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Rétro-verso : «Dourouss hassania», l’érudition Royale de père en fils


Rédigé par Houda BELABD Mercredi 5 Avril 2023

Les causeries religieuses hassanies, couramment appelées «Dourouss hassania », sont indissociables du Ramadan, au Maroc. Retour sur l’histoire de leur instauration par le défunt Roi Hassan II.



Rétro-verso : «Dourouss hassania», l’érudition Royale de père en fils
La toute première causerie religieuse donnée au mois de Ramadan remonte au début des années 1960. C’est feu Hassan II qui l’a présidée et lui a attribuée son nom : les «Dourouss hassania ». Pendant quatre décennies, ces séances connues par la participation d’un parterre d’hommes de science et de foi, ont marqué les esprits des jeunes et des moins jeunes. Lorsque Sa Majesté le Roi Mohammed VI a pris les commandes du pays en sa qualité de « Commandeur des Croyants », il a maintenu cette tradition royale au cours de laquelle il est coutumier de débattre des grandes questions religieuses, sociales, économiques, etc.
 
Ce fut dans le cadre de l’élection du premier Parlement marocain en 1963 que le défunt Roi Hassan II a présidé la première causerie religieuse, donnée en son nom, lors du mois sacré. Ces années-là, les préposés de la chose religieuse ont été parties prenantes des grandes questions qui préoccupent la nation, s’associant au débat ouvert pour se donner visibilité dans un contexte de dynamique sociétale qui appelle de fixer les repères et de préciser les référents communs. Pour la première fois dans l’histoire du Maroc, les téléspectateurs ont pu voir à travers leur petit écran, puisque ces assises étaient télédiffusées, des doyens d’universités scientifiques, des professeurs universitaires toutes spécialités confondues, des oulémas (docteurs de la foi) des ambassadeurs de part et d’autre, de hauts fonctionnaires de l’Etat et d’illustres personnalités du monde politique, prendre part à ces causeries sur les grandes questions en lien avec la religion, dans le cadre d’un débat prônant l’ouverture, la tolérance et la paix dans le monde.
 
En effet, à l’heure où le dialogue entre écoles doctrinales, notamment sunnite et chiite, ne se faisait pas sans heurt au sein du monde arabo-musulman, ces séances ont fait fédérer des imams de différentes écoles sur des questions aussi sensibles que la position avec les apports de la modernité ou encore la paix au Proche-Orient et au Moyen-Orient. Car le rapprochement entre les courants est, selon le rite malékite et donc selon la ligne de pensée des dourouss hassania, une condition sine qua none pour la diffusion des valeurs de vivre-ensemble intercommunautaire et inter-religieux.

Parmi les imams chiites qui ont participé à ces causeries, il y a lieu de nommer le leader politique et religieux Musa al-Sadr qui n’est autre que le créateur du Conseil islamique suprême chiite libanais en 1967.
 
 
Outre les penseurs chiites connus pour prôner une ligne d’ouverture sur toute démarche de dialogue exocommunautaire, sans prosélytisme ni hermétisme, les Dourouss hassania ont aussi vu la participation de moult imams, cheikhs et autres hommes religieux sunnites de l’acabit du grand-Cheikh égyptien Mohammed Metwali Al-Shaarawi.
 
Connu et aimé pour sa sagesse, doublée de sa profonde connaissance du fait religieux, feu Hassan II a réussi, grâce à ces causeries, à faire entendre et valoir la vision éclairée du rite malékite bien au-delà des frontières marocaines. Même Al Azhar s’est fait l’écho de la perspicacité de Ses directives. Les archives nationales du Royaume possèdent encore une vidéo datant de 1983 au cours de laquelle nous pouvons voir Youssef al Qaradawi, chef spirituel des Frères musulmans, écouter, la tête baissée, les leçons et valeurs de l’école hassania de la pensée éclairée. Et dire qu’il avait longuement hésité à accepter l’invitation du Palais royal marocain car ces leçons, selon ses mots, «contraignent les doctes aux rituels qui ne correspondent pas aux lois de l’Islam ». Quoi qu’il en soit, il a fini par accepter la convocation.
 
Au début du règne de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, la juriste Rajaa Mekkaoui a animé l'une de ces conférences, devenant ainsi la première femme à s’honorer d’une telle mission. C'était en 2003, démontrant par ce fait que ce rendez-vous n'est pas l'apanage de la gent masculine.
 
En 2006, lors du mois sacré de Ramadan, c’est l’ayatollah Muhammad Ali Al-Sukheiri qui a eu l’occasion de donner une causerie religieuse devant Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Cet invité, dans le respect total du courant sunnite et du rite malékite, a applaudi le rôle du Royaume dans le rapprochement des courants de la religion mahométane, qualifiant sa démarche « d’ouverture d’esprit inédite et jamais connue dans le monde arabe-musulman ». Une ouverture qui a valu au Maroc, entre autres, d’accueillir le siège de l’ISESCO, cette organisation éducative de la culture musulmane, à Rabat. 
 
