L'Opinion Maroc - Actuali
Consulter
GRATUITEMENT
notre journal
facebook
twitter
youtube
linkedin
instagram
search


Agora

Un comité national d’éthique, instance de concertation incontournable


Rédigé par Allal Amraoui le Mardi 15 Septembre 2020

Peut-on encore faire l’économie d’un conseil national d’éthique qui encadre les valeurs humaines dans leur ensemble, s’occupant plus précisément de l’éthique médical, de bioéthique, c’est à dire tout ce qui entoure la recherche qui concerne le vivant et la santé.



Dr Allal Amraoui, Chirurgien, député istiqlalien Ancien Directeur régional de la Santé, Président du Centre marocain des études et recherches en politique de santé.
Dr Allal Amraoui, Chirurgien, député istiqlalien Ancien Directeur régional de la Santé, Président du Centre marocain des études et recherches en politique de santé.
La lutte contre le Covid19 au centre de toutes les recherches en Santé actuelles

Durant cette pandémie, notre pays fait face à l’instar des autres pays du monde, a probablement la plus grave menace sanitaire de l’ère moderne, avec ses innombrables interrogations, des affirmations scientifiques tous les jours aussi contradictoires les unes que les autres, une situation où la recherche scientifique apparait enfin !! comme un besoin national vital et incontournable.

Désarmés face à un nouveau virus, que la communauté scientifique, découvre, étudie et essaie encore d’en définir les contours, les institutions de l’état et les citoyens marocains impatients, comme le reste de l’humanité, scrutent les nouvelles et caressent l’espoir d’une solution qui viendrait lever la morosité actuelle et ses mesures contraignantes. Mais, autant l’opinion publique, espère le traitement ou le vaccin miracle, autant elle cherche avec perspicacité, à s’assurer que la recherche se déroule conformément aux principes scientifiques et éthiques.

Essais cliniques sur le vaccin, implication nécessaire du Maroc

Au Maroc, sur le plan juridique, les conditions appropriées dans lesquelles s’effectuent les recherches biomédicales, garantir leurs transparences, et la protection des personnes qui y participent sont assurées par la loi 28-13 relative à la protection des personnes participants aux recherches biomédicales du 4 Aout 2015. La protection des données à caractère personnel est encadrée par la loi 09-08. 

Le Maroc qui a adhéré à l’Organisation mondiale de la santé depuis son indépendance, et qui souscrit à de nombreux instruments internationaux, s’est engagé depuis son indépendance à établir un système de santé afin de répondre aux attentes de la population dans ce domaine. La constitution du Maroc, reconnait le droit des citoyens aux soins de santé, et à la couverture médicale et en fait une responsabilité des pouvoirs publics (article 31), et pour la première fois dans son article 27, elle atteste le droit d'accès à l'information (DAI) publique. Le Préambule de la constitution de l’OMS exprime dans des termes brefs et significatifs le rôle de l’information dans l’amélioration de la santé dans son paragraphe 9 : « Une opinion publique éclairée et une coopération active de la part du public sont d’une importance capitale pour l’amélioration de la santé des populations».

La loi cadre n° 34-09 qui est de toute l’histoire de la législation sanitaire au Maroc, la première du genre, fixe les principes et les objectifs fondamentaux de l’action de l’Etat en matière de santé ainsi que l’organisation du système de santé qu’elle définit comme un ensemble d’éléments interdépendants et complémentaires. Largement conforme à la conception de l’OMS, Elle prévoie dans son article 30 des instances de concertation en matière de santé, pour assurer la cohérence des actions du système de santé, améliorer sa gouvernance, permettre la participation active des différents partenaires audit système, et donc la création d’un comité national d’éthique.

Aujourd’hui, la recherche scientifique autour d’un vaccin contre le virus SARS-CoV-2, responsable du Covid19 bat le plein, on n'avait jamais connu une telle compétition planétaire, scientifique et économique afin de mettre au point, produire et commercialiser le premier vaccin.

