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Transition climatique : Impact grandissant sur les risques financiers des banques ! [INTÉGRAL]


Rédigé par Souhail AMRABI Jeudi 18 Avril 2024

Alors que la transition climatique challenge plusieurs secteurs de l’économie nationale, particulièrement ceux de l’agriculture et de l’eau, le secteur bancaire affiche également des signaux de vulnérabilité, selon un rapport conjoint de Bank Al-Maghrib et de la Banque Mondiale.



Durant la dernière décennie, une prise de conscience des impacts potentiels du changement climatique sur la stabilité financière s’installe partout dans le monde. Regroupées en deux catégories, les répercussions peuvent émaner des risques physiques climatiques, qui sont des risques financiers résultant des impacts progressifs et brusques du changement climatique, ou, encore, les risques de transition climatique, qui sont des risques financiers pouvant résulter de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Le Maroc est surtout menacé par les risques physiques climatiques, notamment les inondations et les sécheresses. 

« Les catastrophes naturelles pourraient affecter les biens immobiliers, les actifs des entreprises, le patrimoine des ménages et les bénéfices des entreprises, ce qui pourrait réduire la capacité des emprunteurs à assurer le service de leur dette », explique Bank Al-Maghrib (BAM) et la Banque Mondiale (BM), dans un rapport conjoint, publié mardi. 

Les producteurs agricoles et les éleveurs pourraient subir d’importantes pertes économiques en raison des sécheresses, un risque naturel auquel le Maroc est particulièrement vulnérable, précise la même source, notant que cela signifie que les banques exposées au secteur agricole pourraient être directement affectées par les risques physiques climatiques. Les banques exposées à d’autres secteurs liés au secteur agricole via la chaîne de valeur (par exemple, l’agroalimentaire et le tourisme) pourraient également être affectées (voir article annexe). De plus, en cas de sécheresse grave, d’autres secteurs peuvent également être touchés, par exemple lorsque la conjoncture impose des restrictions liées à l’usage de l’eau. 
 
Vers une analyse pointilleuse des risques

L’impact des risques climatiques sur le secteur bancaire pourrait être largement sous-estimé en raison du besoin de données et de l’incapacité de prendre en compte les liens complexes entre les impacts climatiques, financiers, sociaux et macroéconomiques. Toutefois, l’anticipation s’impose et BAM devrait « viser à améliorer continuellement sa compréhension et sa gestion des risques financiers liés au climat », selon les conclusions du rapport. 

Cela peut impliquer une mise à jour de l'analyse des risques si nécessaire et de mener un exercice plus approfondi avec le secteur bancaire. Cela dit, afin d’améliorer et d’élargir l’analyse des risques, il sera important, selon le rapport, d’améliorer la qualité et la granularité des données disponibles pour mener l’évaluation des risques. Cela nécessitera de collaborer avec le secteur bancaire pour améliorer ses capacités en matière de données et l’encourager à entrer en contact avec les clients pour obtenir toute la data requise. Le travail de la Banque Centrale visant à élaborer des orientations sur les rapports liés au climat constituera un élément clé à cet égard. Cela pourrait également aider à développer des indicateurs pour surveiller les principaux risques climatiques, tant au niveau institutionnel que systémique. « L’accent continu mis sur le renforcement des capacités institutionnelles soutiendra l’examen périodique et la gestion des principaux risques climatiques identifiés », préconise les analystes des deux institutions. 
 
L’anticipation pour mieux gérer les chocs !

Les futurs travaux d’analyse des risques pourraient envisager d’améliorer les scénarios de production et leur modélisation, par exemple en explorant des canaux de transmission supplémentaires vers l’économie et le secteur bancaire. « Les travaux futurs pourraient tenter de quantifier les impacts de la sécheresse sur d’autres secteurs et via d’autres voies de transmission, les épisodes de sécheresse extrême pouvant affecter directement et indirectement un large éventail de secteurs », préconise le rapport. En s’appuyant sur la première analyse des risques climatiques établie par BAM et la BM, la Banque Centrale pourrait évaluer si le cadre de surveillance et d’évaluation macro et microprudentielle de la Banque Centrale doit être mis à jour pour intégrer structurellement la prise en compte des risques liés au climat et à l’environnement. L’élaboration d’une feuille de route interne pour intégrer la prise en compte des risques liés au climat dans la surveillance microprudentielle et macroprudentielle peut être un outil important pour définir les priorités prospectives, impliquer les parties prenantes internes concernées et soutenir une approche coordonnée au sein de l’organisation.

L’élaboration d’orientations prudentielles supplémentaires sur les risques liés au climat et à l’environnement peut, par ailleurs, contribuer à améliorer la réponse du secteur bancaire à la gestion de ces risques. À mesure que l’approche prudentielle se développe, BAM pourrait, selon le rapport, envisager des examens thématiques ou une surveillance sur place pour les entités hautement exposées. Dans ce même sillage, la Banque Centrale pourrait participer au dialogue politique sur la manière de stimuler le développement de marchés d’assurance privés et/ou de programmes publics de transfert des risques climatiques et de catastrophe. Les décideurs politiques et BAM devraient également chercher à combler les lacunes critiques en matière de données qui limitent la capacité des autorités et des institutions financières à mesurer l’exposition aux risques climatiques et à réaliser des tests de résistance financiers liés au climat.

