Pour la première fois depuis son entrée en service, l’avion Rafale a été véritablement engagé dans un conflit de haute intensité entre deux grands pays armés jusqu’aux dents. Elle n’aura duré que quelques jours certes, mais, la guerre indo-pakistanaise s’est déroulée de façon spectaculaire plus dans le ciel que sur terre. L’avion de Dassault a été à l’avant-garde de la flotte indienne face à l’aviation pakistanaise qui a su neutraliser quelques appareils. Environ trois avions auraient été abattus par l’Armée d’Islamabad à l’issue d’une gigantesque bataille, survenue le 7 mai dans le ciel du Cachemire. C’est en tout cas le butin revendiqué par le lieutenant-général pakistanais Ahmed Chaudhry. 125 chasseurs se sont affrontés frontalement dans l’un des plus grands clashs aériens de l’Histoire contemporaine. Jamais un tel choc aérien n’eut lieu depuis des décennies. Le bilan du Rafale reste mitigé. Les experts demeurent partagés.
Retour au vieux débat !
C’est la première véritable épreuve pour “la fierté de l’aviation française” qui, bien qu’ayant fait ses preuves par le passé, fut toujours déployé dans des guerres asymétriques. La guerre indo-pakistanaise a réveillé la sempiternelle comparaison entre le Rafale et ses concurrents américains, notamment le F-16 engagé massivement par le Pakistan avec un certain succès, selon les observateurs. Au Maroc, le débat a resurgi, d’autant qu’on parle depuis longtemps d’un supposé intérêt du Royaume pour le chasseur français. Ce débat fut tranché irrémédiablement il y a dix-neuf ans. Il fut un temps où les Rafale faisaient rêver nos stratèges militaires. Ce fut en 2006. A l’époque, le Maroc affichait son appétence pour le fameux chasseur de Dassault. Après des mois de négociations maladroitement menées du côté français, le contrat a viré au fiasco. Rabat a aussitôt choisi les F-16. Ce fut un coup dur qui a laissé des traces indélébiles, selon des sources militaires françaises qui nous ont raconté un récit circonstancié de cet épisode à oublier.
Une succession de maladresses
Flashback. Nous sommes en 2006. A l’époque, l’Algérie se préparait à acheter une soixantaine de chasseurs Mig-29 et Soukhoï-30 à la Russie, à la faveur de la visite du président russe Vladimir Poutine à Alger. Le Maroc suivait ce contrat avec une méfiance mêlée d’inquiétude. Pas question de concéder la suprématie aérienne à un voisin belliqueux. D’où l’urgence de raffermir la flotte des Forces Royales Air qui, en plus, fut d’ores et déjà vieillissante. Les Mirages F1 et les F5 américaines, déjà usés dans la guerre du Sahara, ne faisaient plus le poids. Il fallait donc du sang neuf. Le Rafale attisait les gourmandises. La demande fut aussitôt formulée au constructeur Dassault.
A Paris, Jacques Chirac occupait encore le Palais de l’Elysée. Compte tenu de l’amitié qu’il portrait au Maroc, on s’attendait à des négociations faciles. Pourtant, on est mal parti dès le début. Les discussions butèrent sur le devis. D’abord, les Français n’arrivent pas à parler d’une seule voix, au grand étonnement des Marocains qui furent surpris de parler à deux interlocuteurs à la fois, à savoir le constructeur Dassault et le gouvernement français représenté par la Délégation générale pour l’armement (DGA). La confusion atteint son paroxysme à la présentation de la facture. Le Maroc a reçu deux offres contradictoires. Dassault réclamait 2 milliards d’euros pour 16 appareils, tandis que l’Etat français demandait moins. Puis les négociations continuèrent dans le flou total. Le devis s’éleva ensuite à 2,6 milliards d’euros. Le montant étant hors de portée, il fut revu à la baisse. Un compromis fut ensuite trouvé autour de 2,1 milliards d’euros. On était censé voir le bout du tunnel. Il n’en fut rien.
