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Actu Maroc

Revalorisation tarifaire de l’eau, une arme à double tranchant


Rédigé par Oussama Abaouss Mardi 22 Juin 2021

Le Nouveau Modèle de Développement recommande une réforme de l’organisation du secteur de l’eau qui aboutirait à une nouvelle tarification en adéquation avec la valeur réelle de la ressource.



Au vu du contexte de raréfaction et de pénurie des ressources hydriques au Maroc, l’eau coûterait-elle moins cher qu’elle ne devrait ? Le Nouveau Modèle de Développement (NMD) répond oui à cette question, précisant que la précaire sécurité hydrique du pays « reflète la forte vulnérabilité du Maroc au changement climatique face à des usages de l’eau qui n’intègrent pas sa rareté ».

La tarification de l’eau potable, industrielle ou d’irrigation ne traduit pas le coût réel de la ressource et ne favorise pas le recours aux ressources alternatives, estime le rapport de la Commission pour le Nouveau Modèle de Développement (CNMD). Décision sensible et potentiellement impopulaire, l’augmentation des tarifs de l’eau a pourtant dès 2014 été vivement recommandée par le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE).

Le Conseil pointait déjà à l’époque « l’absence d’un modèle économique clair et fiable du secteur de l’eau, d’une comptabilité nationale de l’eau et d’un référentiel standard du coût de l’eau par région et par type d’usage ».

Renforcer la transparence

Capitalisant sur les recommandations et diagnostique du CESE, le NMD considère nécessaire de réformer l’organisation du secteur et de renforcer la transparence sur les coûts de la ressource à chaque étape de sa mobilisation. L’objectif est d’assurer une plus grande transparence du coût de la ressource, depuis sa collecte jusqu’à sa distribution.

Cette réforme préconisée devrait idéalement passer par un« découplage financier Eau – Energie, dans le cadred’une réforme profonde de l’ONEE, qui consiste à rendre indépendantes financièrement les deux branches « Eau» et « Electricité », de sorte à défaire la péréquation tarifaire tacite entre le secteur de l’eau et le secteur de l’énergie, et à rendre leur modèle financier plus transparent ».

Le rapport de la CNMD estime par ailleurs l’intégration du coût des infrastructures de mobilisation dans le coût de la ressource, comme une autre nécessité pour rompre avec la situation actuelle marquée par la gratuité des services des barrages et d’irrigation, qui « aboutit à une sous-estimation du coût de la ressource, ainsi qu’à des distorsions dans la sélection des investissements les plus optimaux ».

Augmentation progressive des prix

Afin de mettre en place une tarification qui reflète la valeur réelle de la ressource et incite à la rationalisation des usages et à la gestion de sa rareté, le NMD recommande une révision de la tarification de l’eau « pour dégager les ressources pérennes nécessaires à l’investissement de mobilisation de nouvelles ressources et de protection des ressources existantes, de lutte contre les pertes (fuites, évaporation) ou de rationalisation de l’usage de l’eau ».

Cette révision passera selon la même source par une « augmentation progressive des tarifs de l’eau à l’ensemble des usagers, particuliers et agriculteurs, pour assurer la rémunération des services de mobilisation ». L’Etat devra cependant « se charger directement de la subvention des tranches de consommations « sociales » pour les citoyens à faible revenu », nuance le rapport qui précise qu’il sera opportun, dans le secteur agricole, de mettre en place « des mécanismes d’incitations à l’économie d’eau à travers des quotas d’irrigation proportionnels à la superficie agricole des exploitations ».

L’ANGE pour approuver les tarifs

Le troisième axe de ce chantier consiste, selon le NMD, à mettre en place une Agence Nationale de Gestion de l’Eau (ANGE) qui devra remplacer la Commission Interministériellede l’Eau pour faire converger les politiques publiques et sectorielles avec une déclinaison régionale par bassin hydraulique.

