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Ressources minières : L’épopée méconnue du cobalt marocain


Rédigé par Soufiane CHAHID Lundi 26 Septembre 2022

Neuvième producteur mondial, le Maroc veut miser sur son cobalt pour attirer les investisseurs dans la fabrication de batteries pour voitures électriques. Ce cobalt vient de la mine de Bou-Azzer, qui a connu une histoire riche en rebondissements. Récit.



Comme beaucoup de pays, le Maroc veut se positionner dans l’industrie d’avenir de la voiture électrique. D’après le ministre de l’Industrie Ryad Mezzour, dans une interview accordée à l’agence de presse Reuters le 21 juillet dernier : «Le Maroc est en cours de négociation avec des fabricants de batteries pour véhicules électriques afin d’implanter une usine dans le pays».

Pour ce projet, le Royaume a deux atouts à faire valoir auprès des investisseurs : un écosystème automobile florissant, et ses ressources en cobalt. Métal aussi rare qu’indispensable, le cobalt est utilisé dans presque toutes les batteries (voiture électrique, téléphone, ordinateur…). Il est aussi essentiel dans des domaines comme l’énergie, l’aérospatial ou la chimie. Le Maroc est le neuvième producteur mondial de cobalt (2.000 tonnes par an) et onzième au niveau des réserves connues. Il est aussi un des rares pays au monde à le raffiner pour en faire de la cathode de cobalt haute pureté.

Mine abandonnée

Ce cobalt, on le doit à une seule mine : Bou-Azzer à 120 km au Sud de Ouarzazate. Difficile d’imaginer que cette mine prospère était autrefois abandonnée. Par manque de ressources et de rentabilité, Bou-Azzer a été fermée en 1983. Elle posait aussi pour son propriétaire, l’ONA (ex-Al Mada), un problème de gestion des déchets. Plus de cinquante ans d’exploitation ont laissé sur place un million de tonnes de déchets stockés dans une grande digue. En 1986, le directeur général des Mines à l’ONA recrute Ismaïl Akalay, jeune docteur en chimie de l’Université Pierre et Marie Curie à Paris, pour trouver une solution à ces déchets.

«Le pôle mines de l’ONA avait fait appel à des entreprises étrangères pour trouver une solution au traitement des déchets, en vain», se remémore aujourd’hui Ismaïl Akalay. Il n’avait pour l’assister qu’un technicien pour effectuer les analyses, et un ouvrier. «Lorsqu’on a commencé à prélever les échantillons, le gardien de la mine m’a dit : « Mon fils, tu perds ton temps ici. D’ici trois mois, tu rangeras tes affaires et tu t’en iras comme tes prédécesseurs. Ce cobalt est maudit !», se rappelle-t-il.

Les analyses révèlent que ces déchets contiennent encore du cobalt en quantité marginale, environ 0,4%. Pour ce qui est de la mine en elle-même, les sondages révèlent des quantités importantes d’un autre métal, l’argent. Dès lors, Ismaïl Akalay et son équipe développent des procédés industriels pour valoriser en parallèle le cobalt des déchets et l’argent issu de l’extraction. Convaincu par les ambitions du jeune ingénieur-chimiste, le pôle mines de l’ONA décide en 1988 de redémarrer la mine de Bou-Azzer.

Cobalt reconnu internationalement

«Lorsqu’on a redémarré l’exploitation, on s’est rendu compte que les puits abandonnés contenaient encore du minerai de cobalt», explique Ismaïl Akalay. Sorti de terre, ce minerai est composé aussi de beaucoup d’arsenic. «A l’époque, on n’avait pas les moyens de raffiner ce cobalt. Nous le vendions en l’état à une entreprise chinoise», poursuit-il. 200 tonnes de cobalt sont ainsi extraits chaque année à partir de 1989. Comprenant le potentiel à l’international de ce métal, le pôle mines de l’ONA, aujourd’hui Managem, met dès 1992 en place une usine de raffinage, la société Cobalt Métallurgie Bou-Azzer (CMBA).

En 1999, Ismaïl Akalay est promu directeur d’exploitation de CMBA. Le cobalt marocain amorce alors sa vitesse de croisière, et se développe aussi bien en quantité qu’en qualité. L’usine est agrandie et les procédés de raffinage sont de plus en plus sophistiqués. La CMBA arrive à produire des cathodes de cobalt avec une pureté de 99,9%. «Ces cathodes suscitaient la curiosité et l’admiration de nombreux clients», nous apprend-il. Le produit CMBA s’arrache partout dans le monde.

Quant à la mine de Bou-Azzer, les travaux géologiques ont révélé d’importantes réserves de cobalt, et la production de la mine a été multipliée par dix. «J’ai l’impression que la mine de Bou-Azzer est inépuisable», conclut celui qui sera, de 2016 à 2018, directeur général des activités minières et industrielles de Managem au Maroc.


