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Tribune : les dangers du néo-nationalisme


Rédigé par Lahcen Haddad le Samedi 22 Juin 2019

La «nation» est une belle idée, surtout quand elle sert à mobiliser de larges couches de la société pour un objectif collectif, comme la libération de la France de l'occupation nazie ou la libération des pays du sud de la tutelle coloniale britannique ou française...



Mais le mot «nation» risque de prendre le chemin des dérives ethno-racistes comme on l'a tristement vu avec le nazisme et ses solutions génocidaires au nom de la race supérieure. 

On le constate aussi avec le nationalisme serbe et sa purification ethnique au nom d'une idée mythologique de la Grande Serbie cousue de toute pièce par Milosevic et ses adeptes. Citons aussi le mythe de la supériorité nippone qui sert en tant que soubassement idéologique au militarisme expansionniste de l'armée japonaise à partir de la fin de l'ère Taīsho (1912-1926). 

La «nation» est un rêve, un devenir juste pour tout un peuple, le rêve de Martin Luther King ou de Mandela. Mais la «nation» est également un enfer, une dérive de mort, de violence, de boucherie à base raciale comme à Auschwitz, à Nankin ou à Srebrenica... 

Le sens que l’on donne à la nation dépend des leaders : un Ghandi, un Churchill ou un De Gaulle utilisent la ferveur nationaliste et mettent en avant les jalons d'une mobilisation positive de toutes les forces pour un avenir de libération et de liberté. Hitler par contre, ainsi que ses amis, les généraux japonais de la 2e guerre mondiale, (et plus récemment Karadzic et Mladic), exploitent les peurs des populations désenchantées par l'effondrement de l'ancien ordre afin de «rebâtir» le mythe de la nation martyrisée renaissant de ses cendres pour reconquérir le monde et battre ses ennemis. 

Deux visions diamétralement opposées mais qui puisent leur source dans une certaine idée de la «nation». La tribu est imaginée pour donner une certaine notion d'appartenance socioculturelle, comme elle sert pour se faire prévaloir dans un système fantaisiste de hiérarchie de races et d'ethnicités. Le mouvement démocratique du vingtième siècle relègue le nationalisme primaire à l'arrière-plan. 

Nous notons l’importance de l’idée de l'universalité de l'expérience humaine, les droits des individus et des groupes, la promotion de la différence et le rôle grandissant de la société civile, de la presse, des mouvements sociaux et des intellectuels libres. Ceci fait que les sociétés sont devenues, théoriquement au moins, plus justes, moins tribales et plus imperméables aux courants extrémistes à connotation raciale ou ethnique.. 

La guerre aux Balkans et ses malheurs dans les années 90 nous rappellent que le spectre du nationalisme primaire est facile à désentraver de la part de leaders non scrupuleux, surtout en période de doutes, de changements et de désillusions socio-politiques. Ce n'était pas juste un chapitre triste dans l'histoire de l'Europe. La montée de l'extrême droite dans plusieurs pays européens, la réinvention de la culture pro-nazie, la normalisation avec un discours délibéré de haine et de violence raciale et religieuse sont des éléments qui ont montré les limites historiques du mouvement démocratique. 
  
Délit de faciès 


En France, le Front national déconstruit les valeurs de la République au nom d'une France imaginée, pure, blanche, «désethnicisée» et mythique. 

Cette idée de la France se réclame de la République mais les valeurs de la Révolution sont jugées trop laxistes pour répondre à ce besoin de recréer l'idée de la France archétypique préexistante. Les valeurs de la République sont transcendées par la mythologie d'une culture transhistorique et héroïque allant au-delà des débats jugés byzantins de la démocratie. 

L'autoritarisme inhérent à l'idée de la France mythique fait que la condition pré-révolutionnaire, voire monarchique et pro-coloniale traduit mieux les destinées de la Nation que les déboires des différentes versions de la République. La bête noire du Front national que sont les immigrés, les Arabes, les Musulmans, les noirs, les Maghrébins ne sont pas uniquement des intrus dans l'image pure de la nation, ce sont des éléments d'un autre récit, celui de l'entité multiculturelle. Cette entité pourrait naître d'un «métissage» intellectuel entre les valeurs de la République (celles de la Révolution française) et la condition post-coloniale, celle de la libération et des révolutions des peuples du «tiers-monde». 

Cette synthèse possible est contraire à une certaine approche de la France en tant que nation, en tant que «communauté imaginaire», pure et parfaite. L'échec de la politique d'assimilation et d'intégration en France donne lieu à un communautarisme ostentatoire qui prouve la thèse nationaliste et rend l'idée de la «nation pure» du Front national plus fascinante et politiquement nécessaire pour une tranche de l'opinion publique. Les maux sociaux et les problèmes économiques facilitent l'élection de l'intrus, de l'élément impur (i.e. l'étranger, l'immigré), avec un rôle de bouc émissaire, une source archétypique de la falsification de la nation. 

