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Actu Maroc

Sécheresse: Facteur sous-estimé d’une inflation qui s’éternise


Rédigé par Soufiane CHAHID Mardi 11 Avril 2023



C’est un paramètre encore négligé dans les formules macroéconomiques de nos institutions publiques. Pourtant, son effet n’ira qu’en s'amplifiant dans les prochaines années. Il s’agit du changement climatique, qui devient un déstabilisateur préoccupant du marché domestique et international.
 
C’est Ahmed Lahlimi qui a soulevé le lièvre sur cette question, encore peu discutée dans les milieux économiques. Dans un entretien avec nos confrères de Médias24, le patron du HCP explique ainsi que “l'inflation devrait être prise comme une donnée structurelle et domestique”, car elle est en partie provoquée par la sécheresse qui est “devenue ces dernières années une donnée structurelle”.
 
Notre pays subit de plein fouet le changement climatique, qui se matérialise par des périodes de sécheresse de plus en plus récurrentes. Le secteur agricole est mal préparé, puisque son rendement est toujours corrélé en grande partie au niveau des précipitations. Moins de production agricole provoque mécaniquement une hausse des prix.
 
L’effet climateflation
 
L’inflation des produits alimentaires est de 20%. Et cela est causé par le renchérissement des intrants, la désorganisation des circuits de distribution, mais aussi par le stress hydrique. Dans une région comme le Souss-Massa, le coût du mètre-cube d’eau est passé de 1,5 dirham à 3 dirhams”, nous explique l’économiste Zakaria Garti.
 
La forte inflation que subit notre économie ne serait donc pas complètement conjoncturelle, c’est-à-dire provoquée par une hausse brutale et passagère des prix des matières premières au niveau international, mais également structurelle, donc au long cours. Cela change complètement notre approche de la question, et rendrait caduques aussi bien les interventions monétaires utilisées par la Banque centrale, que budgétaires portées par le gouvernement.
 
Si l’effet du changement climatique sur l’inflation n’est pas encore pensé et mesuré au Maroc, il est depuis quelques années largement débattu dans les institutions internationales. Les économistes qualifient ce phénomène de climateflation, contraction entre climat et inflation. Isabel Schnabel, membre du directoire de la Banque centrale européenne, a expliqué, dans un discours en mars 2022, que les économies mondiales allaient être confrontées dans les prochaines années à de nouveaux chocs inflationnistes.
 
Le premier choc est lié aux coûts du changement climatique, ou climateflation. “L'augmentation du nombre de catastrophes naturelles et de phénomènes météorologiques violents impacte l'activité économique et les prix”, a-t-elle exposé, avant de poursuivre : “Par exemple, des sécheresses exceptionnelles dans de nombreuses régions du monde ont contribué à la forte hausse des prix des denrées alimentaires qui pèse lourdement sur les personnes qui ont du mal à joindre les deux bouts”.
 
Investissements colossaux
 
Selon Isabel Schnabel, d’autres chocs liés au changement climatique vont aussi gonfler structurellement l’inflation. Il s’agit de la fossilflation, c’est-à-dire l’inflation liée à la dépendance des économies aux énergies fossiles, donc le pétrole, le gaz et le charbon. El la greenflation, qui désigne les tensions sur les matières premières et matériaux nécessaires à la transition énergétique.
 
Cette nouvelle donne nécessite une transformation radicale de l’économie marocaine, et l’adaptation de son outil productif. Que ce soit dans le domaine énergétique, celui de l'agriculture ou de la gestion des ressources hydriques, cette transformation nécessite des investissements importants s'inscrivant dans le long-terme.
 
Avec les impératifs de transition écologique et énergétique, de décarbonation industrielle, d’intégration des technologies dans les systèmes de production et dans les services, les besoins en investissements deviennent colossaux. Ce qui a un impact direct sur les coûts de production, qui vont augmenter d’année en année, pour se répercuter sur les prix des produits finaux”, a expliqué Ahmed Lahlimi.
 
Les autorités marocaines, comme celles de bien d’autres pays, doivent faire un choix. Ou bien continuer à subir les effets du changement climatique, avec comme corollaire l’augmentation des prix et la raréfaction des ressources. Ou bien s’engager dans des investissements importants visant à réduire notre dépendance aux énergies fossiles et à la pluie, qui auront pour conséquence des tensions sur le prix sur le moyen-terme, mais une plus grande stabilité une fois le cap franchi.
 
C’est sur ce dernier chemin que s’est engagé le Maroc, avec notamment le programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020-2027 porté par le ministre de l’Equipement et de l’Eau Nizar Baraka, et dont le budget est de 150 milliards de dirhams.
Il est important de tenir un discours de vérité au peuple, afin qu’il s’engage pleinement dans ce projet vital pour notre avenir.
 
Soufiane CHAHID

 

Trois questions à Zakaria Garti “Les énergies renouvelables vont renchérir le coût de l’énergie dans les prochaines années”

L’économiste Zakaria Garti a répondu à nos questions concernant les éléments conjoncturels et structurels qui ont provoqué l’inflation.
 
  • L’inflation actuelle que subit le Maroc est-elle domestique ou importée ?
 
L’inflation actuelle est en partie importée, avec l’augmentation des prix des hydrocarbures et des matières premières. La question monétaire doit aussi s’analyser au niveau international. Il n’y a jamais eu autant de déversements d’argent dans l’Histoire de l’humanité, que ces dernières années. 

