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Rétro-Verso : L’Histoire vertigineuse du fameux «17 étages »


Rédigé par Houda BELABD Mercredi 15 Mai 2024

« La Liberté », le «17 étages », ou alors le « Doukkali » sont tant d’appellations qui renvoient à la même adresse. Celle d’un immeuble qui a porté aux cîmes les standards de l’architecture innovatrice et pionnière. Ascension et tour d’horizon.



Édifié entre 1949 et 1951 par l'architecte suisse Léonard René Morandi, l’immeuble de « La Liberté », mieux connu sous l’appellation du «17 étages », est une bâtisse qui a déjà rendu aux standards des grands ouvrages architecturaux toutes leurs lettres de noblesse. Ce n’est pas tout. Dès sa construction, la presse internationale spécialisée en architecture s’en est faite l’écho en tant que « l’un des plus hauts immeubles de tout le continent africain ».

Du haut de ses 17 étages et de ses 78 mètres de hauteur, il projette fièrement son aura de gratte-ciel sur toute la ville, si ce n’est pas sur l’ensemble du pays.

L’histoire de cet immeuble a commencé lorsque Léonard Morandi effectua un voyage de prospection au Maroc à la fin de l'année 1946, sur la suggestion de son beau-père Henri Lumière, qui avait repéré un certain nombre de nécessités urbaines qui devaient se révéler par la suite, dont la construction d'immeubles en copropriété. Il est, donc, installé de façon permanente à Casablanca en 1947, obtient son autorisation d'exercer en octobre 1948 et se voit très vite confier la construction d'un grand immeuble de logements et de bureaux pour le compte de trois entrepreneurs français.

Le bâtiment de la Liberté a été notamment habité par Jacques Lemaigre-Dubreuil, partisan de l'Indépendance du Maroc. Il fut assassiné au pied de l'immeuble en 1955, et la place où il se dresse, anciennement "Place de la Révolution française", fut renommée en son honneur. Pionnier dans l'histoire de l'architecture moderne en Afrique, icône des premiers bâtiments de cette hauteur sur le continent, sa réalisation est également ingénieuse et originale. 

"Aujourd'hui, la grande star de la chanson marocaine Abdelwahab Doukkali vit ici", s'enorgueillit Rabéa Ridaoui, qui ne lésine pas sur les épithètes pour chanter les louanges de ce chef-d’œuvre architectural qu'elle affectionne tant.
 
Une merveille architecturale

Dire que cet ouvrage est un joyau architectural serait un euphémisme. Le bâtiment, en forme de V, est très confortable à vivre. Une remarquable orientation au sud de la pointe du bâtiment, en particulier, permet aux habitants de réaliser des économies non-négligeables sur leurs factures de chauffage. Les pièces principales, toutes tournées vers la place, sont à l'abri des brises marines, parfois chargées d'humidité. L'immeuble est par ailleurs aménagé avec des vide-ordures particuliers en direction des incinérateurs, avec des gaines aseptisées. 

À l'étage, le bâtiment compte 30 bureaux auxquels l'on parvient par un escalier privé.

À chaque étage, des appartements qui vont du studio au 5 pièces attirent notre attention grâce à l'ingéniosité de leur aménagement et disposition. Aux 16ème et 17ème, l'on découvre, en outre, des logements dotés de terrasses-jardins, et un peu plus en hauteur, un vaste jardin équipé d'une pergola.

Mais avant d'atteindre ces étages supérieurs, quatre ascenseurs centraux et trois ascenseurs de service de 1,5 m/s sont mis à la disposition des habitants de la résidence et de ses visiteurs. La conception à parois lisses rend superflue toute envie d'installer des portes de cabine.

Chaque appartement comprend un balcon de service muni d'un lavabo et d'un vide-ordures. Les conduits, avec leur relais de chute à mi-hauteur, comportent chacun un four d'incinération au sous-sol, opérant la nuit, le volant thermique de la combustion précédente assurant la déshumidification des ordures ménagères au cours de la journée. Les émanations seront aspirées par les mêmes conduits qui, en les assainissant, empêchent la formation de cultures microbiennes et de parasites domestiques.


L'équipement général comprend deux réservoirs d'eau potable de 40 m³ au sous-sol, auxquels s'ajoute un bac de distribution de 35 m³ au sommet du bâtiment, le tout étant approvisionné par deux pompes électriques de secours et un groupe électrogène de remplacement au fioul lourd permettant d'alimenter les ascenseurs en cas de coupure de courant.

Les travaux de construction ont été pensés en fonction de l'infrastructure du sol, qui inclut des formations dunaires calcaires ou gréseuses au niveau de la semelle, et du schiste dur à une profondeur d'environ quinze mètres. Elle procure une plate-forme de qualité, capable de soutenir une charge totale de 13.000 tonnes. 