Un engrenage fatal
Se posa ensuite l’épineuse question du paiement. Les Français pensaient à tort que les Emiratis ou les Saoudiens passeraient à la caisse. L’argent des amis du Royaume n’est pas à l’ordre à jour. Le Maroc réclame un crédit. Alors à la tête du ministère des Finances, Thierry Breton s’y oppose farouchement malgré les objurgations de la ministre de la Défense, Marie Alliot-Marie. L’Elysée est sollicité pour trancher. L’arbitrage ne tombe pas. Jacques Chirac, au crépuscule de son mandat, n’eut pas le temps d’intervenir, léguant ce dossier à son successeur, Nicolas Sarkozy, qui assiste impuissant à un fiasco inéluctable. Lassé des atermoiements des Français, le Maroc se tourne vers son vieil allié américain, qui a su savamment saisir l’occasion. L’ambassade américaine à Rabat eut vent du blocage des négociations franco-marocaines. Le message est vite transmis à Washington. Les Américains ne tergiversent pas. Ils y vont franco. Lockheed Martin, épaulé par l’Administration de George Bush, propose une offre irrésistible. 24 F-16 à 1,6 milliard d’euros avec un crédit gratuit, en plus d’une aide au développement. Ce qui en dit long sur la capacité de frappe américaine. La frustration est énorme à Paris. Nicolas Sarkozy ne l’avait pas avalé à l’époque. Il eut fallu quelques mois pour tourner la page.
Le choix irréversible de la technologie américaine
Depuis lors, le Maroc s’est résolument tourné vers la technologie américaine. En témoigne la seconde commande passée auprès de Lockheed Martin pour l’achat de 25 F-16 nouvelle version avec la mise à niveau des aéronefs existants. Le début de la livraison est prévu, sauf contretemps, en 2025. Cela fait des années que les bruits courent sur la volonté du Maroc d’agrandir davantage sa flotte dans un contexte de rivalité exacerbée avec l’Algérie, surtout après que celle-ci a commandé le SU-57 russe de cinquième génération. F-35, F-18, Rafale, les experts s’amusent à anticiper la liste d’achat. Rien n’est confirmé pour l’instant. Le Rafale est souvent cité comme alternative. Certes, il existe une tentation de remplacer définitivement le Mirage F1 qui arrive manifestement en fin de cycle de vie. Mais, pour l’instant, il n’y a aucun indice sur le prétendu intérêt du Royaume, d’autant plus que la seconde commande du F-16 est en soi une façon de remplacer les derniers Mirage en service. D’aucuns même se plaisent à croire que la réconciliation idyllique entre Rabat et Paris favoriserait un tel contrat. En France, on nourrit l’espoir, surtout que Dassault compte plus dans sa stratégie commerciale sur les partenariats extra-européens. Emmanuel Macron a beau pousser ses partenaires européens à acheter le Rafale dans la foulée du projet de l’Europe de la Défense, ces derniers ne résistent pas au F-35. “Le Rafale se vend assez bien partout dans le monde sauf en Europe parce que les Américains forcent les pays de l’OTAN à acheter leurs F-35”. Ils sont, du coup, forcés de le faire parce qu’ils sont attachés au parapluie américain, rappelle Peer De Jong, consultant en défense et ancien aide de camp de Jacque Chirac. Selon lui, la Grèce fait figure d’exception en achetant des Rafales d’occasion pour des raisons liées à son partenariat militaire spécial avec la France. Force est de constater que depuis 2015, Dassault a vendu presque tous ces avions de chasse à des pays hors OTAN dont l’Inde, l’Egypte, les Emirats Arabes Unis, le Qatar…
