Il existe des mots qui pèsent plus lourd que toutes lettres dans toutes les langues. Des mots chargés de silences, d’ossements, de vers de terre et de folie humaine. Le mot en G est de ceux-là. Il ne se dit pas facilement. Il ne se prononce pas sans que la bouche ne se dessèche et que la gorge ne se serre. Il flotte dans l’air comme une cendre tiède que personne n’ose vraiment respirer.
Il ne suffit pas de prononcer le mot en G pour croire à un basculement. Le répéter des centaines de milliers de fois, depuis deux ans, n’a pas fait perdre la capacité de nuire à ceux qui le renient. Pourtant il a circulé partout. Il s’est glissé dans les discours, s’est incrusté dans les écrans, s’est installé dans les conversations, parfois même dans les chansons, sans jamais produire l’effet espéré. Il est devenu ce mot que l’on lance dans le vide, semblable à une bouteille jetée à la mer, avec la certitude intime qu’elle ne reviendra jamais.
Ce mot-là, on l’apprend dans les livres d’histoire, souvent trop tard, quand les corps sont déjà comptés et classés. On le découvre dans les images floues, dans les témoignages brisés, dans les regards de survivants qui parlent pour des morts, morts avant de finir de vivre. Le nommer est un devoir. Pourtant le nommer n’a jamais empêché qu’il recommence ailleurs, sous d’autres visages, d’autres prétextes, d’autres dominations, d’autres aberrations.
Depuis un certain octobre, ce mot résonne. Il circule sur les plateaux, sur les réseaux, dans les rues, parfois avec colère, parfois avec lassitude. Et pourtant rien ne s’arrête. Les corps tombent encore. Les villes se vident. Des populations entières fuient sous les explosions. Les survivants comptent les morts. Chaque nom ajoute du poids au silence. La mort s’est donnée en spectacle, soigneusement et froidement mise-en-scène. Le mot en G, censé mettre fin au spectacle, à force d’être répété, a fini par en faire partie. Un figurant sans importance dans une pièce où la folie et la mort tiennent les premiers rôles.
Il y a quelque chose d’indécent dans cette répétition. Comme si le langage lui-même avait atteint sa limite. Comme si les mots étaient devenus trop étroits pour contenir l’ampleur de ce qui se joue. Le mot en G paraît désormais usé jusqu’à la corde, frotté jusqu’à l’os, incapable de susciter autre chose qu’un haussement d’épaules chez ceux qui supportent et financent le spectacle. Et ce haussement d’épaules devient à son tour une scène à part entière, une séquence de plus dans la mécanique du spectacle. Même le verdict d’un tribunal international, n’a pas suffi pour que le mot en G prenne enfin sa pleine force de frappe.
Quand, malgré les répétitions, les grandes déclarations, les verdicts, un mot continue de souffrir de reconnaissance, il devient ambiguë, pale, suspect. On se regarde alors de travers. On soupçonne l’autre de penser de travers. On l’accuse de complotiste, de conspirationniste, de propagandiste. La fabrique de l'ennemi ne manque pas de moyens. On parle au nom de victimes que l’on n’entend jamais parce que déjà six pieds sous terre ou sous les décombres. Celui que l’ennemi désigne comme ennemi devient une silhouette abstraite, commode et muette, à peine faisant partie de la race humaine. On parle pour lui, contre lui, sans jamais lui laisser de voix, et l’on justifie ainsi l’injustifiable.
Dans certains pays qualifiés de dictatures, des foules se sont levées pour des causes bien moins meurtrières, et le pouvoir a fini par céder. Ici, dans nos régimes qui se disent démocratiques, malgré les marches, malgré les cris, malgré les larmes, les pétitions, les verdicts, rien n’a véritablement bougé. Le mot en G résonne dans le vide. Il n’a jamais fait trembler ceux qu’il aurait dû alerter, inquiéter.
Le drame est peut-être là. Le mot en G est devenu un bruit de fond. Un mot parmi d’autres. Un mot que l’on peut entendre chaque jour sans que le monde ne s’arrête ne serait-ce qu’une seconde pour se regarder en face. C'est un mot, juste un mot. Même les chiffres, ceux des morts, des blessés, des disparus, censés lui donner du poids, semblent avoir perdu leur capacité à dire l’effondrement, le déclin d’un empire, d’une civilisation. Ils n’annoncent plus une fin possible de l’humanité, seulement une habitude de la perdre.
Et pourtant le mot en G persiste. Il subsiste avec une gêne sourde, avec un poids intact. Il est là comme une pierre coincée dans la bouche de l’histoire. On le prononce moins qu’avant, ou autrement, avec lassitude ou résignation. Mais il demeure. Et tant qu’il demeurera, avec plus de honte que de courage, il rappellera qu’il ne suffit pas de bien nommer un malheur pour l’effacer. Il rappellera que tuer un groupe d’humains innocents revient à tuer l’humanité tout entière.