Les effets catastrophiques de la pandémie actuelle sur la santé et l'économie mondiales, l'absence de traitement antiviral disponible et la perspective d'une persistance probable du SARS-CoV-2 dans les années futures rendent plus que jamais nécessaire la mise au point d'un vaccin humain efficace, seul moyen de prévenir l'infection et de contrôler sa propagation.

Un vaccin garanti à la fois efficace et sans danger, passe obligatoirement par des essais cliniques, qui comportent trois phases. Une première, réalisée sur un faible nombre de volontaires, vérifie l'absence d'effets secondaires. La deuxième est menée sur quelques centaines de volontaires chez lesquels on évalue l'efficacité potentielle du vaccin. Pour autant cette efficacité ne peut véritablement être établie que lors de la troisième phase, menée sur quelques milliers de volontaires –dont la moitié reçoit généralement un placebo. C'est un essai mené en général «dans la vraie vie» qui permet d'obtenir des données d'innocuité et d'efficacité statistiquement significatives –à la condition, paradoxale ici, que le nouveau coronavirus circule à un niveau élevé et que les volontaires ne respectent pas pleinement les gestes de protection…

« La recherche d’aujourd’hui, ce sont les soins de santé de demain»

Nous ne pouvons ignorer des voix populistes aux théories conspirationnistes certes, semant le doute autour même de l’existence de la pandémie, ou sur sa gravité, relançant  la vigueur des militants anti-vaccination sur les réseaux sociaux, au moment ou les scientifiques du monde entier travaillent d’arrache-pied à la création d’un vaccin contre le Covid-19, et par conséquent le risque de décourager de nombreuses personnes de se faire vacciner. 

En tant que marocains, nous ne pouvons remettre en question les bienfaits de la vaccination comme moyen incontournable de sauver des vies, et pour lutter contre les maladies infectieuses qui jusqu’à récemment faisaient un ravage au sein de notre population. Mais tous les spécialistes insistent sur l’importance de la clarté et de la transparence au sujet du processus de développement du vaccin, pour assurer l’adhésion large à la potentielle compagne de vaccination.

C’est devant des situations qui nécessitent l’adhésion de l’opinion publique, et tranquilliser sur  l’avenir de la collectivité, qu’un comité national d’éthique, parait indispensable. Il faut rappeler qu’on dispose au sein de nos CHU, de comités locaux, dont le plus ancien à Casablanca supervisant certaines recherches à caractère local ou même des fois national, ils connaissent bien la situation locale et peuvent surveiller plus étroitement les études en cours, mais sans aspirer véritablement à la légitimée indispensable au rôle incontournable d’un comité national d’éthique.

Le cadre juridique gagnerait à être complété par une telle instance, pour qu’il soit compétitif sur le plan international car la recherche biomédicale essentiellement les essais cliniques est un secteur qui peut drainer beaucoup de moyens au Maroc. Elle ne peut se développer sans comités d'éthique et sans comité national. C’est un domaine dans lequel le Maroc peut potentiellement capter plus de  1 milliards de dirhams de marchés par an. Des pays comme la Tunisie ou l’Egypte nous dépassent très largement sur ce registre.

Comité national d’éthique, au dessus de tout soupçon

Ce groupe de personnes en comité multidisciplinaire fait l’examen éthique des protocoles de recherche impliquant des sujets humains en appliquant des principes éthiques reconnus, définit des politiques ou émettre des avis sur des questions éthiques d’actualité dans le domaine de la recherche. Les comités ont le pouvoir d’approuver, de rejeter ou d’interrompre des études ou de demander des modifications des protocoles de recherche. Il a la responsabilité de protéger les participants potentiels, mais il doit aussi tenir compte des risques et avantages potentiels pour la communauté dans laquelle l’étude se déroule, son but ultime étant de promouvoir le respect de normes éthiques élevées dans la recherche en santé.