« L’ANGE pourra être chargée de traiter la question de l’eau selon une approche intégrée, de l’amont à l’aval. Elle définira l’allocation des ressources en eau conformément aux orientations du Conseil Supérieur de l’Eau et du Climat. Elle établira et approuvera les tarifs des services des différentes infrastructures de mobilisation, de production et de transport de l’eau.

L’agence encouragera également l’adoption et l’utilisation effective de normes et critères de mobilisation, de prélèvement et d’utilisation de l’eau brute ou traitée qui soient propices à la préservation de la ressource à long terme, notamment pour les secteurs fortement consommateurs d’eau comme l’agriculture et le tourisme dans certaines régions », précise la CNMD.
Oussama ABAOUSS

Repères

Les barrages sous pression
Faute d’une tarification permettant de couvrir les coûts réels des services et infrastructures qu’ils assurent, les établissements publics chargés de la mobilisation, de la distribution et de l’entretien des réseaux sont contraints de recourir au budget général pour obtenir des financements et des subventions d’équilibre. La politique de financement public des infrastructures de mobilisation n’a pas été étendue aux autres sources (dessalement, recyclage eaux usées,…). Ceci se traduit naturellement par un recours privilégié aux barrages comme source essentielle de la mobilisation.
L’alerte du CESE
Dans une alerte publiée en septembre 2019, le CESE recommandait une réforme profonde et transparente de la tarification nationale et locale de l’eau et des services de l’assainissement liquide et de l’épuration des eaux usées. Le Conseil estimait urgent de mettre en place un référentiel national de la comptabilité de l’eau qui reflète les coûts réels de l’eau par bassin hydraulique versant, permettant d’assurer une solidarité régionale et sociale via un meilleur ciblage des subventions publiques au secteur et en optimisant les capacités d’autofinancement des régions.

Revalorisation tarifaire de l’eau, une arme à double tranchant

3 questions à Redouane Choukr-Allah, expert en gestion hydrique


« Les agriculteurs marocains sont capables de relever le défi »
 
Expert hydrique et co-auteur d’un rapport paru en avril 2021 sur l’utilisation de l’eau dans le domaine agricole au Maroc, en Algérie et en Tunisie, Redouane Choukr-Allah répond à nos questions.

- Quel est votre avis sur les recommandations du NMD à propos de la tarification de l’eau ?
- J’adhère aux recommandations. Il s’agit d’un chantier nécessaire dont la mise en oeuvre devra cependant se faire progressivement afin de permettre aux usagers et aux agriculteurs de se préparer, d’anticiper et de s’adapter. Cette progressivité est importante parce qu’il y a derrière un enjeu qui est celui de l’impact potentiel sur la compétitivité de l’agriculture nationale.

- Justement, comment l’agriculture marocaine risque-t-elle d’être impactée par ce chantier ?
- Cela dépend des cultures et des régions. J’insiste sur le fait qu’il faille prendre en considération l’aspect social et le type de culture. Pour un agriculteur qui fait des framboises, l’augmentation du tarif de l’eau n’est pas un problème puisqu’il s’agit d’une culture à grande valeur ajoutée. Si on prend l’exemple de la tomate, le coût de l’eau ne dépasse même pas les 3% du coût global de production. Là aussi, une augmentation n’est pas handicapante d’autant plus qu’elle poussera les agriculteurs à adopter des techniques d’appoint qui permettent d’augmenter le rendement et qui, donc, valorisent mieux l’eau.

- Comment faire pour aider les agriculteurs à bien s’adapter à la réforme tarifaire de l’eau ?

- Je pense qu’il faudra faire une étude économique qui permettra de trouver la juste mesure afin de ne pas pénaliser l’agriculteur tout en le poussant à mieux valoriser l’eau grâce à l’augmentation du rendement et l’introduction de nouvelles technologies. Je pense que les agriculteurs marocains sont capables de relever ce défi, surtout si des plateformes de pilotes voient le jour afin de montrer l’exemple à suivre. La revalorisation tarifaire de l’eau pourra de cette manière redonner sa juste valeur à l’eau, qui est aujourd’hui une denrée rare à protéger, tout en agissant comme un vecteur de transformation vers une agriculture mieux adaptée.