Selon nos sources au sein de la direction de la Marine marchande, quelques pistes de travail sont déjà envisagées pour concrétiser la vision Royale. Il s’agit prioritairement de dépoussiérer et de mettre à jour le Code de commerce maritime datant de 1919. Ce code est en effet archaïque et n’est plus en phase avec les évolutions du secteur. De plus, un vaste chantier sera lancé pour mettre en place un environnement fiscal et réglementaire plus compétitif. L'immatriculation des bateaux et les autorisations pour exploiter les lignes maritimes seront plus facilement octroyées, tandis que les taxes et impôts pour les entreprises de la marine marchande seront plus avantageux pour les investisseurs.
Dans un autre volet, dans le microcosme maritime national, les spéculations vont bon train sur le lancement effectif d’une compagnie maritime par l’Agence spéciale Tanger Med (TMSA), qui desservirait, entre autres destinations, les ports ouest-africains, à l’image de Dakar et Abidjan.
Le défi pour le Royaume étant de disposer d’une flotte nationale stratégique, cette initiative est bien appréciée par les acteurs si elle se concrétise. Ce qui permettrait d’avoir un véritable géant dans le domaine maritime au Maroc. En effet, il faut rappeler que Tanger Med, première plateforme portuaire sur le continent et en Méditerranée, a déjà pris le contrôle de Marsa Maroc (manutention), et entend se positionner durablement dans la logistique. Ce travail que mène actuellement Tanger Med serait intéressant à observer au regard des évolutions futures attendues dans ce segment.
Mais pour l’heure, outre la relance du pavillon national, se posent les préalables industriels qui accompagneront cette renaissance de la flotte marocaine. Autrement dit, est-ce qu’à l’heure actuelle, il est possible de disposer de cette flotte avec le concours de l’industrie nationale ? Sur ce point, la réponse est simple selon des experts maritimes que nous avons contactés. Le pavillon national va avoir un effet de levier sur le secteur industriel. Il va non seulement permettre de tirer vers le haut les industries de la sidérurgie et de la métallurgie, mais c’est surtout dans le domaine de l’industrie navale que les choses seront appelées à bouger rapidement. En effet, la relance d’une marine marchande nationale est conditionnée par le référentiel des exigences de la convention SOLAS (sauvegarde de la vie humaine en mer), telle que déclinée par l’OMI (Organisation maritime internationale).
Réparation navale
En clair, il s’agit de la mise en place d’un système de visites et de contrôles obligatoires (Résolution A.746 de 1993). Les membres de l’Association internationale des sociétés de classification (IACS), dont le fameux Lloyd's Register, se sont imposés comme dépositaires de la garantie des contrôles. C’est en ce point précis que réside l’implication de la flotte sur l’industrie navale : sans les cachets que ces sociétés apposent régulièrement sur les certificats qu'elles délivrent, les armateurs n'ont aucune chance d’assurer leurs navires à des taux compétitifs. Ce sont ces sociétés qui, après avoir approuvé les plans d'un navire et surveillé sa construction, effectuent régulièrement des visites de contrôle pour s'assurer que son appareil propulsif et sa structure demeurent conformes à leurs prescriptions. « Sur la base d’une flotte de 20 navires de charge, ces contrôles, ainsi que les réparations d’usage, nécessitent la réalisation d’un système de chantiers navals pouvant offrir deux millions d’heures de travail par an (engins de servitudes : dragues, remorqueurs & pilotines) », calcule le professeur Najib Cherfaoui, expert maritime.
En outre, les plus complètes de ces visites, tous les cinq ans, supposent la mise au sec du navire. À cela s’ajoutent les réparations nécessaires au maintien de la « classe » du navire. Le chantier peut durer quatre semaines, mettant en action plusieurs corps de métiers, allant de l’ingénierie navale à l’agencement des pièces, en passant par la maintenance. In fine, la réparation navale est une industrie à forte intensité de main d'œuvre, faisant appel à des compétences spécifiques : soudeur qualifié, électricien, tuyauteur, chaudronnier, échafaudeur, technicien de surface, mécanicien naval, menuisier, peintre caréneur, etc. Relancer la flotte nationale, c’est valoriser l’ensemble des métiers industriels.
