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Culture

Retro Verso : Chanter l’amour à tue-tête


Rédigé par Houda BELABD le Mercredi 9 Novembre 2022

Emile Zrihan. Ce nom vous interpelle-t-il ? Il s’agit d’un contre-ténor qui sillonne les quatre coins de la ronde dans l’unique optique de promouvoir la musique classique judéo-marocaine. Rétrospection dans sa vie de virtuose.



C’est en 1952, à Rabat, que le contre-ténor Emile Zrihan pousse ses premiers cris. Dès ses premiers pas, ses cordes vocales ont commencé à surprendre son environnement immédiat: ses proches et ses maîtresses d’école. Quand il chantait des comptines et autres berceuses, ses prestations finissaient en tonnerres d’applaudissements.

«Enfant, quand je chantais devant notre premier téléviseur, je baissais le son sur une chanson d’Abdelhalim Hafez ou de Farid Al Atrache et me mettais à chanter à leur place», nous avoue-t-il, non sans humour.

C’est ainsi qu’il a été initié, très tôt, au chant liturgique juif, à la chanson judéo-marocaine et moyen-orientale. En 1963, il émigre en Israël avec sa famille et continue ses études de hazanout, soit de chant synagogal, découvrant entre autres la musique des piyoutim (des poèmes judaïques riches en discours moralisateurs) auprès du rabbin Shlomo Ouanounou. Il fait preuve d’un talent époustouflant pour le chant et donne son premier concert à l’âge de 13 ans. Ce fut alors une de ses plus grandes réalisations. Une expérience qui l’a galvanisé et lui a donné envie de se frayer un chemin dans la cour des grands.

Il est dès lors inscrit pendant de nombreuses années à la programmation régulière d’une grande émission télévisée. Une des plus connues et des plus regardées en Israël. Ce qui signifie, en d’autres termes, que le petit Émile a commencé à se faire connaître dans la rue, dans sa ville et partout dans ce pays du monde.

Quelques années plus tard, son étoile commence à briller au-delà des frontières. Sa voix de contre-ténor d’une rare intensité a fait de lui la pépite qui manquait cruellement à la chanson judéo-marocaine. Qu’il chante en hébreu, en arabe ou en italien, il sait, mieux que personne, enthousiasmer des foules et un public sans cesse grandissants, ses thèmes de prédilection étant la vie, l’amour, le vivre-ensemble et l’appel de la mère patrie. «Je chante pour le Maroc, pour Israël et pour la terre entière», nous dit-il à coeur ouvert.

Au moment des offices religieux, plus particulièrement à la grande synagogue d’Ashkelon, où il est le chantre attitré, les frissons sont toujours au rendez-vous. Fin connaisseur de la musique arabo-andalouse et classique orientale, il chante et enchante dans plusieurs registres musicaux, aussi bien religieux que profanes.

Aussi, aborde-il avec une maîtrise troublante les répertoires arabes, qu’ils soient maghrébins ou moyen-orientaux. Il se distingue surtout dans l’art du Mawwal, ces improvisations chantées, généralement sur les thèmes de l’amour et des supplices de la séparation.

Son talent a été divulgué et acclamé au grand public en 1997 à Berlin, lors de la World Music Expo où une standing-ovation lui a été consacrée pendant plus d’une minute.

Mais force est de constater qu’en sa qualité de soliste, Emile Zrihan demeure un fervent défenseur du patrimoine musical marocain au sein de l’Orchestre Andalou d’Israël. Aussi, s’est-il beaucoup produit en Europe et en Amérique du Nord où il est adulé et toujours attendu par ses deux premiers publics : marocain et israélien.

Sur les nombreux albums auxquels il a collaboré, citons «Ashkelon» sorti en 1998 sous le label allemand Piranha, «Andaloussiya» sous le label Koliphone, ou encore les trois volumes de ses «Chants judéo-marocains» sous le label NMC.




Houda BELABD


Contre-ténor, kézako ?
 
Dans le jargon consacré à la musique occidentale, a fortiori en musique classique, un contre-ténor est le type de voix masculine étant à même d’utiliser sa voix de fausset appelée chez les connaisseurs la voix de tête et dont la tessiture peut correspondre à celle d’un soprano, d’un alto ou d’un contralto.

