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Routes commerciales : Rabat s’arrime au corridor indo-américain [INTÉGRAL]


Rédigé par Soufiane CHAHID Jeudi 15 Mai 2025

Pensé comme une alternative aux nouvelles routes de la Soie chinoises, le corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe (IMEC) prévoit de mobiliser quelque 20 milliards de dollars d’investissements, notamment dans des infrastructures portuaires et ferroviaires. Fort de sa position géographique et de ses relations diplomatiques et commerciales avec les pays impliqués, le Maroc se positionne comme un candidat naturel à son intégration.



Le Maroc se positionne comme candidat naturel à l’intégration du corridor indo-américain.
Le Maroc se positionne comme candidat naturel à l’intégration du corridor indo-américain.
L’information a de quoi surprendre : alors que les relations entre les deux pays sont officiellement en pause depuis le 7 octobre 2023, le gouvernement israélien vient d’approuver un accord de coopération commerciale maritime avec le Maroc, avec une mise en œuvre prévue sous 30 jours.
 
Paraphé à Rabat en mai 2023, cet accord assouplit le cadre réglementaire entre les ports des deux pays, facilitant les échanges commerciaux et ouvrant la voie à l’établissement de liaisons maritimes régulières. Si Tel-Aviv a choisi d’accélérer sur ce volet, c’est parce que l’État hébreu se projette déjà dans l’après-guerre, en posant les jalons de partenariats stratégiques autour de l’une des initiatives les plus ambitieuses pour la région : l’IMEC.
 
Officiellement annoncé en 2023, en marge du Sommet du G20 à New Delhi, l’IMEC (India-Middle East-Europe Economic Corridor), d’un investissement évalué à 20 milliards de dollars, est un vaste réseau de ports, de lignes ferroviaires et d’axes routiers visant à relier l’Inde à l’Europe en traversant les pays du Moyen et du Proche-Orient. Dans une version élargie, ce corridor devrait s’étendre jusqu’aux États-Unis, en passant par les ports marocains, notamment l’incontournable Tanger Med.
 
 
Bâtir sur les accords d’Abraham
 
Soutenue par Washington, d’abord par l’Administration Biden puis par celle de Trump, l’initiative réunit plusieurs partenaires de poids : côté arabe, les Émirats Arabes Unis (EAU), l’Arabie Saoudite et la Jordanie, côté européen, la Grèce, l’Italie, la France et l’Allemagne, Israël comme pivot régional, et, bien évidemment, l’Inde.
 
Bien que le Maroc ne figure pas parmi les signataires initiaux, plusieurs atouts stratégiques le rendent indispensable au futur élargissement du corridor : sa position géographique qui fait le lien entre la Méditerranée et l’Atlantique, ses accords de libre-échange avec l’Union Européenne et les États-Unis, son infrastructure portuaire de pointe et ses relations diplomatiques privilégiées avec les principaux acteurs de l’initiative, notamment l’Inde, les EAU, l’Arabie Saoudite et Israël.
 
L’objectif de l’IMEC est double : d’une part, concurrencer la “Nouvelle route de la soie” chinoise en s’imposant comme une alternative portée par Washington et New Delhi, tous deux adversaires géopolitiques de Pékin. D’autre part, consolider les accords d’Abraham en inscrivant la normalisation des relations avec Tel-Aviv dans une logique de coopération économique et commerciale.
 
C’est ainsi que les EAU se sont opportunément placés dans ce projet, tirant parti de la normalisation de leurs relations avec l’État hébreu depuis août 2020, sous l’égide de Donald Trump, ainsi que de leurs excellentes relations diplomatiques et commerciales avec l’Inde de Narendra Modi. Leurs voisins saoudiens, bien que n’ayant pas encore officiellement établi de relations diplomatiques avec Israël, ont amorcé en coulisses un rapprochement stratégique avec ce pays au cours des dernières années.
 
Ce corridor s’inscrit pleinement dans la vision de Mohammed ben Salmane pour l’avenir de son royaume, qu’il entend transformer en un hub commercial et industriel majeur dans le cadre de la Vision 2030. Parmi tous les pays signataires de l’IMEC, l’Arabie Saoudite est celui qui a mobilisé les moyens les plus importants jusqu’à présent, avec près de 4 milliards de dollars investis dans le développement de son réseau ferroviaire.
 
 
Instabilité géopolitique
 
Aussi prometteuse soit-elle, l’initiative a rapidement été freinée par la guerre et ses répercussions géopolitiques. Moins d’un mois après la signature du mémorandum d’entente à New Delhi, le 9 septembre 2023, le conflit à Gaza éclate, le 7 octobre, à la suite de l’attaque lancée par le Hamas. L’instabilité géopolitique a refroidi les investisseurs privés, qui préfèrent attendre des jours meilleurs.
 