Houda BELABD

3 questions à Nourdine Belhaddad, historien et professeur universitaire.

L’historien et fin connaisseur de l’histoire des courants politiques et idéologiques du Royaume a répondu à nos questions.
« Comme une planche de salut, cette initiative royale est venue inculquer les bonnes valeurs aux fidèles »
 
Dans quel contexte historique et politique les causeries ramadanesques ont-elles été instaurées ?


Tous les Marocains se souviennent de l'esprit de bienséance qui régnait lors des Dourouss hassania données par feu Hassan II. Elles avaient apporté une empreinte particulière, embaumée par un esprit saint, serein, pur et purificateur. Des intellectuels de part et d'autre y participaient de manière annuelle. C'était un rendez-vous avec le savoir, la religion, la philosophie et la jurisprudence. Nous ne pouvions qu'en sortir plus cultivés car cette initiative ouverte aux doctes de tous les domaines était, est, une université en bonne et due forme. Des intellectuels venus de tous les continents du globe convergeaient au Royaume pour débattre de tous les sujets touchant aux pensées philosophiques et religieuses. Dès 1963, en président ces causeries, le défunt Roi Hassan II avait donné un nouveau souffle à l’humanité en lui insufflant des valeurs humaines, fédératrices, bienséantes et pacifiques. Comme une planche de salut, cette initiative royale est venue inculquer les bonnes valeurs à ses fidèles alors que le monde sombrait dans les guerres froides les plus problématiques de l’histoire contemporaine.

Quelles raisons y a-t-il derrière le lancement de ces causeries en 1963 ?

Cette initiative royale est une invention marocaine. En effet, depuis les Mérinides, les Marocains se précipitaient dans les mosquées dans le seul but de s'immuniser avec la parole divine en vue de mieux affronter les horreurs des guerres et des mauvais jours. Le mois du Ramadan était, donc, l’occasion de se purifier dans tous les sens du terme pour apprendre de nouvelles leçons et de prendre de bonnes résolutions pour devenir une personne plus équilibrée sur le plan spirituel et moins influençable par les rabats-joies et autres discours belliqueux. Le souverain regretté Hassan II a donc décidé de ressusciter cette habitude en lui insufflant une nouvelle dynamique, nouvelle et beaucoup plus fédératrice, car ces causeries ont installé un dialogue avec les intellectuels du monde entier, venus de Chine, de Russie, des Etats-Unis d’Amérique, d’Inde, du Chili, bref, des contrées les plus lointaines dans l’unique optique de passer en revue et de débattre avec un esprit des plus ouverts, des questions qui préoccupent l’humanité.
 
Parmi les intervenants à ces causeries, il y avait des hommes de sciences, de foi, de lettres, des hommes politiques et hauts fonctionnaires d’Etat de plusieurs pays et de plusieurs continents. Quel est le but de cette ouverture à une multitude de champs intellectuels ?

C’était un trait d’union entre les nations, les pays, les différentes idéologies. Au cours des années 60, 70, 80 et même 90 du siècle dernier, étudiants, universitaires, citoyens lambdas, grands et petits, mettaient toutes leurs occupations de côté dans le but de n'avoir d'yeux et d'oreilles que pour les Dourouss hassania qui étaient complètes, exhaustives, riches de leçons de vie, à la lumière éclairée de la religion mohamétane. Autant communiquer avec toute l’humanité.

Débat : L’effort d’interprétation au crible du rite malékite

En 2019, SM le Roi Mohammed VI accompagné de SAR le Prince Héritier Moulay El Hassan, de SAR le Prince Moulay Rachid et de SA le Prince Moulay Ismaïl, a présidé, au Palais Royal à Casablanca, une causerie ramadanesque animée par M. Saad Ben Thaql Al-Ajmi, professeur à l’instance générale de l’enseignement au Koweït, sous le thème: « La question de la contestation dans l’esprit des pieux ancêtres », à la lumière du verset coranique: « Puis, si vous vous disputez en quoi que ce soit, renvoyez-le à Allah et au Messager, si vous croyez en Allah et au Jour dernier. Ce sera bien mieux et de meilleur aboutissement » (Sourat An-Nisa).

L'orateur a débuté son intervention en abordant un sujet qui concerne particulièrement les musulmans de notre époque, à savoir la liberté que certains veulent prendre à propos de l'autorité de référence à qui référer pour établir une source de raisonnement et de déduction à côté des sources fondamentales déjà acceptées par les musulmans. Notant que cette question concerne à la fois la dispute verbale et pratique, il a objecté que la démarche rompt avec la sage tradition pratiquée par les pieux prédécesseurs en matière d'exégèse, d'interprétation, de classification et de déduction.