Pour le commun des mortels, comme pour les novices, ce sont des hommes qui chantent avec des voix de femmes. Toujours dans le registre de la musique classique d’Outre-mer, le contre-ténor, également appelé falsettiste, est à différencier des chanteurs qui utilisent la voix de tête pour les notes aiguës.

La confusion pourrait venir du fait qu’en anglais, contre-ténor ou countertenor est un mot qui désigne toutes les voix très aiguës. Mais au commencement était le verbe : à l’origine, soit à la Renaissance en France, dans un concert, les contre-ténors étaient cette ligne de chant qui s’opposait à la ligne de ténor, le chanteur principal. Elle avait alors une tessiture tout à fait comparable à celle de la ligne de ténor.

Progressivement, la ligne de contre-ténor s’est scindée en deux tessitures distinctes : la ligne de contre-ténor aiguë et la ligne de contre-ténor grave, qui ont donné les lignes de contralto et de basse.
 

Interview avec Émile Zrihan, un des derniers contre-ténors de ce monde

Retro Verso : Chanter l’amour à tue-tête

«Ces dernières années, beaucoup de contre-ténors européens ont tiré leur révérence»
 
Emile Zrihan, un des derniers contre-ténors de ce monde, répond à nos questions.
 
-A quel point les ténors, contre-ténors étaient-ils ancrés dans la culture musicale marocaine au cours du siècle dernier ?

- La musique classique était certes l’apanage des happy few lors de la période coloniale française au Maroc, si vous faites allusion aux hauts lieux administratifs et gouvernementaux de l’époque. Cependant, j’aimerais préciser que chez beaucoup de familles fassies, rbaties, marrakchies, parmi tant d’autres, quel que soit leur background religieux, et pas forcément placées très haut dans les sphères importantes du pays, l’on sortait tout de suite les registres occidentaux et orientaux dignes des opéras lors des mariages, barmitzvot (communions juives) et circoncisions. Quand ce n’était pas le chant symphonique de Mozart, c’était au tour du répertoire d’Asmahane, Farid Al Atrache et Abdelhalim Hafez de retentir dans chaque coin et recoin de nos célébrations.

Dans nos mariages juifs et musulmans, le métissage culturel, traditionnel et interreligieux est inné, spontané et très naturel car il s’agit de deux cultures qui ont toujours cohabité dans ce pays. Les ténors et contre-ténors y étaient alors nombreux. À peine se produisaient-ils dans une grande salle, en grande pompe, qu’ils finissaient la soirée en chant et en notes dans le mariage d’un voisin ou d’un inconnu. Je précise que les contre-ténors étaient moins nombreux que les ténors.


-A quel point le sont-ils aujourd’hui ?

Même si au Maroc nous avons des festivals consacrés à la musique classique et des salles qui vouent un amour sans pareil à la musique noble d’antan, je pense que les ténors et autres chanteurs classiques d’origine marocaine sont mieux connus ailleurs, en Europe, dans l’Amérique du Nord ou en Israël, et ce n’est pas une si mauvaise chose. Cependant, concernant les contre-ténors, il paraît qu’ils n’ont jamais été aussi nombreux qu’on pourrait le croire, et ce, à l’échelle mondiale. Et ces dernières années, beaucoup de contre-ténors européens ont tiré leur révérence.


-Vous êtes sur le point de nous dire, avec beaucoup de modestie, que votre talent est rarissime. Dites-nous combien de contre-ténors existe-t-il de par le monde à l’écriture de ces lignes…

Je pense que nous ne sommes pas plus que 4 contre-ténors à nous produire dans les festivals et autres manifestations culturelles dédiées à la musique classique. Peut-être qu’il en existe d’autres que je ne connais pas, mais cela m’étonnerait qu’il en existe plus que dix aujourd’hui.

 

3 questions à David Serero


«Tout ce que l’Opéra a toujours voulu faire, le Maroc l’a fait !»
 
Chanteur, producteur, pianiste, David Serero est surtout l’initiateur du premier opéra du Maroc. Le temps de cette interview, il nous a presque convaincu que l’opéra est aussi marocain que l’Aïta. Interview.