Pour Alexeï Podgur, responsable du développement commercial et des partenariats à la Fédération des Chambres de commerce israéliennes, et co-auteur avec son collègue Yonatan Koyfman d'un article de recherche sur l’avenir de l’IMEC, la guerre n’est pas la seule raison de ce retard. “Si l’incertitude géopolitique joue un rôle, un autre défi majeur réside dans l’absence de soutien institutionnel et d’incitations concrètes”, analyse-t-il.
 
Les entreprises hésitent à s’engager en l’absence de cadres réglementaires clairs, de procédures douanières harmonisées et de garanties de protection de leurs investissements. À notre avis, pour encourager la participation du secteur privé, les gouvernements doivent offrir de la clarté, une meilleure coordination et des mécanismes de partage des risques, tels que des partenariats public-privé, des avantages fiscaux ou des garanties liées aux infrastructures”, poursuit Alexeï Podgur.
 
 
L’offensive Modi
 
Cela n’empêche pas pour autant les promoteurs du corridor de s’activer en coulisses pour accélérer sa mise en œuvre. Outre Israël et l’Arabie Saoudite, l’Inde a multiplié les réunions et les rencontres afin de mobiliser autour du projet. Au cours des années 2024 et 2025, New Delhi et Abou Dhabi ont enchaîné les étapes préparatoires en vue de son opérationnalisation, notamment à travers des discussions de haut niveau, des efforts d’intégration des plateformes et des ateliers sur la facilitation des échanges.
 
Entre février et avril de cette année, c’est le Premier ministre indien, Narendra Modi, en personne qui s’est rendu aux Émirats Arabes Unis, en Italie, en France et en Arabie Saoudite, pour discuter directement de l’IMEC avec ses homologues. L’une des étapes les plus importantes de cette tournée l’a conduit à Washington, où il a rencontré le président Trump le 13 février.
 
Selon les informations dont nous disposons, Narendra Modi manifeste un vif intérêt pour faire avancer l’IMEC, et le projet aurait été évoqué lors de sa dernière rencontre avec le président Trump”, nous affirme Alexeï Podgur. D’ailleurs, lors de la conférence de presse qui a suivi la rencontre entre les deux chefs d’État, Donald Trump a annoncé que les deux pays allaient collaborer pour bâtir “l’une des plus grandes routes commerciales de l’Histoire”.
 
Cette route reliera l’Inde, Israël et l’Italie jusqu’aux États-Unis d’Amérique, en connectant nos partenaires par des ports, des chemins de fer et des câbles sous-marins. C’est un développement majeur, et des sommes considérables y seront investies”, a poursuivi le président américain.
 

 

3 questions à Alexeï Podgur : “Le Maroc pourrait jouer un rôle important dans l’IMEC à l’avenir”

Responsable du développement commercial dans la division des relations internationales de la FICC (Fédération des Chambres de commerce israéliennes), Alexeï Podgur vient de publier, avec Yonatan Koyfman, un article sur l’avenir de l’IMEC. Il répond à nos questions.
Responsable du développement commercial dans la division des relations internationales de la FICC (Fédération des Chambres de commerce israéliennes), Alexeï Podgur vient de publier, avec Yonatan Koyfman, un article sur l’avenir de l’IMEC. Il répond à nos questions.
  • Que faut-il faire pour relancer l'initiative IMEC ?
 
Nous devons envisager l’IMEC autrement que comme il est généralement perçu aujourd’hui. Il devrait être abordé par segments comme nous l’avons proposé dans notre article. Par exemple, selon les données de Trademap.org, les échanges commerciaux annuels entre la Grèce et la Jordanie tournent autour de 100 millions de dollars. C’est un montant négligeable comparé au potentiel réel.  Imaginez ce qu’il serait possible de réaliser si la Jordanie devenait un hub logistique recevant des marchandises en provenance des ports israéliens et destinées aux pays du Golfe, ou inversement, des produits venant d’Asie à destination de l’Europe. Même si cela ne concerne qu’une partie des flux, le potentiel est à notre avis bien supérieur à ce que l’on observe actuellement. Concernant les facteurs clés pour atteindre cet objectif, comme nous l’avons déjà indiqué dans notre article, nous pensons que la première étape devrait consister à traiter la question des points de passage frontaliers entre Israël et la Jordanie. Selon nous, la solution réside dans l’implication d’entreprises privées pour moderniser et gérer ces points de passage.  Pour que cela soit possible, au-delà des mesures politiques nécessaires, il est essentiel de réaliser une étude de faisabilité afin de démontrer que la modernisation de ces postes-frontières et leur intégration progressive dans l’IMEC constituent un investissement judicieux.
 
