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Réforme du système de formation : Le pourquoi du «NON» catégorique des futurs médecins [INTÉGRAL]


Rédigé par Anass MACHLOUKH Mercredi 24 Janvier 2024

Par manque de visibilité sur leur parcours, les étudiants en médecine continuent de contester la réforme du système de formation. Une réforme mal communiquée. Décryptage.



Manifestation des étudiants en médecine à Rabat. Ph. archives
Manifestation des étudiants en médecine à Rabat. Ph. archives
La colère domine encore les esprits au sein des Facultés de médecine où les étudiants continuent de boycotter les examens en signe de mécontentement et de protestation contre l’accumulation de désagréments qui, jugent-ils, portent atteinte à leur parcours de formation. Depuis le 15 décembre, date de la première mise en garde actée dans un communiqué aux allures d’avertissement, les étudiants multiplient les sit-in au sein de leurs Facultés. En parallèle, nombreux sont les étudiants qui continuent de boycotter les stages dans les établissements hospitaliers en réponse à l’appel de la Commission nationale des étudiants en médecine, médecine dentaire et en pharmacie (CNEMEP).  Cet appel est jugé efficace puisque la quasi-totalité des étudiants (97%) y ont répondu favorablement. 

Bien que les deux ministères de tutelle (Enseignement supérieur et Santé) aient rassuré les étudiants en se disant ouverts au dialogue, les étudiants sont allés jusqu’au Parlement pour manifester publiquement. Ils rejettent en bloc la réforme du système de formation médicale que le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation prépare actuellement dans la discrétion. C’était une occasion de dérouler leur cahier de revendications qui dépasse la réforme. 
 
De nombreux griefs

Contactés par nos soins, plusieurs étudiants se plaignent de la “dégradation” de la qualité de la formation à cause de l'accumulation des difficultés. Ils redoutent l’encombrement de plus en plus visible dans les Facultés dont ils attribuent la cause à la hausse du nombre des étudiants admis en première année. Une hausse assumée par le ministère de tutelle qui veut augmenter le nombre de médecins formés chaque année pour pallier au déficit de ressources humaines, sachant que le Maroc manque actuellement de près de 32.000 médecins. Quand on leur allègue cet argument, les étudiants exigent que la hausse des effectifs soit accompagnée par un investissement plus conséquent dans les équipements et les infrastructures pédagogiques. En plus, ils critiquent sévèrement le manque d’encadrement et le déroulement des stages qui, selon eux, sont devenus lacunaires. 
 
Durée d’études : Le passage à six ans refait débat 

Le plus important pour les étudiants est que le ministère de tutelle revienne sur la réduction de la durée d’études à six ans, laquelle a plongé, surtout les étudiants du troisième cycle, dans l’incertitude. Une décision annoncée dès 2021 et actée dans un arrêté ministériel publié, le 13 mars 2023, dans le Bulletin Officiel. En vigueur dès l’année universitaire 2022-2023, cette mesure n’a pas été appliquée simultanément aux étudiants des 5ème et 6ème années. Ces derniers ont fini leurs études sous le régime de sept ans. Le problème s’est posé pour les promotions suivantes. 

Bien qu'accueillie favorablement par la majeure partie des doyens et des étudiants, cette réduction a fini par devenir suspecte aux yeux des étudiants qui n’ont pas encore une visibilité claire sur leur parcours en ce qui concerne les stages, et leur sort après la fin des études de médecine générale. Pour leur part, le ministère de la Santé et le ministère de l’Enseignement supérieur estiment avoir répondu favorablement à la majorité des revendications des étudiants lors du cycle de réunions qui a eu lieu du 5 au 20 décembre avec les représentants des étudiants. Dans un communiqué conjoint publié le 18 décembre, les deux départements ministériels ont assuré que la réduction de la durée de formation d’un an ne portera nullement atteinte à la valeur et au prestige du diplôme. 
 
Communication défaillante ! 

La colère des étudiants est légitime, juge Allal Amraoui, député du Parti de l’Istiqlal, qui déplore que la réforme, si large soit-elle, soit réduite à la simple question de la durée d’études. Le député estime que cette mesure doit être expliquée et accompagnée d’une vision globale sur la refonte du système de formation. M. Amraoui reproche au ministère de tutelle l’absence de communication qui a fini par soulever des doutes chez les étudiants.

