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Samir Benmakhlouf : La crise sanitaire est une opportunité pour transformer l’éducation nationale


Rédigé par Saâd JAFRI Vendredi 15 Mai 2020

La Covid-19 a permis de prendre conscience de l’urgence de la transformation digitale, surtout au niveau
de l’éducation. Pour ce faire, des changements structurels s’imposent.



Samir Benmakhlouf : La crise sanitaire est une opportunité pour transformer l’éducation nationale

Samir Benmakhlouf
Samir Benmakhlouf
Ordinateurs pour tous les élèves, internet dans toutes les écoles, enseigner aux enfants à maîtriser l’outil digital dès leur jeune âge avec une nouvelle pédagogie d’enseignement, moderne et interactive, telle est la vision de Samir Benmakhlouf, directeur général de la London Academy Casablanca et ex-DG de Microsoft Maroc, pour remettre l’école marocaine sur les rails. La crise de la Covid-19 est, selon lui, une opportunité pour prendre le train de la révolution numérique que connaît le monde. Entretien.

 -Depuis le début de l’état d’urgence sanitaire, le Maroc connaît une transformation technologique inédite. Quelles sont les leçons à tirer de cette crise sanitaire ?

- La première leçon à tirer, c’est qu’on n’était pas prêt à cette crise. Deuxièmement, on a découvert que le Maroc a la possibilité de se transformer rapidement. On peut même dire que le Maroc est passé du 1.0 au 4.0 en une semaine, surtout dans le domaine de l’éducation. Cependant, il s’est avéré que les enseignants n’étaient pas formés pour accompagner ce changement, car le contenu pédagogique d’un cours présentiel, n’est pas nécessairement adapté au cours à distance. Une autre leçon à tirer est que l’intégration effective de la technologie dans l’éducation n’était pas là. Les programmes pédagogiques et les méthodes d’enseignement sont restés les mêmes qu’il y a plus de 30 ans, or l’enseignement 4.0, nécessite de nouveaux paradigmes et de nouvelles méthodes. D’un autre côté, suite à ces changements provoqués par la crise sanitaire, il est devenu clair qu’il y a peut-être une alternative à l’enseignement traditionnel, c’est-àdire qu’on n’a pas besoin d’être présent dans une salle de classe pour apprendre. 

- Quelle est votre évaluation des méthodes d’enseignement utilisées actuellement par le Maroc en ces temps de confinement ?

- Il est clair qu’il y a des efforts fournis au niveau de la mise en ligne de certains cours, audio ou vidéo, maintenant, l’idée serait de développer ce processus, pour avoir un résultat optimal, car actuellement le rendu est insuffisant. Par contre, l’enseignement via la télévision, n’est pas du tout efficace, du fait du manque d’interaction et parce qu’il n’y a pas de suivi régulier des enseignants. L’autre problème qui se pose est celui de l’accompagnement. Il a été demandé aux parents de jouer le rôle des enseignants, or ces derniers n’ont pas nécessairement les acquis pédagogiques pour assurer cette fonction.

- Que faut-il faire pour remédier à ces problèmes et prendre le train de la révolution numérique, surtout qu’aujourd’hui le monde connaît une grande compétitivité en termes d’éducation ?

Pour accompagner la révolution digitale, le Maroc doit déjà être conscient de ces faiblesses. Le premier problème qui se pose au Royaume, c’est que sa deuxième langue est le français, alors que le contenu pédagogique qui est disponible de manière exponentielle sur le net est en anglais. Donc, déjà, il y a l’handicap linguistique. Le deuxième problème concerne la difficulté que rencontrent les citoyens pour accéder à Internet. Avec plus de 12 millions d’apprenants dans les différents cycles de notre système éducatif, l’équipement de tous, chez eux et en classe, de PC portables et de connexion internet est à la fois une nécessité impérieuse et une opportunité pour le déploiement de tout nouveau modèle de développement éducatif inclusif. Il faut insister sur ordinateur et non pas tablette, car sur cette dernière, il est difficile de produire, rédiger un document ou faire une présentation. Et pour l’internet, il faut une connexion fiable, c’est-à-dire de la fibre optique, comme il faut veiller à ce que toutes les maisons soient connectées, que ce soit dans le monde rural ou le monde urbain. Il y a des solutions faciles pour faire cela, surtout pour les nouveaux bâtiments. Par exemple, lors de la construction des nouveaux logements économiques, il est possible d’intégrer le câblage fibre optique sur le cahier des charges. 

Par ailleurs, chaque élève ou étudiant, doit avoir un ordinateur propre à lui, pour ce faire il faut sortir de la logique «il n’y a pas d’argent», car il s’agit d’un investissement qui déterminera le futur du pays. Les opérateurs télécoms qui offrent aujourd’hui des smartphones grâce aux points fidélités, ils peuvent ajouter des ordinateurs aussi ou faire des packs promotions. Troisième point important, c’est la connexion des écoles. Chaque classe doit avoir un accès internet, pour que les enseignants (qui doivent également avoir des ordinateurs) puissent utiliser la technologie dans leurs cours, notamment à travers les exposés, les recherches ou encore les travaux en groupe sur un cahier virtuel. 

