Il y a quelques jours, plusieurs cas de leishmaniose ont été recensés dans les provinces de Tiznit et de Zagora. Il s’agit d’une famille de maladies qui, selon l’OMS, peut se décliner sous trois formes principales : viscérale (la plus grave dans la mesure où elle est presque toujours fatale), cutanée (la plus fréquente, qui cause habituellement des ulcères cutanés) et cutanéomuqueuse (qui touche la bouche, le nez et la gorge). La leishmaniose est due à un parasite protozoaire du genre Leishmania, transmis par la piqûre de phlébotomes (un moucheron qui ressemble à un petit moustique) femelles infectées. Selon l’Institut Pasteur, « les leishmanioses représentent un problème de santé publique au Maroc, non seulement à cause du nombre de cas enregistrés chaque année, mais aussi à cause de la large répartition de la maladie sur le territoire marocain, la diversité des espèces de leishmanies et la diversité des formes cliniques ; ainsi que tous les facteurs socio- économiques, climatiques et environnementaux ayant un impact sur la propagation de la maladie ».
Propagation de la maladie ?
Dans une question écrite, le ministre de la Santé et de la Protection sociale a ainsi été récemment interpellé par une députée à propos de la propagation inédite de cette maladie infectieuse. « L’enregistrement de cette maladie dans la province de Tiznit est inhabituel, ce qui signifie que la maladie s’est propagée d’une province à une autre. L’apparition de cette maladie dans la province de Tiznit parmi certains élèves a suscité une grande inquiétude chez les parents et les tuteurs des enfants, qui craignent la propagation de la maladie, en particulier dans le milieu scolaire », précise la députée. « Actuellement, les tendances épidémiologiques semblent changer dans le pays. En effet, on note une propagation de Leishmania tropica et Leishmania infantum vers des zones connues pour être indemnes de toute contamination. On observe un chevauchement des aires de répartition spatiales des trois espèces de Leishmania », confirme par ailleurs une thèse doctorale dédiée à l’évolution de cette maladie au Maroc (soutenue par Dr Abdelkader Zeroual en 2023 à l’Université de Bordeaux).
Changement climatique
« La maladie, qui touche des populations parmi les plus pauvres du monde, est associée à certains facteurs tels que la malnutrition, les déplacements de population, l’insalubrité des logements, un système immunitaire affaibli et le manque de ressources nancières », explique l’OMS. Sachant que le principal vecteur du parasite est un moucheron dont la période d’activité des phlébotomes au Maroc est située principalement entre mai et septembre, la question d’un probable impact des changements climatiques est également en point d’interrogation. « Les piqûres à l’origine de ces cas ont eu certainement lieu vers septembre-octobre, car l’incubation est de 1 à 4 mois. Les cas qui sont apparus à Tiznit peuvent être dus à une remontée de l’aire de répartition des espèces vectrices vers le Nord, très probablement à cause du réchauffement du climat et de la sécheresse. Une enquête entomologique est cependant nécessaire pour une meilleure compréhension de la problématique », nous explique, pour sa part, Pr Oumnia Himmi, chercheur à l’Institut scientifique de Rabat.
Campagnes de santé
En attendant plus d’études sur les changements qui semblent s’opérer dans les zones de présence de cette maladie au Maroc, le ministère de la Santé n’a pas manqué d’organiser des campagnes médicales au profit des personnes et populations qui ont été infectées. « De nombreuses actions sont menées afin de remédier à l’augmentation inexorable de la pathologie au sein du pays. Bien qu’on observe une certaine diminution du nombre de cas comparé aux débuts des années 2000, l’incidence reste tout de même élevée, notamment pour la leishmaniose cutanée. Ceci peut être expliqué notamment par un climat propice au développement des phlébotomes, mais également et malheureusement à l’insuffisance des actions menées par le ministère de la Santé. Malgré les efforts du gouvernement, des disparités ont lieu, ce qui fait que la pathologie persiste. L’éducation sanitaire, la sensibilisation de la population aux méthodes d’hygiène et la lutte contre la pauvreté sont des éléments clés à prendre en compte afin d’éradiquer la maladie », conclut Dr Abdelkader Zeroual dans sa thèse.
3 questions à Ikhlass El Berbri, microbiologiste : « Au Maroc, les leishmanioses constituent un important problème de santé publique »
Enseignant chercheur au département de Pathologie et Santé Publique Vétérinaire, à l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, Ikhlass El Berbri répond à nos questions.
- Quel est l’état actuel de la lutte contre les leishmanioses au Maroc ?
Au Maroc, les leishmanioses constituent un important problème de santé publique. La transmission (des formes L. major et L. infantum) est assurée par des réservoirs animaux, à savoir des rongeurs et le chien respectivement. Elles sont ainsi considérées comme des zoonoses (maladie infectieuse qui est passée de l’animal à l’homme, NDLR) majeures au niveau national. A cet égard, un programme national de lutte contre les leishmanioses a été élaboré depuis 1997. Ses activités comprennent essentiellement la lutte anti-vectorielle et la lutte contre les réservoirs connus, le dépistage actif et passif, le traitement précoce et la prise en charge des cas, ainsi que l’éducation sanitaire de la population. Cependant, malgré les efforts déployés, plus de 155 cas de leishmaniose viscérale sont déclarés chaque année au niveau national. De fait, même à l’échelle internationale, il n’existe pas jusqu’à présent un modèle bien défini pour lutter de façon efficace et économique contre les leishmanioses.