“Personnellement, je comprends cette colère qui s’exprime actuellement parce que les étudiants ont besoin d’avoir une idée assez claire sur l’architecture des nouveaux cursus, la composition des semestres, les nouveaux modules, et l’organisation des stages et de l’encadrement”, explique le député istiqlalien, précisant que “les étudiants ont besoin d’avoir une vision claire sur l’équivalence des diplômes issus de la nouvelle réforme”. Autant d’aspects, selon lui, qu’il faut expliquer avec une pédagogie irréprochable. “Il en va de l’avenir de la réforme qu’il ne faut absolument pas rater tant elle est vitale”, insiste-t-il. 
 
Formation : Nécessité d’une nouvelle gouvernance 

Le député estime que la confusion actuelle est révélatrice d’un problème de gouvernance de la formation dans l’ensemble des disciplines de la Santé. “Les dysfonctionnements ne datent pas d’aujourd’hui”, explique notre interlocuteur qui pense qu’il est temps de mettre fin à la bipolarité entre les ministères de l’Enseignement supérieur et de la Santé dans la gestion de la formation médicale.  “Il est de l’intérêt de tous que la formation des médecins, comme l’enseignement de toutes les sciences de Santé, soit du ressort exclusif du ministère de la Santé en tant que département de tutelle”, exige le député qui plaide pour regrouper l’ensemble que le ministère de la Santé chapeaute la formation dans l’ensemble des sciences de la Santé (voir trois questions). 
 
Ce que l’on sait du nouveau système de formation 

Jusqu’à présent, les contours du nouveau système de formation ne sont pas tout à fait clairs. Les deux départements ministériels continuent d’y mettre leurs dernières touches, à en croire le communiqué du 18 janvier. On en connaît quelques nouveaux détails tels que l’introduction de nouvelles disciplines, dont la télémédecine et la simulation dans les techniques d’apprentissage. A cela s’ajoute une numérisation renforcée des contenus académiques. La tutelle promet d’améliorer l’équipement des Facultés de médecine et de pharmacie à travers le Royaume de l’ensemble des outils didactiques nécessaires. Une enveloppe de 1,7 milliard de dirhams est allouée à cet effet pour subvenir aux besoins durant la période 2022 -2026. Concernant l’encadrement, dont les étudiants sont insatisfaits, les deux départements ministériels concernés disent vouloir améliorer l’encadrement pédagogique en prévoyant d'agrandir davantage le corps professoral avec la création de 1900 postes budgétaires pendant la période susmentionnée. Concernant les stages, une commission hospitalo-universitaire sera créée. Il lui incombera d’accompagner les étudiants aussi bien dans l’encadrement pédagogique que durant les stages pratiques. 
 
 

Trois questions à Allal Amraoui : “Il est temps que la formation en sciences de Santé soit du ressort exclusif du ministère de la Santé”

Allal Amraoui, député du Parti de l’Istiqlal, a répondu à nos questions.
Allal Amraoui, député du Parti de l’Istiqlal, a répondu à nos questions.
  • Peut-on dire que cette réforme a été mal préparée dès le début ?
- La réforme du parcours de formation en médecine est une exigence pédagogique et académique parce que la Santé en général a connu une évolution extraordinaire au niveau international ces dernières années, et la dernière véritable réforme des études médicales date de plus de 40 ans. C’est une composante indissociable de la réforme globale du système de Santé. Or, je trouve que la réforme a été mal engagée dès le début faute d’une communication régulière et transparente. Malheureusement, la réforme, si large soit-elle, a été réduite à la seule question de la durée des études qui demeure, bien évidemment, importante. Le fait de réduire la durée à six ans au lieu de sept ans est une mesure qui va dans le bon sens. Force est de constater qu'elle a été accueillie positivement, il y a deux ans, par l’ensemble des acteurs concernés lors de son annonce. Cependant, jusqu’à présent, il n’y a pas eu de communication sur les grandes lignes de la refonte du système de formation dans son ensemble. Ce retard a été si perturbant qu’il a fini par créer un flou opaque chez les étudiants, surtout ceux qui sont en quatrième et cinquième années, qui manquent de visibilité sur le reste de leur parcours.
 
  • Pourquoi plaidez-vous pour que les études en médecine soient gérées exclusivement par le ministère de la Santé ?
 
