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Sebta et Mellilia : l’histoire d’un étrange héritage colonial qui perdure jusqu'à nos jours


Rédigé par Myriam ALILA Mercredi 14 Juillet 2021

Les deux confettis de Sebta et Mellilia sont devenus des villes autonomes depuis 1995. Vestiges d’un empire colonial révolu, elles sont toujours à cheval sur la ligne de fêlure Nord-Sud.



La chute de Grenade a précipité les appétits espagnols sur l’Afrique du Nord.
La chute de Grenade a précipité les appétits espagnols sur l’Afrique du Nord.
Les relations entre le Maroc et l’Espagne ont depuis toujours été marquées par des pics de tensions réguliers :  «Nous sommes les fils d’une Histoire commune qui nous oblige à porter son fardeau, mais que nous ne devons pas répéter d’une manière dramatique, car les intérêts qui nous unissent sont bien plus importants que les problèmes qui nous séparent ». Telle est la vision de Feu Hassan II concernant les relations maroco-espagnoles. Une déclaration qui reste d’actualité au moment où la question de l’occupation espagnole de Sebta et Mellilia revient au-devant de la scène.

Au commencement

L’Histoire de ces deux villes marocaines occupées commence avec l’affaiblissement de la dynastie Nasride (1232-1492). Dès 1415, les Portugais prennent possession de Sebta, puis Mellilia tombe entre les mains des Espagnols en 1497 pour y installer des postes militaires, appelés fronteras, destinés à protéger les côtes andalouses des invasions des corsaires barbaresques. Nous sommes alors en pleine Reconquista de la péninsule ibérique occupée par les musulmans dès 711.

Elle se termine en 1492, lorsque l’émir Boabdil livre Grenade à Ferdinand II d’Aragon et Isabelle de Castille. Ainsi, l’Espagne a cessé d’être musulmane. En 1580, au hasard des vicissitudes dynastiques, Sebta devient espagnole mais, bientôt, la plupart des fronteras seront reprises au cours du XVIIème siècle par les sultans Chérifiens, en particulier par le Sultan Moulay Ismaïl.

En 1863, la création de ports francs dans ces villes marocaines occupées s’était accompagnée de l’arrivée d’une communauté de juifs séfarades expulsés d’Espagne en 1492, désireuse de profiter des avantages de ces villes.

Au début du XXème siècle, l’Espagne, qui a perdu ses dernières colonies, cherche à redorer son blason d’ancienne puissance et tourne son regard vers le Maroc, encore indépendant mais très affaibli. Sebta et Mellilia vont donc tout naturellement servir de tête de pont à cette intrusion espagnole.

En 1906, la conférence d’Algésiras réunit les puissances européennes au chevet du Royaume du Maroc sous prétexte de l’aider à se moderniser. C’est une véritable tutelle qui est mise en place, concrétisée en 1912 par l’instauration du protectorat franco-espagnol. Enfin, la création du Protectorat va attirer dans les deux villes une population musulmane du Nord du Maroc.

En 1920, les troupes coloniales, appelées Regulares, sont créées pour consolider la présence espagnole dans le Protectorat, elles participent en première ligne à la guerre du Rif contre le camp nationaliste jusqu’en 1925.

Les dernières colonies

Au moment de l’indépendance du Maroc, les deux villes occupées ainsi que les Peñones sont restées espagnoles en vertu de leur appartenance antérieure à l’Espagne. Mais, rapidement, la politique extérieure de Rabat a revendiqué tous les territoires occupés : Tarfaya en 1958, puis Ifni en 1969. C’est ainsi que ces villes repassent dans le giron marocain, à l’exception du Sahara qui n’avait toujours pas de statut définitif sur le plan juridique.

Dès 1961, épaulé par de nombreux pays arabes et l’URSS, le Maroc a également porté ses revendications concernant ces deux villes devant  l’ONU.

