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Rentrée universitaire : De la difficulté d’enseigner à distance


Rédigé par Mounir Zouiten, le Mercredi 16 Septembre 2020

La pandémie de la Covid-19 a bouleversé l’organisation du quotidien de l’humanité. Des relations de travail en entreprise à la vie sociale, en passant par l’enseignement, rien ne sera plus comme avant.



Mounir Zouiten,  ​Professeur de l’enseignement supérieur à l’Université Mohammed V de Rabat
Mounir Zouiten, ​Professeur de l’enseignement supérieur à l’Université Mohammed V de Rabat
Depuis la propagation du Coronavirus en Chine en fin 2019 et la crise atypique qui s’en est suivie, le Maroc vit, à l’instar de beaucoup d’autres pays sur le globe, des bouleversements d’une intensité inédite. Des transformations sont intervenues et ont bousculé les secteurs d’activité économique, le travail, la vie sociale et l’organisation du quotidien.  

Durant la période du confinement qui a débuté à la mi-mars, les cours en présentiel ont été suspendus dans l’ensemble des établissements éducatifs. En mode e-learning, les équipes pédagogiques se sont mises à l’ouvrage pour assurer l’enseignement à distance aux apprenants, élèves et étudiants, sur l’ensemble du territoire. Pour assurer la continuité pédagogique et afin de mettre en marche un enseignement à distance comme alternative circonstancielle à l’enseignement en présentiel, des espaces d’apprentissage virtuels et médiatisés et des outils d’apprentissage hors connexion ont été créés et déployés pour l’usage technologique à distance. 

Le déroulement des apprentissages à distance dans la vie réelle des usagers a montré qu’il est difficile de suivre des cours à partir de son domicile lorsque l’on n’est pas familiarisé avec ce mode de faire et lorsqu’on manque d’autonomie. 

L’accès inégal à l’équipement et à la connexion Internet

Le problème le plus crucial dans ce mode d’enseignement est celui des accès très inégaux à l’équipement et à la connexion Internet au sein des populations estudiantines. Les équipements demeurent encore bien en deçà des attentes. Tous les étudiants ne sont pas logés à la même enseigne face à cette expérience inédite de cours à distance. Une bonne proportion d’entre eux ne dispose pas d’ordinateurs ou de tablettes, ni d’accès à Internet pour tirer parti des ressources disponibles en ligne. C’est une énorme perte d’apprentissage d’un grand nombre d’étudiants précaires. Il y a, par ailleurs, des disparités en matière de couverture ‘’haut débit d’Internet’’ selon le territoire géographique dans lequel se trouvent les étudiants. Les conditions de vie dans les logements exigus, où cohabitent plusieurs personnes, ne sont pas favorables pour suivre des cours à domicile. Cette première dimension de la fracture numérique est cruciale pour permettre aux étudiants de poursuivre leurs apprentissages. Elle creuse davantage d’inégalités parmi eux dans la mesure où certains bénéficient d’une continuité de leur apprentissage quand d’autres en sont privés. Les disparités dans l’appropriation des technologies engendrent, in fine, des inégalités dans la capacité des individus à participer aux divers domaines de la vie sociale, ce qui renforce, en retour, les inégalités sociales initiales.

Le second problème réside dans le manque de maîtrise des outils du numérique par bon nombre d’enseignants pour assurer la continuité pédagogique. L’expérience de la phase du confinement a révélé que tout ne s’est pas déroulé sous de merveilleux auspices. Les enseignants, novices en la matière, se sont montrés désemparés quant à la tâche virtuelle à accomplir. Le peu d’apprentissage sur les supports de cours numériques, acquis auprès de leurs collègues rodés aux outils informatiques, n’a pas suffi à assurer la qualité de l’apprentissage à distance. Le mérite de ces enseignants est d’avoir été au rendez-vous pour ne pas ‘’gâcher la crise’’. Ils se sont formés sur le tas auprès notamment de leurs collègues expérimentés en la matière. Par ailleurs, le ‘’distanciel’’ pour d’autres enseignants est incompatible avec certaines exigences et cultures disciplinaires qui se dispensent sous forme de cours magistraux ou de travaux pratiques, non transposables non plus en ligne.

Souffrance numérique et déficit de formation

Si la crise sanitaire a conduit à de la créativité virtuelle, elle a révélé, en même temps, une souffrance numérique, un manque d’équipements pour une bonne partie des apprenants et à un déficit de formation des enseignants pour l’usage optimal des outils numériques. Les maîtrises individuelles et collectives de ces outils, par les équipes pédagogiques, ont rendu l’enseignement disparate. 

La technologie ne ruisselle pas toute seule vers les apprenants et les foyers. Réussir le défi de la pédagogie à distance suppose donc de résoudre, auparavant, le problème des inégalités de chance pour les apprenants et celui des formations variées des enseignants sur l’usage des NTIC en vue de garantir un apprentissage de qualité. L’élargissement de l’offre technologique dans le milieu d’enseignement s’avère inéluctable pour familiariser les acteurs du champ éducatif avec la numérisation du savoir. Sa maîtrise favorise la transition d’une société de consommation du savoir vers une société qui le produit et le diffuse. Elle oriente l’éducation et la formation vers l’appropriation des techniques modernes intégrées dans tous les parcours scolaires, du primaire à l’université.

Des pistes d’actions doivent être réfléchies et empruntées pour conduire les institutions et les acteurs éducatifs à la culture numérique de tous les apprenants, y compris les plus défavorisés. 

Les nouvelles technologies du numérique devraient être mises à profit pour servir ce dessein. Aussi, la création d’un cadre de gouvernance régulièrement actualisé, efficient, agile, flexible et adapté au secteur est considérée comme vitale. Dotée de moyens technologiques adéquats, l’Université doit mettre en œuvre un processus d’apprentissage en profondeur, en accompagnant la transformation numérique, en élaborant la meilleure combinaison entre le présentiel et le distanciel et en renforçant la formation du corps enseignant en e-learning. 

La formation en pédagogie universitaire devrait être assurée aux enseignants nouvellement recrutés et la formation continue devrait être obligatoire pour les anciens enseignants en vue de garantir la qualité et réduire le décalage entre les générations. L’enseignement à distance ne peut pas être juste considéré comme ‘’une bonne option’’, développée parallèlement au système éducatif existant, il doit en être, au moment où le distanciel et le télétravail se profilent déjà comme la norme, une composante essentielle, incontournable et y être intégré. Il faut arriver, dans un futur proche, à acquérir une ‘’souveraineté pédagogique’’ pour répondre au besoin du service public du numérique de l’enseignement. Au-delà de cette dimension utilitaire pour les enseignements, le numérique est également un milieu propice aux rencontres interculturelles et à des relations interpersonnelles non exclusivement orientées vers les apprentissages. Une meilleure approche des mutations futures dans le domaine de l’éducation serait, à terme, une réelle force motrice pour le développement de l’ensemble des secteurs stratégiques du pays, pour plus de modernisation de l’État et pour la promotion de l’économie nationale et son rayonnement à l’international.

Mounir Zouiten, 
Professeur de l’enseignement supérieur à l’Université Mohammed V de Rabat



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