- Quelles sont les avancées qui sont actuellement réalisées en matière de prévention de la leishmaniose viscérale ?
Pour la leishmaniose viscérale, de nombreux vaccins contre la maladie chez le chien ont été développés, mais ils n’ont pas montré d’efficacité notable sur le terrain. En outre, une approche se basant sur l’utilisation de colliers destinés aux chiens et imprégnés d’insecticides anti-phlébotomes, est considérée assez prometteuse dans la mesure où elle pourrait réduire l’incidence de la maladie chez le chien et, en conséquence, l’incidence chez l’Homme. Toutefois, la confirmation définitive de l’impact de ce nouvel outil sur la transmission de la leishmaniose canine dans des campagnes de masse, fait encore défaut. Des essais devraient encore être menés dans ce sens.
- L’approche « One Health » s’avère comme une méthodologie incontournable pour lutter contre ces maladies. Quelle est votre perspective à ce sujet ?
Vu l’impact que ces maladies ont sur la santé publique, plus d’efforts pour un contrôle efficace, aussi bien chez l’Homme que chez le chien, s’imposent de toute évidence. Ceci exige une volonté politique, une reconnaissance des coûts-avantages, une coordination avec d’autres programmes de lutte contre des maladies les plus pertinentes, un engagement pluridisciplinaire et intersectoriel, concrétisant l’approche One Health, entre les différents acteurs à l’interface Homme-animal-environnement (médecins, vétérinaires, responsables de l’environnement, etc.), des campagnes d’éducation sanitaire et de mobilisation des populations et surtout un investissement aussi bien local qu’international.
Causes : Les facteurs de risques liés à la propagation des leishmanioses
L’OMS liste plusieurs facteurs de risque qui exacerbent la propagation des leishmanioses. L’insalubrité des logements et des infrastructures d’assainissement domestique insuffisantes peuvent favoriser le développement des sites de reproduction et de repos des phlébotomes et augmenter les contacts de ces derniers avec l’humain. Aussi, les carences alimentaires en protéines, en fer, en vitamine A et en zinc augmentent le risque de progression de l’infection jusqu’à une forme complète de la maladie. La mobilité des personnes peut également jouer un rôle puisque « les épidémies de leishmaniose surviennent souvent lorsque de nombreuses personnes non immunisées se déplacent vers des zones où la transmission est élevée ». Les changements induits par l’urbanisation, la déforestation et l’incursion des humains dans les zones forestières peuvent également avoir un impact sur l’incidence de la leishmaniose. A noter que l’OMS pointe également le rôle des changements climatiques dans la propagation de la leishmaniose en raison de l’évolution des températures et des précipitations.
One Health : Tacler les zoonoses grâce à la coordination multisectorielle
Apparu au début des années 2000, le concept « One Health » - une seule santé - résume en deux mots une notion connue depuis plus d’un siècle, à savoir que la santé humaine et la santé animale sont interdépendantes et liées à la santé des écosystèmes dans lesquels elles coexistent. Le concept est fondé sur la coordination multisectorielle en vue d’améliorer la santé publique et animale ainsi que la santé de l’environnement. En obtenant une compréhension plus large et plus exacte de la transmission des maladies et de leurs origines, les communautés expertes dans les domaines de la santé publique, des sciences vétérinaires, sociales, agronomes et environnementales peuvent travailler ensemble pour identifier des solutions plus efficaces, et surtout mettre en œuvre des mesures de prévention des risques. Cette collaboration intersectorielle produit des résultats bien plus complets et présente un meilleur rapport coût-efficacité par rapport aux opérations menées individuellement par les différentes disciplines. Elle permet en outre d’appréhender tous les facteurs de risque et donc d’agir en amont afin de les éviter.
A noter que les leishmanioses sont classées, selon l’OMS, parmi le groupe des « maladies tropicales négligées » (MTN). Le terme «négligées» souligne le fait que les e orts consacrés à la lutte contre ces maladies sont insu sants, tant en termes de fonds investis et de programmes de recherche, que de politiques de la santé publique. Les leishmanioses humaines sont endémiques dans 88 pays et menacent 350 millions de personnes dans le monde.
A noter que les leishmanioses sont classées, selon l’OMS, parmi le groupe des « maladies tropicales négligées » (MTN). Le terme «négligées» souligne le fait que les e orts consacrés à la lutte contre ces maladies sont insu sants, tant en termes de fonds investis et de programmes de recherche, que de politiques de la santé publique. Les leishmanioses humaines sont endémiques dans 88 pays et menacent 350 millions de personnes dans le monde.