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​Embrasser les pieds de sa mère : Nader Sadaqa, le Samaritain rebelle


Rédigé par Mohamed LOTFI le Jeudi 13 Novembre 2025

En cette fin de journée du 13 octobre 2025, il a marché droit vers elle et, de tout son corps, s’est jeté à ses pieds pour les embrasser. Longtemps. Comme si ce geste pouvait recoller le temps. Elle a voulu le relever, mais il s’est accroché encore un peu, les yeux fermés, les larmes sur le béton. Puis il s’est levé pour la serrer fortement dans ses bras en criant « mère » pas très loin du père. Ce dernier, attendait son tour. Dans un geste d’un autre temps, le fils a embrassé les mains de son père. Le regard, plein de fierté, les larmes retenues. Ensuite, il s’est tourné vers son frère et s’est laissé porter par lui comme au milieu d’un jeu enfantin entre deux frères. Un geste qui disait tout, la joie, la perte, la survie, le retour. Autour d’eux, la gare du Caire, les annonces, les voyageurs, mais plus rien n’existait. Il n’y avait que cette famille, ce cœur qui battait de nouveau au centre d’un monde abîmé.



Après un très long hiver, Nader retrouve les siens. Cela fait vingt et un ans qu’ils attendaient d’être à nouveau réunis. C’est le retour du fils résistant. Le Samaritain rebelle. Nader Sadaqa.
 
Vingt et un ans plus tôt, Nader avait quitté Naplouse menotté, emporté dans un véhicule militaire. Vingt et un ans enfermé à Petah Tikva, le centre où l’on apprend aux hommes à se taire. Tortures psychologiques, nuits sans sommeil, lumières jamais éteintes. Ils voulaient son aveu, son épuisement, sa reddition. Ils n’ont obtenu que son silence. Pas une phrase, pas un nom, pas une faille. Dans l’obscurité, il gardait le souvenir du mont Garizim, cette montagne où les Samaritains disent que brûle la première flamme de Dieu. Ce n’était pas qu’une croyance, c’était son ancrage. Fils du plus petit peuple au monde, 786 âmes, héritier d’une foi que le temps a presque effacée, Nader Sadaqa a tenu bon. Son identité, palestinienne et israélite, était son bouclier.
 
Quand le Hamas a négocié l’échange de prisonniers, son nom est revenu comme une évidence. Leurs porte-paroles ont insisté, « Pas d’accord sans lui. » Car Sadaqa n’était pas qu’un détenu, il était devenu un symbole, un pont entre des mondes que tout semblait séparer, la plus ancienne foi d’Israël et la cause palestinienne contemporaine. Israël ne voulait pas de lui dehors, trop dangereux, trop inspirant, trop différent. Mais le Hamas n’a pas lâché. Et lorsque l’échange a eu lieu, quarante-huit soldats israéliens contre près de deux mille otages palestiniens, Nader Sadaqa faisait partie de la liste.
 
Né à Naplouse en 1977, il avait grandi sur les hauteurs du mont Garizim, ce lieu où la communauté samaritaine garde encore la Torah la plus ancienne du monde. Il avait étudié l’histoire et l’archéologie à l’université An-Najah, fouillant les ruines pour comprendre ce que les pierres disaient du présent. Quand la Seconde Intifada a éclaté, il a quitté les salles de cours pour rejoindre les Brigades Abou Ali Mustafa, branche armée du Front populaire de libération de la Palestine. Là, il s’est imposé comme un commandant méthodique, discipliné, porté par la conviction que la résistance, c’est d’abord une fidélité à la terre, à la vérité, à la dignité.
 
En 2004, après deux ans de traque, ils l’ont arrêté près du camp d’Aïn. Le verdict a été brutal : six peines de prison à perpétuité, plus quarante-cinq ans. Comme si l’État pouvait condamner une idée. À Petah Tikva, il n’a pas perdu son temps. Il a enseigné à ses co-détenus l’histoire, la politique, la résistance. Il leur a appris à lire différemment le passé, à ne pas céder sur la pensée. Pour lui, l’éducation était une arme. Il disait, « Ils peuvent t’enfermer, mais pas t’empêcher de comprendre. » Et dans le silence des cellules, il est devenu le penseur, celui dont les mots circulaient sous la porte, copiés à la main sur des feuilles volantes, lus à voix basse comme des prières.
 
Aujourd’hui, il est libre. Mais Israël refuse qu’il rentre à Naplouse. Ils veulent l’exiler, le tenir loin du mont Garizim, comme si son absence pouvait effacer sa trace. Mais comment effacer un homme qui incarne tout ce que tu crains ? Chez les Samaritains, on dit qu’il a rendu leur nom à l’histoire. Chez les Palestiniens, on dit qu’il a rappelé que la nation dépasse la religion. Dans les deux cas, il est devenu un mythe vivant, un gardien revenu du fond des murs.
 
Sur le quai du Caire, la foule a fini par se disperser, mais sa mère ne lâchait pas sa main. Son père le regardait sans parler, fier et fatigué. Son frère, toujours à ses côtés, répétait son nom comme pour s’assurer qu’il était bien réel. Nader Sadaqa, fils du mont sacré, le Samaritain rebelle, celui qu’ils n’ont pas réussi à briser.
 
Il a embrassé la liberté comme il avait embrassé les pieds de sa mère, avec respect, douleur et promesse.
Parce que Nader Sadaqa sait que la vraie victoire, ce n’est pas de sortir libre. C’est de rester entier.
 
Mohamed Lotfi
12 novembre 2025







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