mais un levier de justice urbaine, d’égalité d’accès, de démocratie augmentée. La capitale peut devenir un symbole d’harmonie entre innovation et enracinement, entre mémoire et futur, entre geste artisanal et code numérique.
Elle peut inspirer non par ses écrans géants ou ses tableaux de bord, mais par la manière dont elle tisse le lien entre les habitants, la ville et leur histoire commune.