Pour leur part, les piliers sont basés sur des semelles isolées. À titre tout à fait exceptionnel, sous les murs mitoyens, une semelle continue est prévue, raccordée à la première ligne de poteaux par un ensemble de chaînages.

« Étant placé à un carrefour important, naguère, dès que l’on arrivait à Casa, on ne voyait que l’immeuble de la Liberté. Même à nos jours, il demeure un repère urbain crucial dans la ville, notamment sur les hauteurs du quartier de la Liberté. Pour leurs parts, sa façade galbée, ses courbes et ses lignes ont à plusieurs reprises été immortalisées par les cliquetis des photographes, des cinéastes et continuent de susciter l’admiration et la liesse des amoureux du Patrimoine. Les architectures des nouveaux quartiers de la ville comme CFC s’en inspirent, d’ailleurs, clairement », conclut Rabéa Ridaoui, fervente gardienne du Patrimoine de la Métropole.

3 questions à Rabéa Ridaoui : "L'immeuble symbolise la modernité et l’avant-garde du style d’architecture Streamline"

Rabéa Ridaoui, ex-présidente de Casamémoire et grande connaisseuse de l'Histoire de l'immeuble "La Liberté" de Casablanca a répondu à nos questions.
Rabéa Ridaoui, ex-présidente de Casamémoire et grande connaisseuse de l'Histoire de l'immeuble "La Liberté" de Casablanca a répondu à nos questions.
  • Parlez-nous de la construction et du développement de cet immeuble qu'est "La Liberté".
 
L’immeuble « La Liberté », appelé communément « Le 17 étages », est l’œuvre de l’architecte suisse naturalisé français Léonard Morandi. Situé place Lemaigre-Dubreuil, il était, à la date de sa construction entre 1949 et 1951, le premier immeuble de grande hauteur (IGH) à Casablanca et le premier gratte-ciel d’Afrique. Avec ses 78 m de hauteur, il détrône ses précédents qui dominaient la place des Nations Unies dès l’année 1935 comme l’immeuble Moretti-Milone de Pierre Jabin avec ses 11 étages et l’immeuble de la BMCI d’Alexandre Courtois de 15 étages datant de 1947.
 
  • Pourquoi est-il si important pour le patrimoine de la ville ?
 
C'est parce qu'il symbolise la modernité et l’avant-garde du style d’architecture Streamline, appelé également « Paquebot » inspiré des constructions navales: Il déploie sa proue sur un terrain en "V" offrant une vue panoramique sur la ville.
 
L’espace arrière de l’immeuble donne également le spectacle de prodigieux escaliers de service de forme sinusoïdale et qui sont tout aussi remarquables que la façade linéaire, offrant une vue plongeante sur le Boulevard de la Liberté.
 
  • Racontez-nous des anecdotes liées à son histoire, son âge d'or et ses années de gloire.
 
L’immeuble est historique pour la mémoire de M. Lemaigre-Dubreuil (1894-1955), homme d'affaires français, et fervent défenseur de l'indépendance du Maroc. En 1955, il acheta le journal Maroc-Presse pour promouvoir ses idées libérales et porter la voix des nationalistes marocains, mais il fut tragiquement assassiné le 11 juin de la même année au pied de cet immeuble, peu avant l'indépendance du Maroc.

Fait marquant : Jacques Lemaigre-Dubreuil, un Français mort pour le Maroc

L'immeuble "La Liberté" est appelé ainsi en référence a un Français qui y a péri pour faire entendre la voix de la vérité en défendant avec vigueur la cause des sans-voix : les habitants des quartiers populaires et des carrières centrales de Casablanca. Il a également défendu contre vents et marées le droit à la dignité du peuple marocain dans sa globalité, réclamant avec force la fin des tortures policières lors des manifestations pacifiques des Nationaux indépendantistes.
 
Le 11 juin 1955, Jacques Lemaigre-Dubreuil, directeur général de la multinationale Lesieur, est tué dans la cage d'escalier de son immeuble par des mercenaires à Casablanca, pour avoir exprimé sa solidarité avec les Marocains dans les médias français.
 
En effet, Lemaigre-Dubreuil a été, de 1944 jusqu'au tout début des années 1950, pour le maintien de l'ordre établi au Maroc, en raison de l'importance économique de l'Empire colonial pour la France. En 1951, il a participé à des manifestations qui ont donné lieu à l'éviction du général Juin comme résident général au Maroc et son remplacement par le général Guillaume. Ami du Maroc et des Marocains, il a publié une vingtaine d'articles de plus en plus virulents sur ce qu'il a qualifié de son vivant de "violence policière française à l'encontre du peuple marocain en général et des habitants des carrières centrales de Casablanca, en particulier".
 