Mon souhait pour la nouvelle année, porté par une âme et un corps qui vieillissent, est que les mots cessent d’avoir honte d’exister pour dire l’état du monde.
Il ne suffit pas de prononcer le mot en G pour croire à un basculement. Le répéter des centaines de milliers de fois, depuis deux ans, n’a pas fait perdre la capacité de nuire à ceux qui le renient. Pourtant il a circulé partout. Il s’est glissé dans les discours, s’est incrusté dans les écrans, s’est installé dans les conversations, parfois même dans les chansons, sans jamais produire l’effet espéré. Il est devenu ce mot que l’on lance dans le vide, semblable à une bouteille jetée à la mer, avec la certitude intime qu’elle ne reviendra jamais.
Ce mot-là, on l’apprend dans les livres d’histoire, souvent trop tard, quand les corps sont déjà comptés et classés. On le découvre dans les images floues, dans les témoignages brisés, dans les regards de survivants qui parlent pour des morts, morts avant de finir de vivre. Le nommer est un devoir. Pourtant le nommer n’a jamais empêché qu’il recommence ailleurs, sous d’autres visages, d’autres prétextes, d’autres dominations, d’autres aberrations.
Depuis un certain octobre, ce mot résonne. Il circule sur les plateaux, sur les réseaux, dans les rues, parfois avec colère, parfois avec lassitude. Et pourtant rien ne s’arrête. Les corps tombent encore. Les villes se vident. Des populations entières fuient sous les explosions. Les survivants comptent les morts. Chaque nom ajoute du poids au silence. La mort s’est donnée en spectacle, soigneusement et froidement mise-en-scène. Le mot en G, censé mettre fin au spectacle, à force d’être répété, a fini par en faire partie. Un figurant sans importance dans une pièce où la folie et la mort tiennent les premiers rôles.
Il y a quelque chose d’indécent dans cette répétition. Comme si le langage lui-même avait atteint sa limite. Comme si les mots étaient devenus trop étroits pour contenir l’ampleur de ce qui se joue. Le mot en G paraît désormais usé jusqu’à la corde, frotté jusqu’à l’os, incapable de susciter autre chose qu’un haussement d’épaules chez ceux qui supportent et financent le spectacle. Et ce haussement d’épaules devient à son tour une scène à part entière, une séquence de plus dans la mécanique du spectacle. Même le verdict d’un tribunal international, n’a pas suffi pour que le mot en G prenne enfin sa pleine force de frappe.
Quand, malgré les répétitions, les grandes déclarations, les verdicts, un mot continue de souffrir de reconnaissance, il devient ambiguë, pale, suspect. On se regarde alors de travers. On soupçonne l’autre de penser de travers. On l’accuse de complotiste, de conspirationniste, de propagandiste. La fabrique de l'ennemi ne manque pas de moyens. On parle au nom de victimes que l’on n’entend jamais parce que déjà six pieds sous terre ou sous les décombres. Celui que l’ennemi désigne comme ennemi devient une silhouette abstraite, commode et muette, à peine faisant partie de la race humaine. On parle pour lui, contre lui, sans jamais lui laisser de voix, et l’on justifie ainsi l’injustifiable.
Dans certains pays qualifiés de dictatures, des foules se sont levées pour des causes bien moins meurtrières, et le pouvoir a fini par céder. Ici, dans nos régimes qui se disent démocratiques, malgré les marches, malgré les cris, malgré les larmes, les pétitions, les verdicts, rien n’a véritablement bougé. Le mot en G résonne dans le vide. Il n’a jamais fait trembler ceux qu’il aurait dû alerter, inquiéter.
Le drame est peut-être là. Le mot en G est devenu un bruit de fond. Un mot parmi d’autres. Un mot que l’on peut entendre chaque jour sans que le monde ne s’arrête ne serait-ce qu’une seconde pour se regarder en face. C'est un mot, juste un mot. Même les chiffres, ceux des morts, des blessés, des disparus, censés lui donner du poids, semblent avoir perdu leur capacité à dire l’effondrement, le déclin d’un empire, d’une civilisation. Ils n’annoncent plus une fin possible de l’humanité, seulement une habitude de la perdre.
Et pourtant le mot en G persiste. Il subsiste avec une gêne sourde, avec un poids intact. Il est là comme une pierre coincée dans la bouche de l’histoire. On le prononce moins qu’avant, ou autrement, avec lassitude ou résignation. Mais il demeure. Et tant qu’il demeurera, avec plus de honte que de courage, il rappellera qu’il ne suffit pas de bien nommer un malheur pour l’effacer. Il rappellera que tuer un groupe d’humains innocents revient à tuer l’humanité tout entière.
Mon souhait pour la nouvelle année, porté par une âme et un corps qui vieillissent, est que les mots cessent d’avoir honte d’exister pour dire l’état du monde.
Mohamed Lotfi
31 décembre 2025
31 décembre 2025