Ensuite, il a tenu à rappeler que la Oumma est restée, pendant des siècles, majoritairement attachée à ses référents en matière d’investigation des textes et de la tradition, en s’en tenant aux méthodes d'une scientificité soutenue, telles qu'elles ont été expliquées et tirées des textes univoques de la révélation par l'un des grands disciples de l'Imam Malik, à savoir l'Al Imam Mohamed Ben Idriss Achafii. Il a précisé que ces principes ont constitué la première charte islamique pour la compréhension du Saint Coran et de la Sunna, en ce sens que ces principes sont fondés sur l'analyse exhaustive des versets univoques, des textes de la Sunna, des règles de la langue arabe et des méthodes d'induction, en prenant en considération les préceptes établis par les grands érudits parmi les ancêtres.

Ces fondements, a-t-il expliqué, constituent le point de départ des autres groupes et communautés qui ont, cependant adopté des fondements différents sous l’effet de circonstances contingentes qui les ont amenés à s'écarter des fondements doctrinaux, notant que cette déviation affecte par conséquent leurs instruments méthodologiques de raisonnement et de déduction.

M. Saad Ben Thaql Al-Ajmi s'est demandé, à cet égard, si toute interprétation ou exégèse attribuée à cette époque vertueuse devait être tenue pour incontestable en matière religieuse. Autrement dit, tout savant qui a mis en œuvre des outils d'interprétation en étant bien au fait de la réalité de son époque et de son pays, doit-il se plier à l'interprétation des ancêtres qui est née d'une réalité et de données différentes, ou doit-il se servir de ces outils d'interprétation pour déduire des jugements autres grâce à sa connaissance de la réalité qui l'entoure ?

Le professeur a précisé, en outre, que l'exégèse est basée sur trois piliers, en l'occurrence la compréhension du texte religieux, la connaissance de la réalité et une application du texte religieux, regrettant l'absence des deuxième et troisième piliers chez ceux qui restreignent la compréhension du texte à l'interprétation qu'en ont fait les prédécesseurs.

Idéologie : Un esprit sain dans une religion sainte ?

Les causeries ramadanesques hassanies ont également vu la participation du président des Maldives, Mamoun Abdul Gayoom. Ce fut en 1993, date à laquelle il a traité du bilan de «la jurisprudence islamique et de l’urgente nécessité de traiter les grandes questions contemporaines». Mais cette année 2020, la régularité de ces causeries religieuses avaient été impactée, à cause de la pandémie du Coronavirus.
Ces causeries ont également donné la parole au Cheikh Muhammad Al-Habh Belkhuja Fi de Djeddah, le Cheikh Abdullah bin Abdul Mohsen Al-Turki, secrétaire général de la Ligue mondiale musulmane, le Dr Issam Al-Bashir du Soudan mais aussi le Dr Taha Jaber Al-Alwani d’Amérique. Le point fort de ces rencontres avec les doctes de l’islam, c’est que la tutelle, à savoir le ministère des Habous et des Affaires islamiques, n’impose pas aux invités les thèmes de leurs causeries comme peuvent en témoigner plusieurs intervenants dans la presse égyptienne, à titre d’exemple.
Ces rencontres incitent en somme à méditer sur la question de la fibre contestataire dans l'esprit des anciens pieux, l'individu étant confronté à un leitmotiv qui tient à la fois de la pensée religieuse et du propos politique. Bien loi du fait que les ancêtres agissaient dans un cadre global de légitimité dans leur relation à l’autorité, couvrant les différentes écoles et courants, l'on assiste aujourd'hui à la propension de groupes factionnels, représentant une petite minorité de la Oumma à vouloir encadrer toute la nation, en fonction de leur conception étroite des savoirs de l'époque, au point d'en faire une arme de différenciation, voire de destruction.
 
 
 
 

Religion : Haro sur le fanatisme

Depuis les premières années, les causeries ramadanesques abordent les grandes constantes, sous la loupe de la doctrine ash'aari, de la jurisprudence malékite et de la méthode de l'imam Junaid, qui s'opposent au fanatisme et aux idées extrémistes des esprits bien hermétiques qui altèrent les principes de la tolérance et de l'acceptation de l'autre. Enfin, à toutes ces idées qui ont abouti à l'extrémisme et au terrorisme qui posent problème dans le monde.

L'école hassanie est une école de grande vertu et de juridictions régies par la conception originelle de l'islam unificateur qui se réfère aux grands Imams, notamment ceux qui conviennent du Consensus permettant aux compagnons d'avoir des points de vue divergents les uns des autres. L'absence de preuve de l'infaillibilité en est le signe distinctif, d'autant plus que les ancêtres n'ont pas contraint ni encouragé le commun des musulmans à suivre leurs concepts.

Parmi les débats des jurisconsultes malékites figure le répertoire de la contradiction, qui affirme que les divergences entre les compagnons étaient connues et courantes et qu'ils ne prétendaient pas tenir une  compétence infaillible auprès de Dieu ou du Prophète, paix et bénédictions soient sur lui.

Il convient de noter que cette assertion est reprise par la majorité des oulémas et que, par conséquent, nul ne peut se distinguer parmi la Oumma et ses oulémas par un alibi, une idée, une habitude ou un concept non référé sous des prétextes infondés ou en apportant des preuves inacceptables, incongrues ou belliqueuses.