Né en 1894 à Solignac en Haute-Vienne (France), J. Lemaigre-Dubreuil a quitté sa France natale pour faire fructifier son business au Maroc. La défaite de 1940 a rendu difficile le maintien de l'exploitation du site historique des Huiles Lesieur à Dunkerque. Lemaigre-Dubreuil a dû transférer son activité à Casablanca, bénéficiant de l'encouragement des autorités allemandes pour l'importation d'huile en Europe.
 
Dès le début des manifestations pour l'indépendance du Maroc et des émeutes sanglantes dans les quartiers casablancais marginalisés, sa virulence à l'égard de l'extrême droite française a commencé à inquiéter plus d'un, notamment dans les hautes sphères de celle-ci.
 
À partir de 1953, il s'est orienté vers une position plus autonomiste et a contribué activement au rapprochement des différents partis, agissant en tant qu'intermédiaire entre les représentants du gouvernement, les modérés et les "libéraux" favorables à l'autonomie.
 
Deux années plus tard, il a été assassiné à l'immeuble dont le nom lui rend, aujourd'hui, un hommage posthume, par un groupe terroriste. La piste de la Main rouge (une organisation terroriste française), n'est pas écartée, bien que la justice n'ait jamais conclu sur ce point.

Prouesses : Du néo-marocain au post-moderne

Il y a un peu plus d'un siècle, alors que les architectes suisses et français donnaient libre cours à leurs créations dans les grandes artères des villes européennes telles que Paris, Genève, Lyon ou Lausanne, c'est sous le soleil de Casablanca qu'ils se plaisaient si bien à sortir des sentiers mille fois battus et à emprunter des chemins de traverse, le beau temps et la proximité de l'Atlantique rendant possibles tous leurs projets audacieux.

Découlant des directives de Lyautey et du modèle d'arabité prôné par le gouverneur algérien Charles Jonnart au début du XXe siècle, le style néo-marocain se traduit surtout par le repositionnement du lexique et de la texture des constructions historiques marocaines, et moins par le recours à la syntaxe ou à la typologie de ces dernières. Il se décline avec une large liberté et une certaine technicité, selon une pluralité de figures allant des plus fondamentales aux plus savantes. Quelques-unes d'entre elles sont conjuguées à des configurations axiales et hiérarchiques conformément aux préceptes de l'École des Beaux-Arts, par exemple dans les différents bâtiments qui bordent le square administratif de la Métropole.
 
Aussi, l'approche post-moderne s'est-elle également affirmée dans l'architecture mondiale, sous la poussée de la Biennale d'architecture de Venise en 1980. À la même époque, les premiers Marocains formés dans les écoles européennes entrent dans la vie active et leurs premiers travaux reflètent un courant qui était, à l'époque, dit "venu du futur", lequel courant a été mondialement acclamé car "audacieux" et ô combien "surprenant".
 

Architecture : Une ville qui puise sa beauté dans ses tréfonds

Casablanca dispose d'un paysage urbain hétérogène et hétéroclite à la fois. Le Patrimoine architectural de la métropole contribue fortement à la valorisation du territoire. Ce legs patrimonial est constitué de divers éléments liés à de grands courants architecturaux : Arabo-musulman, Art déco, post-moderne, international, etc.
 
Ce paysage urbain s'est développé par paliers successifs et, à quelques rares différences près, c'est dans la vieille Médina que se dressent les édifices qui illustrent le panorama de Casablanca à l'aube du 19ème siècle. Il s'agit notamment des fragments de remparts tels que Bab el Marsa et Sqala, des mosquées Djama ould el Hamra et Djama el Kebir et du wali Sidi Allal El-Kairouani. Globalement, les bâtiments qui attestent du développement de la ville avant le débarquement de 1907 sont analogues à ceux des villes littorales marocaines comme Azemmour ou El Jadida, et le plus fréquemment à ceux de l'Andalousie atlantique, d'où étaient issus la majeure partie des résidents étrangers.
 
Parler de Casablanca, c'est faire illico presto allusion à son approche éclectique (l'éclectisme étant une tendance architecturale, ndlr). Celle-ci se fonde sur l'utilisation de répertoires architecturaux empruntés à l'histoire, notamment au classicisme français du XVIIIe siècle. Ces éléments sont hiérarchisés selon les modes de composition académiques dispensés à l'École des Beaux-Arts de Paris et dans d'autres établissements français. Sur le plan symétrique, les constructions sont généralement structurées de manière homogène, qu'il s'agisse d'immeubles d'angle ou d'immeubles d'alignement. Sur le plan vertical, elles se composent d'une base et d'un entablement, parfois prolongés par des superstructures, séparés par une partie médiane rythmée par des colonnes, des pilastres ou de simples encadrements moulurés.

La plupart du temps, les ordres utilisés sont composites, et sont associés à une large gamme d'éléments ornementaux d'esprit classique, ou d'inspiration florale ou symbolique, qui confèrent leur qualité à des édifices parfois prosaïques.








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