Cela s’est fait avec la baisse des taux directeurs, mais aussi avec les efforts d’investissement massifs faits par les Etats. Le président américain a sorti un plan qui s’appelle l’Inflation Reduction Act, mais paradoxalement ce plan ne fera qu’augmenter l’inflation. Une raison à cela est qu’il prévoit d’investir des centaines de milliards de dollars dans les énergies propres. Or, plusieurs études montrent que les investissements massifs dans les énergies renouvelables vont renchérir le coût de l’énergie ces prochaines années.
 
  • Le Maroc ne fait donc que subir cette inflation ?
 
Du fait de plusieurs raisons liées au cadre réglementaire et à l’organisation du marché, cette inflation importée est amplifiée. Pour les hydrocarbures comme pour d’autres produits, certains acteurs profitent de la faible régulation pour augmenter leurs marges. L'inflation a mis à nu nos faiblesses structurelles. 
Aujourd’hui, nous avons une inflation non pas de 10% mais de 20% sur les produits agricoles. Cette inflation met à nu nos faiblesses en termes de commercialisation, avec la duplicité des intermédiaires, avec un cadre légal des marchés de gros qui date de 1962, avec l’absence d'encadrement des intermédiaires, et avec la très faible qualité de stockage de produits agricoles.
 
Ajoutez à cela le prix des intrants. Aujourd’hui, une grande partie des semences que nous importons de l’étranger ont vu leur prix augmenter. Il y a aussi le problème climatique. Dans une région comme le Souss-Massa, qui produit la majorité de nos tomates, le coût du mètre-cube d’eau est passé de 1,5 à 3 dirhams. Il y a des réformes structurelles qui n’ont pas été faites, dont on paie les coûts.
 
  • Selon vous, les interventions de BAM sont-elles pertinentes ?
 
BAM a un seul instrument pour contrôler les prix, c’est d’augmenter le taux directeur. On ne peut pas demander à BAM de ne pas le faire, alors que les 2/3 des banques centrales au monde ont augmenté leur taux directeur. Les deux premières augmentations sont justifiées, mais peut-être que pour cette troisième augmentation il y a débat. Le délai de transmission de la politique monétaire n’est pas le même qu’en Europe. Donc, il faut laisser le temps à ces décisions monétaires de se diffuser dans les canaux de transmission.
Propos recueillis par S. C.

L’info...Graphie


Generation Green : Vers un nouveau modèle agricole

Le stress hydrique oblige le Maroc à revoir son utilisation de l’eau, mais surtout à interroger son modèle agricole. Ce secteur représente à lui seul 87% de la consommation nationale d’eau, selon les estimations établies par le Haut-Commissariat au Plan (HCP). Cela place le Royaume loin devant d’autres pays de la région confrontés au même problème climatique. La consommation en eau du secteur agricole en Algérie est de 70% et en Egypte de 80%.
 
Dans cette situation, est-ce pertinent de miser sur l’export pour les produits agricoles ? Le Plan Maroc Vert a été accompagné dès le départ par un Programme national d’économie d’eau en irrigation (PNEEI), qui avait comme objectif la reconversion collective d’une superficie de 50.000 hectares de l’irrigation de surface à l’irrigation localisée, pour un investissement de 1,5 milliard de dirhams.
 
Cela ne s’est pas avéré suffisant durant la récente sécheresse. La nouvelle stratégie agricole Generation Green lancée en 2020 fait la part belle au développement d’une agriculture résiliente et durable avec une meilleure gestion de l’eau et de l’irrigation.

 

Politique monétaire : BAM et changement climatique

Dans l’acceptation classique, une banque centrale a pour principal rôle la préservation de la stabilité des prix à travers des outils monétaires connus, comme le taux directeur ou les réserves obligatoires. En prenant en considération le fait que le changement climatique va déstabiliser les prix et l’activité économique à l’avenir, cela donne aux banques centrales un nouveau rôle, celui de lutter contre ce dérèglement climatique.
 
Plusieurs banques centrales, comme la BCE, ont ainsi intégré ce domaine dans leurs mandats. Cela se fait à l’aide de plusieurs outils. D’abord, la prise en compte des questions climatiques dans l’analyse macroéconomique, en révisant les modèles de prévisions. La banque centrale pourrait mettre à disposition du public de nouveaux indicateurs statistiques liés au climat, concernant, par exemple, la classification des instruments verts, l’empreinte carbone des portefeuilles des établissements financiers, leur exposition à des risques physiques en lien avec le climat.
 
Ces banques centrales pourraient aussi réaliser des stress tests climatiques pour les établissements financiers sous son autorité. Cela consiste à évaluer les répercussions des phénomènes climatiques extrêmes (sécheresse, catastrophes naturelles…) sur les portefeuilles des banques, et calculer ainsi la stabilité et le degré de résistance de ces établissements.
 
Ces stress tests climatiques n’ont jamais été réalisés au Maroc. Pourtant, au vu de l’exposition de nos banques au secteur agricole, et des impacts colossaux de la sécheresse sur ce secteur, il serait plus qu'utile de savoir si nos banques pourraient tenir le choc en cas de sécheresse durable ou d'effondrement incontrôlé de la production agricole.