Soufiane CHAHID

Repères

Les enfants travailleurs du cobalt
La République Démocratique du Congo (RDC) possède la moitié de réserves mondiales du cobalt, et est la première productrice de ce métal. Mais cette situation a changé lorsqu’en 2017, Amnesty révèle que ce cobalt était extrait grâce au travail des enfants. Plusieurs géants de l’électronique et de la voiture électrique sont impliqués. Ces entreprises cherchent alors des alternatives et se tournent vers le Maroc. Il en est ainsi de BMW puis de Renault, qui ont signé des contrats d’approvisionnement avec Managem.
Mainmise chinoise
Indispensable à la transition énergétique, le cobalt est considéré comme l’or bleu du futur. Signe de la compétition féroce autour de ce métal, son cours a grimpé de plus de 40% en trois ans. Le plus grand acheteur est la Chine. Le cobalt permet à l’Empire du Milieu de conserver son leadership dans la fabrication de batteries en lithium. Pour assurer son approvisionnement, Pékin contrôle la majorité des mines du cobalt en RDC. En 2020, Pékin avait aussi annoncé constituer des stocks stratégiques de cobalt.

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Ressources minières : L’épopée méconnue du cobalt marocain

Technologies


Batterie à cobalt ou batterie à phosphate
 
La grande majorité des voitures électriques fonctionne avec des batteries lithium-nickel-cobalt (LNC). Plus puissantes et plus durables, ces batteries sont privilégiées par les constructeurs automobiles. Le cobalt permet la régulation de la température et la longévité de la batterie. Cependant, la rareté de ces métaux rend le coût de la batterie lithium-nickel-cobalt élevé et fait craindre des pénuries à l’avenir.

Face à cela, un autre type de batteries devient de plus en plus populaire: Lithium-Fer-Phosphate (LFP). Moins chère mais moins puissante, cette batterie est destinée à équiper des voitures plus abordables.

En novembre dernier, Tesla, le plus grand constructeur de voitures électriques au monde, a annoncé vouloir équiper de batteries LFP ses modèles à autonomie standard. En misant sur son phosphate et son cobalt, le Maroc est amené à jouer un rôle central dans l’industrie des batteries pour voitures électriques.
 

Histoire


Une découverte à Jamâa El-Fna
 
C’est en déambulant à la place Jamâa El Fna que Jean Epinat découvre le cobalt en 1928. L’homme d’affaires français installé au Maroc repère dans un étalage une poudre rouge. Il s’agissait d’un produit utilisé comme insecticide et raticide par les Marocains. Jean Epinat comprend vite que cette poudre, c’était des minéraux d’arséniate de cobalt. L’arsénique contenu dans ce composé est un violent poison très efficace contre les nuisibles. Il demande alors au commerçant de le conduire jusqu’à la mine d’où sortait ce produit.

Jean Epinat découvre ainsi la mine de Bou-Azzer, et comprend son potentiel économique. Il fonde la Compagnie de Tifnout Tighanimine (CTT) pour exploiter les divers métaux de cette mine. En 1934, CTT et une autre entreprise de Jean Epinat, Compagnie Générale de Transport et de Tourisme (CGTT) sont réunies dans une seule entité : Omnium Nord-Africain (ONA).

En 1953, la Banque de Paris et des Pays-Bas prend le contrôle de l’ONA. Cela durera jusqu’en 1980, lorsque la famille Royale rachète les participations de la banque. La mine de Bou-Azzer et de Bleida (cuivre) sont alors gérées par le pôle minier de l’ONA.

En 1996, Managem est créée pour exploiter des mines dans et en dehors du territoire marocain. Aujourd’hui, le cobalt représente près de 30% du chiffre d’affaires de Managem, grâce à Bou-Azzer mais aussi à la mine Pumpi en République Démocratique du Congo (en partenariat avec le chinois Wanbao Mining).
 

3 questions à Ismaïl Akalay


« Le cobalt est une ressource rare et la demande ne fera qu’augmenter »
 
Ismaïl Akalay, ancien directeur général des activités minières et industrielles de Managem, répond à nos questions.

- Comment avez-vous procédé pour l’exploration de la mine de Bou-Azzer ?


- Le minerai de cobalt se présente sous forme de boules. Quand on réalise un sondage, il faut avoir une sacrée chance pour tomber dessus. Nous avons donc décidé de faire appel à d’autres procédés et d’investir dans des travaux miniers. Au fur et à mesure de l’avancement des travaux au niveau des galeries, nous découvrions des boules de cobalt. Il faut savoir qu’une seule boule peut garantir l’activité de la mine trois à quatre ans.


- Pourquoi avez-vous lancé l’activité de recyclage de cobalt ?

- Le cobalt est une ressource rare dans le monde et la demande pour ce métal ne fera qu’augmenter les prochaines années. Si nous souhaitons garantir la durabilité de cette ressource, la seule solution est le recyclage. Managem a décidé, dans un premier temps, de recycler les déchets de cobalt déjà travaillés et d’en sortir le reste de cobalt. En janvier de cette année, Managem a franchi une nouvelle étape en annonçant la signature d’un contrat avec Glencore pour le recyclage du cobalt des batteries usagées.


- Comment Managem s’est-elle intéressé au cobalt en République Démocratique du Congo (RDC) ?

- En 2008, du temps où j’exerçais au sein de Managem, nous avions un permis d’exploration minière en RDC. Il fallait encore entamer les travaux géologiques. Pendant huit ans, j’ai travaillé sur le développement de la mine Pumpi avec un gisement de 778.000 tonnes de cuivre et de 148.500 tonnes de cobalt. C’était une très belle réussite! Aujourd’hui, le groupe chinois Wanbao Mining a acquis75% du capital de la mine. Managem possède encore 20% et l’Etat congolais 5%.



Recueillis par S. C.








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