 
  • Pensez-vous que le retour de Trump à la Maison Blanche pourrait contribuer à accélérer le projet ?
 
À notre avis, faire progresser l’initiative IMEC sert les intérêts des États-Unis indépendamment des affiliations politiques. Il est important de rappeler que le mémorandum d’accord relatif à l’IMEC a été signé par le président Biden en septembre 2023, tandis que les Accords d’Abraham avaient été portés par l’Administration Trump, notamment par Jared Kushner. Cela semble traduire un consensus politique aux États-Unis sur l’importance stratégique de cette initiative. Nous connaissons l’approche pragmatique et axée sur les affaires du président Trump et pensons que, au-delà de son intérêt pour la promotion de la paix régionale, s’il estime que l’initiative est bénéfique pour les États-Unis et leurs alliés, il pourrait choisir de la soutenir. Dans ce contexte également, la réalisation d’une étude de faisabilité approfondie est essentielle pour démontrer à une éventuelle Administration Trump que l’initiative mérite d’être poursuivie.
 
 
  • Quel rôle pourrait jouer le Maroc dans ce projet ?
 
Le Maroc pourrait jouer un rôle important dans l’IMEC à l’avenir, en particulier si le corridor est étendu vers l’Ouest afin de renforcer les échanges commerciaux avec la région atlantique. Signataire des accords de normalisation et doté de liens profonds avec l’Europe et les États-Unis, le Maroc bénéficie d’une position stratégique qui lui permet de faire le lien entre la Méditerranée et l’Atlantique. Son infrastructure en pleine expansion, notamment le port de Tanger Med, l’un des plus vastes et modernes d’Afrique, en fait un candidat sérieux à une intégration logistique. Une telle évolution renforcerait également la portée politique et économique des Accords d’Abraham bien au-delà du Moyen-Orient.
 

Diplomatie : Un corridor entre “amis”

Avant d’être un projet commercial, l’initiative IMEC est avant tout une manœuvre géopolitique destinée à fédérer les alliés des États-Unis autour d’une vision commune. Encerclée et menacée par l’Initiative la Ceinture et la Route, surnommée la «Nouvelle route de la soie», portée par la Chine, l’Inde a amorcé un important rapprochement avec les États-Unis ces dernières années, tant sur le plan sécuritaire à travers le Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (QUAD), qui réunit l’Inde, les États-Unis, le Japon et l’Australie, que sur le plan économique, notamment avec l’initiative IMEC.
 
Pour desserrer l’étau autour de son allié indien, Washington s’est naturellement appuyé sur ses autres partenaires stratégiques: Israël, les Émirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite et la Jordanie. Une manière à la fois de consolider et d’élargir les Accords d’Abraham, tout en tissant de nouvelles alliances autour de l’État hébreu, sous des formes renouvelées.
 
Dans ce cercle d’alliés, le Maroc a toute sa place. Avant sa réélection, Donald Trump avait promis de donner un nouvel élan aux accords de normalisation avec Israël, parmi lesquels figure l’accord tripartite entre Rabat, Washington et Tel-Aviv. L’IMEC constitue une opportunité pour concrétiser cette relance. Les autres pays arabes impliqués dans cette initiative, comme la Jordanie, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, sont tous des pays frères du Maroc.
 
Quant à l’Inde, depuis la signature du partenariat stratégique avec le Royaume en 2015, les échanges commerciaux entre les deux pays ont connu un essor considérable. Parallèlement, les investissements indiens se sont multipliés au Maroc, notamment dans le domaine militaire.


Proche-Orient : La paix par le commerce

Dans sa vision d’une paix durable après la guerre, le président américain Trump privilégie une approche axée sur le commerce et le développement. Il a notamment promis de transformer la bande de Gaza en une sorte de “Riviera”, en la reconstruisant entièrement et en y implantant de nouvelles infrastructures commerciales et touristiques.
 
Bien que cette proposition ait été rejetée par les pays arabes, car elle impliquait un déplacement massif de la population gazaouie, l’idée d’une paix fondée sur l’intégration économique reste d’actualité, en particulier entre Israël et ses voisins arabes.
 
À travers l’IMEC, Tel-Aviv espère renforcer ses relations avec son voisinage immédiat, notamment la Jordanie. “Nous estimons que la première étape du projet devrait consister à traiter la question des points de passage frontaliers entre Israël et la Jordanie”, propose à ce sujet Alexeï Podgur, responsable du développement commercial et des partenariats à la Fédération des Chambres de commerce israéliennes.
 







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