Ce genre d’investissements doit être fait, pour que l’on puisse aller de l’avant. Mais il faut le faire en urgence comme dit le proverbe «le meilleur moment pour planter un arbre était il y a 20 ans. Le deuxième meilleur moment est maintenant». Ainsi, en termes de compétitivité, les pays où la connexion internet est disponible dans toutes les maisons, où chaque membre d’un ménage dispose d’un ordinateur, où les citoyens parlent anglais et où les enseignants sont formés au e-learning en bonne et due forme, auront le plus grand avantage.

- Quid de l’engagement des étudiants vis-à-vis de l’utilisation du digital ? Et quelles sont les pédagogies qui seraient adéquates pour ce mode de fonctionnement éducatif ?

- Premièrement, les enfants d’aujourd’hui naissent avec la technologie à leur portée, ce qui est un avantage. Malheureusement ces enfants, on leur apprend à  consommer la technologie et non pas à la produire. Si les enfants apprennent à bien l’utiliser, depuis l’enfance, le problème de l’engagement ne se posera plus, car ça devient un outil normal parmi d’autres. D’où la nécessité d’intégrer l’enseignement du numérique, notamment les cours d’informatique et le coding, dans les programmes d’éducation, dès le primaire, peu importe la spécialité ou la filière que les élèves choisiront dans le futur. Sur le plan pédagogique, le rôle des enseignants dans l’enseignement à distance n’est pas semblable à celui de l’enseignement classique. En classe, l’enseignant est la seule source de l’information, or dans le e-learning s’ajoute une banque d’informations appelée «Internet». L’enseignant doit donc jouer le rôle de facilitateur et de coach, pour motiver les enfants et provoquer leur curiosité pour chercher davantage. C’està-dire, qu’il faudrait sortir du modèle classique du professeur qui professe et aller plutôt vers l’accompagnement et la formation d’une nouvelle génération d’élèves, autonomes. Après tout, l’objectif de l’éducation n’est pas de créer des enfants qui mémorisent du contenu, mais de permettre aux enfants d’innover, de réfléchir, de créer. Ceci dit, aujourd’hui en termes d’éducation, il n’y a plus de frontière grâce aux nouvelles technologies, ce qui est une opportunité pour bénéficier de toutes les expériences qui ont été faites ailleurs. Le Maroc peut dans un premier temps acheter du contenu, mais ensuite, il faut absolument créer du contenu adapté aux besoins (problèmes des eaux, énergies renouvelables, etc.), c’est ça la vraie transformation digitale.

- L’enseignement à distance pose également la question des examens. Y a-t-il des moyens pour assurer des examens en ligne ?

- Il faut tout d’abord se poser la question : est-ce que les étudiants doivent être testés sur leur mémoire ou sur leur réflexion, car, aujourd’hui, la mémoire est substituable grâce aux smartphones. Toutes les informations qui requièrent la mémoire sont à portée de main. Ceci dit, pour les examens à distance, il y a des outils qui, en suivant les mouvements du curseur, les mots tapés, et les mouvements des yeux via les caméras, peuvent savoir si l’élève ou l’étudiant, triche ou pas. Il y a également des logiciels qui défilent les questions, une par une, avec une durée limitée pour répondre, ainsi pas de temps pour la triche. Par contre, il faut sortir de la logique des examens de fin d’année, il faut plutôt opter pour des contrôles continus, les travaux en groupe, les projets et les exposés, pour donner des élèves et des étudiants plus accomplis.  

- Est-ce que la transformation digitale pourrait également régler le problème, ne serait-ce qu’en ces temps de crise, des étudiants qui font des études qui nécessitent des TP, comme la médecine par exemple ?

- La technologie peut donner, dans certains cas, des résultats mieux que les travaux pratiques classiques. Premièrement, il y a ce qu’on appelle la réalité virtuelle, grâce à des casques et des maquettes, les étudiants peuvent voir une illustration du corps humain en détail. Deuxièmement, quand on parle de médecine, il y a également la médecine proactive, c’est-à-dire qu’on peut prévoir grâce à l’ADN, le sang et le métabolisme d’une personne, s’il va avoir un cancer, l’Alzheimer ou autres maladies chroniques, permettant ainsi de prendre les mesures adéquates avant même qu’elle ne tombe malade. Cela requiert des algorithmes, des simulations et donc la maîtrise de la technologie. Un autre point marquant, est celui de la création d’organes artificiels. Des ingénieurs font actuellement des recherches sur les méthodes de création d’organes pour les patients ayant besoin de greffes d’organes. Cette ingénierie biomédicale, encore une fois, requiert plusieurs simulations, qui nécessitent des imprimantes 3D. Ce sont des métiers d’avenir qui montrent à quel point il est important de transformer l’école marocaine et normaliser l’outil digital.

Recueillis par : Saâd JAFRI