3 questions à El Mehdi Fakir : “Le système bancaire marocain est résilient par rapport aux effets du changement climatique”

L’économiste El Mehdi Fakir a répondu à nos questions concernant l'exposition du système bancaire marocain aux risques climatiques.
L’économiste El Mehdi Fakir a répondu à nos questions concernant l'exposition du système bancaire marocain aux risques climatiques.
  • Estimez-vous qu'il existe un risque pour les banques marocaines en raison de leur exposition aux risques climatiques ?
 
Je pense que cela reste limité. Il y a effectivement la sécheresse qui frappe le pays, mais cela reste maîtrisé. La banque la plus exposée au secteur agricole, et donc à la sécheresse, est le Crédit Agricole du Maroc (CAM). Sauf que, depuis la mise en place d’un dispositif anti-sécheresse avec la MAMDA-MCMA, le choc financier lié aux agriculteurs a été amorti.
 
La banque s’est aussi mieux organisée pour faire face aux répercussions de la sécheresse depuis des années, ce qui fait qu’elle est de moins en moins exposée. Le CAM est une banque universelle, qui veille à diversifier son portefeuille dans plusieurs secteurs, même si son cœur de métier reste l’agriculture et le développement rural. En plus, l'Etat a mis plusieurs fonds pour venir en aide aux agriculteurs en cas de grande catastrophe, notamment le Fonds de Développement Agricole.
 
  • Cela influe-t-il sur le coût du risque ?
 
Bien sûr. Les effets du changement climatique ont des répercussions systémiques, que ce soit sur la productivité, la consommation et la croissance économique du pays. Donc, les banques prennent ça en compte dans le calcul des coûts du risque. Mais, jusqu’à présent, cela reste limité. La meilleure preuve en est les bonnes performances des banques de la place, malgré la sécheresse que traverse notre pays. Je pense que notre système bancaire est résilient par rapport à cela.
 
  • Et en cas de catastrophes naturelles, type séisme ou inondations par exemple ?
 
Je ne pense pas que les catastrophes naturelles soient de nature à déstabiliser notre système financier. On a vu que le séisme d’Al-Haouz n’a eu que peu d’impact sur les banques marocaines. Dans l’absolu, les banques marocaines jouissent d’une assez grande solidité financière.

Mesures du risque financier : Alerte rouge pour l’agriculture et l'industrie

Les résultats montrent qu'une sécheresse prolongée survenant pendant trois années consécutives a des effets négatifs sur le ratio des prêts non performants (NPL) et de la probabilité de défaut (PD) des secteurs de l'agriculture, de l'industrie et des services. Le secteur agricole est le secteur le plus touché par la sécheresse. Dans le cas du scénario de sécheresse survenant tous les 500 ans dans des conditions climatiques historiques, le ratio des NPL pour le secteur agricole augmente à 10,5%, mais pour le secteur de l'industrie et des services, il augmente à 8,5% au cours de la cinquième année, contre 7,8 % la première année. Ce résultat est dû aux chocs sur la production sectorielle, le chômage et les taux directeurs. L'analyse montre également que la PD du secteur agricole a augmenté de plus de 2 points de pourcentage au cours de la dernière année de sécheresse. Cette augmentation est principalement due aux ajustements des déterminants du calcul de la PD (c'est-à-dire le ROA, le PIB et l'effet de levier). En outre, même si la sécheresse n’affecte directement que le secteur agricole, les effets économiques indirects à long terme, entraînés par un chômage plus élevé et une baisse des salaires, entraînent une baisse de la consommation des ménages, aggravant ainsi les paramètres de risque financier des secteurs de l’industrie et des services.

Gap régional : Plus de 60% des crédits sont concentrés à Casablanca

Les portefeuilles de crédit des banques sont géographiquement concentrés dans quelques régions, avec une forte concentration sectorielle pour certaines banques. Plus de 60% des crédits au Maroc sont concentrés au niveau de la capitale économique du Royaume. Casablanca, Rabat et Marrakech représentent ensemble 77% de l’exposition totale au crédit. En revanche, les 50 plus petites provinces ne représentent que 3,5% du risque de crédit total. En outre, certaines banques disposent de portefeuilles de crédit très concentrés sur quelques secteurs. Ces concentrations de crédit géographiques et sectorielles ont des implications importantes sur l’exposition des banques au risque climatique.

En outre, une grande partie des prêts bancaires est accordée aux provinces qui risquent de subir de graves dommages dus à des inondations pluviales ou fluviales extrêmes (une fois tous les 500 ans). Le modèle établi par BAM et la Banque Mondiale estime que 42 des 76 provinces du Maroc subiraient des dommages représentant plus de 1% du stock total de capital de la province, suite à une crue fluviale survenant tous les 500 ans, y compris les provinces de Rabat, Salé et Marrakech. Le stock total de capital de Casablanca devrait subir des dommages de 0,9%.
 
Au niveau global, 82% des expositions de crédit sont situées dans les 10 provinces les plus touchées par les inondations fluviales, et 73% des expositions de crédit sont situées dans les 10 provinces les plus touchées par les inondations pluviales (sur la base d'un taux de 1 sur 500 ans). Il convient toutefois de noter que tous les risques de crédit situés dans ces provinces ne seront pas nécessairement directement affectés par les inondations, car le risque d’inondation n’est pas uniformément réparti au sein de chaque province (certaines zones d’une province peuvent présenter un risque d’inondation plus élevé que d’autres).








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