-Parlez-nous de l’opéra dans l’Histoire du Maroc, des origines à nos jours…


- Il y a eu des représentations d’opéra durant la période du protectorat français, mais avec la participation de chanteurs étrangers. Nous n’avons jamais eu d’opéra marocain à proprement parler. Pour ce faire, il faudrait commencer par la formation des chanteurs d’opéra de demain. Il faut leur donner accès à ce monde à part entière. Grâce à l’appui du conservatoire de Casablanca, ce rêve est désormais possible.

Cependant, pour qu’il y est des classes d’opéra, il faut qu’il y ait des pianistes formés pour accompagner les chanteurs spécialisés dans ce répertoire musical. La technique, la musicalité, la gestuelle et la prestation vocale sont une question d’apprentissage et bien sûr de talent. Mais puisque nous avons un potentiel remarquable au Maroc, nous sommes à même de conduire nos chanteurs d’opéra vers l’internationalisation et pourquoi ne pas faire de Casablanca une destination musicale d’opéra au même titre que Rome, Paris et New York ? Imaginez des chanteurs d’opéra bien de chez nous, habillés en caftans et chantant la joie, l’amour et la paix en darija. Ce serait le rêve ? Et bien non, il s’agit désormais d’une réalité qui s’appelle l’Opéra Royal du Maroc.


-Parlez-nous davantage de l’aspect marocain de cet opéra.

- Mis-à-part l’aspect linguistique qui est l’arabe darija, il y a des opéras écrits sur des thèmes et histoires made in Morocco, relayés par la culture orale, le folklore, les traditions monothéistes, etc. Nous voulons, surtout, le démocratiser. 150 dirhams pour assister à un concert à l’opéra, c’est assez correct à mon sens. Nous voulons aussi nous produire au sommet d’une de nos merveilleuses montagnes, chanter en amazigh avec des femmes arborant leurs tenues traditionnelles.

L’opéra c’est surtout cela : faire connaître toutes les facettes culturelles d’un pays donné, comme une carte de visite, un miroir, une vitrine… Cet opéra est, comme son nom le suggère, royal, car la culture est garantie par Sa Majesté le Roi. Il est également royal car il portera hautement et fièrement les traditions royalistes de ce pays : il s’adressera à tout le Royaume, car notre Roi règne sur tout le peuple.


-Que pourrait puiser l’opéra dans les traditions marocaines ?

- Le Maroc et l’opéra semblent n’en faire qu’un ! Car le Royaume, de par sa diversité et sa pluralité culturelle ressemble à l’opéra qui est ouvert à toutes les cultures. En d’autres mots, tout ce que l’opéra a toujours voulu faire, le Maroc l’a fait !

 

Événement


Le Maroc a enfin son Opéra !
 
Il a tardé à venir, mais il est là : le premier Opéra Royal du Maroc fait, enfin, partie du paysage culturel du Royaume. Concrétisé grâce à l’appui de Mohamed Mehdi Bensaid, ministre marocain de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, ce projet pensé, fondé et dirigé par le baryton marocain David Serero sera inauguré le 30 novembre 2022 au Studio des Arts Vivants de Casablanca.

L’Opéra Royal du Maroc a pour vocation de valoriser et de promouvoir l’opéra au Royaume, de veiller à la formation des futurs chanteurs d’opéra marocains qui sauront interpréter les plus grandes oeuvres lyriques de l’histoire de la musique et de réaliser des oeuvres lyriques en arabe dialectal marocain.

Ainsi, de nombreux chanteurs d’opéra de grande envergure se produiront lors de cette manifestation culturelle de premier rang pour interpréter les classiques de Mozart, Puccini, Verdi, Bizet et bien d’autres merveilles musicales. Le concert devra durer une heure et demie, et ce, aux côtés de très nombreuses grandes personnalités.

De ce fait, une Troupe Royale d’Opéra Marocaine sera créée et composée d’artistes lyriques marocains, sous la direction artistique de David Serero qui a toujours cru dur comme fer en la réussite de ce projet.

Aussi, une saison d’opéra sera-t-elle composée d’oeuvres majeures du répertoire lyrique en langue originale (français ou italien), certaines adaptées en darija et/ou dans une mise en scène et production marocaine, et la création d’oeuvres originales en arabe local par des compositeurs marocains commandées pour l’Opéra Royal du Maroc. Au programme, il y aura également une tournée de chanteurs marocains, pour promouvoir la culture nationale, en partenariat avec d’autres maisons d’opéra dans le monde.