Les Français espèrent que le Maroc rejoindra la liste des clients en Afrique du Nord. Le Royaume serait le deuxième après l’Egypte. Le succès commercial du Rafale ces derniers temps serait un facteur contributif. Selon Renaud Bellais, expert en économie de la défense, le choix d’un avion de chasse doit tenir compte des besoins et de la nature des missions et, encore plus, de la flotte des ennemis potentiels. “C’est un calcul qui obéit au rapport prix-qualité, c’est-à-dire trouver un équilibre entre le coût d’acquisition et de la maintenance à long terme et la plus-value opérationnelle”, explique notre interlocuteur. Les militaires français qui conseillent Dassault sont convaincus que le Rafale est le meilleur au monde et le plus adapté aux besoins spécifiques des pays en quête d’un appareil multifonctions. Quand on les interroge, ils allèguent souvent deux arguments majeurs : la multifonctionnalité inégalable (un avion capable de tout faire) et surtout : la souveraineté. Un acquis précieux, selon Bruno Clerment, ancien conseiller du PDG de Dassault. « C’est un appareil d’autant plus unique qu’il peut opérer avec des drones, mais un tel contrat n’est pas facilement imaginable puisque les Américains se sont bien implantés au Maroc depuis des années », regrette, pour sa part, le colonel Peer De Jong. En gros, dans l’argumentaire français, c’est un avion livré clé en main. Le client peut en faire ce qu’il veut avec une liberté d’usage et de maintenance quasi-totale, contrairement aux avions américains dont l’usage dépend toujours de l’aval américain. En France, on dit souvent que les Américains peuvent clouer au sol les avions de leurs partenaires s’ils ne sont pas d’accord avec leur usage. Aussi, les options de maintenance locale demeurent hyper restreintes. Cette contrainte ne s’applique pas pourtant au Maroc, qui vient de se faire intégrer dans la supply-chain mondial de la nouvelle version du F-16.
Les Français espèrent que le Maroc rejoindra la liste des clients en Afrique du Nord. Le Royaume serait le deuxième après l’Egypte. Le succès commercial du Rafale ces derniers temps serait un facteur contributif. Selon Renaud Bellais, expert en économie de la défense, le choix d’un avion de chasse doit tenir compte des besoins et de la nature des missions et, encore plus, de la flotte des ennemis potentiels. “C’est un calcul qui obéit au rapport prix-qualité, c’est-à-dire trouver un équilibre entre le coût d’acquisition et de la maintenance à long terme et la plus-value opérationnelle”, explique notre interlocuteur. Les militaires français qui conseillent Dassault sont convaincus que le Rafale est le meilleur au monde et le plus adapté aux besoins spécifiques des pays en quête d’un appareil multifonctions. Quand on les interroge, ils allèguent souvent deux arguments majeurs : la multifonctionnalité inégalable (un avion capable de tout faire) et surtout : la souveraineté. Un acquis précieux, selon Bruno Clerment, ancien conseiller du PDG de Dassault. « C’est un appareil d’autant plus unique qu’il peut opérer avec des drones, mais un tel contrat n’est pas facilement imaginable puisque les Américains se sont bien implantés au Maroc depuis des années », regrette, pour sa part, le colonel Peer De Jong. En gros, dans l’argumentaire français, c’est un avion livré clé en main. Le client peut en faire ce qu’il veut avec une liberté d’usage et de maintenance quasi-totale, contrairement aux avions américains dont l’usage dépend toujours de l’aval américain. En France, on dit souvent que les Américains peuvent clouer au sol les avions de leurs partenaires s’ils ne sont pas d’accord avec leur usage. Aussi, les options de maintenance locale demeurent hyper restreintes. Cette contrainte ne s’applique pas pourtant au Maroc, qui vient de se faire intégrer dans la supply-chain mondial de la nouvelle version du F-16.
Trois questions à Renaud Bellais : « Le choix du Rafale dépend de l’usage qu’on veut en faire »
- A votre avis, quels sont les critères de choix du Rafale, surtout chez les puissances extra-européennes ?
- Peut-on donc déduire que le choix d’un avion de chasse dépend seulement de l’ennemi potentiel ?
- On présente souvent le Rafale comme un “avion souverain”, c’est-à-dire qu’il peut être utilisé souverainement par le pays client sans restriction d’usage. Est-ce vraiment le cas ou y a-til des restrictions dissimulées ?