En Angleterre, la notion de «nation» est encore plus compliquée. L'insularité géographique, la particularité de l'expérience coloniale, la symbiose entre la Couronne et une certaine forme de devenir qui se manifeste depuis la Magna Carta (1215) jusqu'à la Révolution glorieuse (1688) ont tous œuvré en faveur de la consolidation d'une forme de «Britishness». 

Cette forme donne naissance à toute une littérature sur l'expérience unique d'une nation en maîtrise de son destin. La notion de l'empire assortie de la «lourde tâche de l'homme blanc» (Rudyard Kipling) motivent un certain patriotisme qui sert dans les moments durs, comme lors des bombardements de la Luftwaffe ou la menace des missiles soviétiques lors de la guerre froide. La notion d'une nation anglo-britannique fermée sur elle-même est sous-jacente à la notion d'insularité chère aux intellectuels et politiques anglais, mais elle n'était pas ouvertement xénophobe, anti-européenne ou nationaliste. 

Le parti pour l'Indépendance du Royaume-Uni (UKIP) a puisé dans la rhétorique de l'extrême droite (British National Party) pour se prévaloir d'une attitude raciste et islamophobe. La campagne pour le Brexit a connu une prolifération d'anti-vérités qui ont servi à créer un sens à la victimisation de la nation et le besoin patriotique de la défendre. Par ailleurs, la victoire de Trump aux États-Unis a été le résultat d'un travail de communication basé sur l'idée d'un passé glorieux et un retour possible à une grandeur présumée perdue. 

Fruit de l'immigration (aussi bien volontaire que forcée), la supposée «nation américaine» est plurielle dans ses origines. Malgré cette pluralité, le WASP (White Anglo-Saxon Protestant ou blanc protestant anglo-saxon) est érigé en tant qu'appartenance ethno-culturelle normative. 

C'est pourquoi les Klu Klux Klans, les blancs suprémacistes et la nébuleuse de l'extrême droite construisent leur discours autour d'une idéologie anti-catholique, anti-sémitique, anti-africaine triomphalement raciste et récemment islamophobe. Les différents mouvements socio-politiques (anti-ségrégation, droits civils et droits de l'homme, féministes, anti-guerre au Vietnam...) réussissent à établir une norme juridico-politique qui fait que l'extrême droite «prend refuge» dans un conservatisme émergent et (ultérieurement) triomphal (de Barry Goldwater jusq’au Tea Party en passant par Reagan et les néoncons) avant de réémerger plus confiant avec Donald Trump. 

Le «mainstream» libéral est poussé plus à droite à partir de Reagan et les guerres culturelles contre la «Political Correctness» des universités américaines mais connaît une virée plus prononcée vers un discours plus raciste avec le discours Trumpien mysogyne, xénophobe, islamophobe et jingoïste. La «nation» est maintenant plus «blanche», plus «chrétienne» et surtout plus «virile» qu'auparavant. 

La grandeur perdue de la nation n’est retrouvée que via une masculinité forte, une domination virile, à laquelle sont soumis les femmes, les pauvres, les noirs et les faibles qui freinent la manifestation du retour au passé glorieux. Ce qui se passe en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis est plus ou moins en train de se produire au niveau de plusieurs pays d'Europe (dont le Danemark, l'Autriche, la Hongrie, la Norvège, la Hollande, etc). Le retour du nationalisme primaire et tribal aux connotations racistes et xénophobes est maintenant une réalité. 

La victoire de Trudeau au Canada, de Macron en France ou le recul des pro-Brexit lors des dernières élections au Royaume-Uni ne doivent pas occulter le fait que le mouvement démocratique est sur la défensive. La réinvention d'un nouveau «mainstream» plus fort et résilient est une nécessité historique. L'alliance historique dont parle Gramsci, qui doit se former pour combattre le fascisme est maintenant une urgence de survie. Les hommes et femmes libres du Grand Nord et du Grand Sud doivent éviter le retour du spectre des politiques raciales meurtrières du vingtième siècle. Il est nécessaire de renforcer la démocratie, résister aux appels protectionnistes et xénophobes, trouver des réponses aux craintes et peurs des populations frustrées par l'immigration et aux malheurs liés à la crise économique. 

Il importe aussi de reconstruire des alliances plus solides en Europe, au Moyen-Orient, en Amérique du Nord et dans les espaces trans-atlantiques et trans-pacifiques. L'urgence est là et il y a encore de l'espoir pourvu que l’on agisse rapidement et intelligemment, ainsi que des sujets d'intérêt général.  
  
Lahcen Haddad @Lahcenhaddad