3 questions à El Mostafa Fakhir « Le Maroc a acquis suffisamment de maturité »

Comment voyez-vous la relance annoncée du pavillon national et son impact sur l’écosystème maritime ?
- Je crois que Sa Majesté le Roi Mohammed VI a clairement tracé la feuille de route et fixé les déterminants qui devraient être le soubassement de cette relance. Ce qui est demandé à l’ensemble des parties prenantes, ce n’est pas une politique sectorielle, mais plutôt une approche globale intégrée et qui a des projections géopolitiques. Le Maroc est à la veille de grands bouleversements. Notre pays a investi énormément dans le secteur des transports, des infrastructures routières, portuaires et ferroviaires. Aujourd’hui, l’heure est venue de combler un manque qui concernait un segment très important, à savoir le transport maritime. C’est un élément manquant dans la chaîne logistique du Maroc.
- Pensez-vous que le Royaume a suffisamment d’expertise aujourd’hui pour réussir cette relance ?
- Le Maroc a acquis suffisamment de maturité et bénéficie d’une expérience solide qui lui permet de se lancer dans une nouvelle aventure. Le Maroc doit franchir le pas et retrouver son espace maritime. L’expérience a montré que dès que l’on a une ferme volonté d’aller de l’avant, les choses se sont matérialisées. Dès que nous avons un écosystème industriel et l’implication des acteurs publics et privés, on peut avoir cette résurgence du secteur maritime.
Globalement, comment faire fructifier cette nouvelle approche de politique bleue au Maroc ?
- L’économie bleue inspire fortement le Nouveau Modèle de Développement. Cela explique sa pertinence et le fait que cela soit calqué sur le développement des provinces du Sud lui assure sa réussite. D’ailleurs, des institutions financières internationales, à l’image de la Banque Mondiale, consacrent des financements spécifiques pour appuyer l’économie bleue. Nous devons continuer dans cette dynamique, en misant surtout sur le capital humain. Il y a un nouveau champ du possible. Pour nous, professionnels du secteur maritime, la dynamique actuelle constitue une sorte de renaissance.
Industrie navale : Un peu d’Histoire pour comprendre
Aux ateliers existants (Gallinari, Roblin et Lastes, Agosta, Reig), s'ajoutent de nouveaux établissements (Huyghe, Parnaud, Mouran, Giner, Randazio, Cie Générale d'Electricité). De grosses réparations de navires sont entreprises par ces maisons dont l'activité s'accroît encore après la seconde guerre mondiale. Dans le prolongement de cette dynamique, il y a eu en 1954 l’avènement du bassin d’armement et de la cale sèche autour desquels va se greffer la fameuse entreprise « Chantiers et ateliers du Maroc ».
Industrie navale : Les avantages du Maroc !
En 1976, « Étude préliminaire pour l’aménagement des chantiers navals et la détermination des moyens de hissage adaptés aux besoins du port de Casablanca » était restée sans suite. En 1978, une autre étude intitulée « Construction et réparation navales dans les pays du Maghreb - situation et perspectives », précédait celle portant, en 1983, la faisabilité de la réparation navale au Maroc.
Ce sera également le cas pendant plusieurs années par la suite. En 2007, décision a été prise de délocaliser le chantier naval du port de Casablanca, géré par la société « Chantiers et Ateliers du Maroc », qui a récemment été placée en liquidation. Désormais, le cap est mis sur la finalisation du nouveau chantier naval du port de Casablanca, dont on attend officiellement le futur héritier pour assurer la gestion. Selon des informations de presse, ce serait le constructeur français Piriou qui aurait été choisi. Affaire à suivre !