En 1966, Feu Hassan II est même allé jusqu’à soutenir les prétentions espagnoles sur Gibraltar. Un an plus tard, la population de Gibraltar se prononcera par référendum contre le rattachement du territoire à l’Espagne et, depuis le début des années 2000, elle réclame également le droit à l’autodétermination contre tout éventuel accord entre Londres et Madrid au sujet de la souveraineté de Gibraltar affirmant que si le territoire britannique était décolonisé, alors Sebta et Mellilia devraient être restituées au Maroc. Ce fut le leitmotiv de la politique étrangère de Hassan II pendant de nombreuses années.

Depuis 1975, le Maroc revendique ses deux villes occupées et appuie son projet d’autonomie régionale du Sahara marocain. Après avoir obtenu le soutien de Washington et de Paris, le Sahara est définitivement intégré dans le territoire marocain. La tension entre les deux pays a atteint son paroxysme en juillet 2002, lors de la plus grave crise bilatérale vécue depuis des décennies : le Maroc décida alors d’occuper l’îlot d’El Perejil ou Layla, provoquant la riposte, dix jours plus tard, des forces espagnoles, qui le reprirent.

Cet épisode nécessita ensuite l’intervention de la diplomatie américaine pour trouver une issue rapide à la crise : pour Rabat, l’occupation espagnole de ces villes marocaines est une survivance anachronique du colonialisme en Afrique. Sebta et Mellilia constituent donc la seule frontière terrestre de l’Union Européenne avec l’Afrique.

Portes d’entrée pour les migrants venus de toute l’Afrique, elles sont régulièrement le théâtre de tentatives de passages en force de migrants, et ont fini par devenir des villes maudites.
 
Myriam ALILA

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Sebta et Mellilia : l’histoire d’un étrange héritage colonial qui perdure jusqu'à nos jours

3 questions à Nizar Derdabi


« Sebta et Mellilia sont un legs de la période coloniale et doivent être restituées aux autorités marocaines »
 
Nous avons contacté Nizar Derdabi, analyste en stratégie internationale, pour nous donner son avis sur l’Histoire des relations maroco-hispaniques.


- Quelle est la légitimité historique des deux villes marocaines occupées Sebta et Mellilia ?
 
- Pour le Maroc, Sebta et Mellilia sont un legs de la période coloniale et doivent être restituées aux autorités marocaines. Considérées comme une partie intégrante du territoire espagnol, ces deux villes marocaines occupées ont acquis le statut d’une commune européenne depuis 1986, l’année où l’Espagne a rejoint l’Union Européenne. Néanmoins, le droit des habitants locaux résulte de la souveraineté espagnole et de son contexte historique depuis plusieurs générations.


- Vers la fin du XVIIème siècle, le sultan Moulay Ismaïl s’empare de Sebta et Mellilia ainsi que Penon de Velez, est-ce que vous pensez qu’aujourd’hui le Maroc peut les récupérer ?


- Le Maroc est entré dans une phase critique suite au conflit du Sahara. Avec le soutien des USA et l’hostilité du régime algérien si contesté en interne, la diplomatie marocaine a placé la question du Sahara marocain sur son piédestal. Donc est-il judicieux de mettre le dossier de Sebta et Mellilia sur la table au risque de s’aliéner l’Espagne et l’UE sur cette question ?

Non, aujourd’hui, le Maroc doit agir sur un seul front seulement et la priorité demeure le dossier du Sahara.


- Depuis la création de ports francs dans ces deux villes, qui se sont distingués notamment par un commerce atypique, que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?


- Ces deux villes ont profité depuis 1863 d’un statut de ports francs instauré par l’Espagne, qui leur a fait bénéficier d’un régime fiscal avantageux. Profitant de cet avantage commercial et de l’engouement des habitants des provinces du Nord du Royaume pour les produits espagnols, l’Espagne a inondé le marché marocain de produits détaxés. Néanmoins, en mettant un terme définitif à cette contrebande qui privait le Maroc de recettes fiscales importantes, Sebta et Mellilia ont été asphyxiées économiquement, entraînant une crise sociale et économique sans précédent pour les habitants de ces villes.
 
Recueillis par M. L.