Dans le cas de recherches internationales, le comité représente les intérêts de la population locale, il doit donc s’assurer que les participants et leurs communautés en tireront un juste profit.
Compte tenu du rôle qu’ils sont appelés à jouer dans la détermination et l’évaluation des risques et des bénéfices de la recherche, les comités d’éthique doivent inclure des personnes ayant des compétences scientifiques et médicales (complétées, le cas échéant, par celles de consultants spécialistes de tel ou tel domaine), faute de quoi ils ne seront pas capables de comprendre les procédures utilisées dans l’étude et leurs conséquences potentielles pour les participants.

Toutefois, ces comités d’éthique ne doivent pas être exclusivement composés d’experts scientifiques. Certains types de risques et de bénéfices peuvent être plus faciles à appréhender par des non scientifiques, surtout quand elles touchent des aspects sociaux, juridiques ou culturels. Une fois que les risques et les bénéfices ont été identifiés, il faut aussi déterminer s’ils sont équilibrés, ce qui relève tout autant du jugement de valeurs que de l’analyse scientifique. Pour assurer la diversité dans les jugements de valeurs, il est utile de pouvoir faire appel à des personnes venant de différents horizons, ayant des qualifications variées (aussi bien en médecine qu’en droit, en sciences sociales, etc.), tout en évitant au maximum que des conflits d’intérêts n’influent sur les décisions prises. Une diversité sociale et un équilibre entre les sexes sont également souhaitables.

La communauté doit être bien représentée au sein de ces comités, pour pouvoir attirer l’attention sur des attitudes ou des pratiques locales auxquelles les chercheurs devraient être sensibles, il doit enfin contribuer à alimenter des débats contradictoires au sein de la société sans jamais la confisquer.

Ethique, Bioéthique, tout un processus

La recherche peut être menée au niveau local/régional, national, ou, comme c’est de plus en plus le cas, au niveau international. La dimension internationale croissante a conduit à élaborer des principes éthiques internationalement acceptés pour la recherche biomédicale. Un long processus qui a débuté par le Code de Nuremberg rédigé en 1947, au lendemain de la seconde guerre mondiale, pour que ne se reproduisent plus jamais les atrocités qui avaient été commises au nom de la science. La Déclaration d’Helsinki révisée à 10 reprises dont la dernière en 2008, le Rapport Belmont qui précise pour la 1ere fois les trois piliers de la recherche médicale à savoir le respect des participants, la bienfaisance et la non malfaisance, et la justice, puis les 21 lignes directrices portant sur les questions éthiques liées à la recherche impliquant des sujets humains, éditées en 2002 par Le Conseil des Organisations internationales des Sciences médicales (CIOMS), puis la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme de l’UNESCO en 2005. Enfin la Convention du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme et la biomédecine (1997) et protocole additionnel sur la recherche biomédicale (2005), cet instrument de vaste portée traite non seulement des aspects éthiques de la recherche clinique, mais aussi de thèmes plus généraux tels que l’équité dans l’accès aux soins de santé, la confidentialité et la protection de l’embryon.

La France après le premier bébé conçu par fécondation in vitro  en 1982 a été le premier pays à créer un Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé, sa vocation était de soulever les enjeux des avancées de la connaissance scientifique dans le domaine du vivant et de susciter une réflexion de la part de la société. Au Maroc, lors de la discussion au parlement de la loi 47-14 régissant la procréation médicalement assistée (PMA)  entrée en vigueur le 4 Avril 2019, j’ai eu l’occasion d’interpeller le Ministre de la Santé à l’époque Pr Wardi, lui-même convaincu de l’intérêt de disposer d’une telle instance de concertation pour la PMA, ou pour d’autres questions, comme aujourd’hui à propos des essais cliniques sur le vaccin anti-Covid 19, en rassurant l’opinion publique, et à l’avenir sur des questions relatives aux manipulations génétiques ou à la législation sur l’avortement.
Ces questionnements nécessitent un forum de discussion pluridisciplinaire, pluraliste et indépendant dans sa réflexion et ses recommandations. Il aura pour mission de donner des avis sur les problèmes éthiques soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, médecine et de la santé.
Allal Amraoui