Je pense qu’il est temps que la formation en sciences de Santé soit regroupée sous la tutelle et la supervision du ministère de la Santé. Ceci implique que le ministère de l’Enseignement supérieur lui transfère cette compétence dans le cadre d’une nouvelle gouvernance. Cette passation s’impose d’autant plus que le ministère de la Santé est seul en état de superviser correctement la formation des médecins et du personnel médical de façon générale et d’identifier les besoins en termes de formation et d'organisation. En parallèle, il est impératif de revoir en profondeur l’organisation actuelle pour aboutir à un système de formation dans l’ensemble des sciences de la Santé qui soit sous l’autorité d’un seul département ministériel. Il est improductif que les médecins, pharmaciens et dentistes soient formés dans les Facultés de médecine indépendamment des autres métiers de la Santé tels que les infirmiers et autres techniciens de Santé formés dans d’autres établissements qui relèvent d’un autre département ministériel. Cela provoque des dysfonctionnements qui nuisent à l'homogénéité entre les métiers de la Santé dans les établissements hospitaliers. Il est important que le médecin, l’infirmier, l’aide-soignant, l'anesthésiste, l'ingénieur biomédical ou encore les secrétaires médicaux et les spécialistes des nouvelles technologies d'information soient tous issus du même environnement de formation pour qu’il ait une coexistence productive entre eux, plus tard à l’hôpital. C’est pour cela que j’insiste beaucoup sur la création des Universités de sciences de la Santé.  
  • Donc, faut-il aller vers un système unique de formation dans l’ensemble des sciences de Santé ?  
A mon avis, il est temps de regrouper la formation de l’ensemble des disciplines dans un unique système de formation dans les métiers de la Santé, à l’instar du modèle de l’Université Mohammed VI des sciences de la Santé, ou celle d'Abulcasis, et ce, dans le cadre d’une gouvernance régionale où chaque région est dotée de pôles de formation qui évoluent en adéquation avec les futurs groupements sanitaires territoriaux, et qui offriront le terrain de stage approprié.

Durée d’études : Les recommandations du NMD

Le fait de réduire la durée des études de médecine n’est pas problématique en soi, pourvu qu’une telle décision soit intégrée dans une réforme globale. Le ministre de l’Enseignement supérieur, Abdellatif Miraoui, estime que cette décision est une évidence puisque le Maroc est l’un des rares pays, aux côtés de la France, à maintenir une durée de sept ans alors que la majeure partie des pays développés ont opté pour des parcours beaucoup moins longs. Aux Etats-Unis, par exemple, la formation dure 4 ans. Dans son rapport, la Commission spéciale sur le Nouveau Modèle de Développement (NMD) a préconisé d’augmenter les capacités de formation de médecins en renforçant les capacités des CHU et des Facultés (publics et privés), en assurant que l’ensemble des régions du Royaume disposent d’une offre de formation (CHU et Faculté). La réduction de la durée de formation généraliste à six ans est vivement recommandée. Il s’agit d’une des mesures indispensables pour augmenter le nombre de médecins formés annuellement à 3.600. L’objectif est de parvenir à une densité de 4,5 médecins pour 1000 habitants au lieu de 2 pour 1000 actuellement.
 

Restructuration du parcours de formation : Ce que revendiquent les étudiants

Le cahier de doléances des étudiants en médecine est clair. Voté le 4 décembre 2023, il contient une liste exhaustive de revendications issues des conclusions des assemblées générales tenues dans l’ensemble des Facultés de médecine du Maroc. Les étudiants veulent que le diplôme de doctorat, une fois acquis, ouvre la voie à la pratique à la fois dans les secteurs public et  privé. Plus important encore, ils revendiquent une restructuration du 3ème cycle relatif aux études de spécialité et des modalités d’accès. Cela concerne à la fois les statuts de résidanat et d’internat. Les étudiants s’opposent également à effectuer des services civils ou des formations médicales additionnelles après la fin de leur parcours. Ces derniers sont très soucieux de l’image du diplôme marocain à l’étranger. Raison pour laquelle ils réclament l'accélération du processus d’obtention de l'accréditation à l’international.
 
Concernant le résidanat (stage post-doctoral), les étudiants appellent à augmenter le nombre des postes pourvus lors des concours. Une demande justifiée par le fait que deux promotions d’étudiants recevront simultanément leurs diplômes suite au passage à six ans d’études. S’agissant de la période du résidanat, ils appellent à établir un contrat de deux ans, renouvelables si tel est le souhait de la personne concernée. 
 
La question de stage pose énormément de soucis pour les étudiants qui ne cessent de réclamer davantage d’espaces dans les hôpitaux. Les doléances exprimées par les étudiants se montrent très pointues. Ils réclament un statut spécifique à la sixième année fixant les indemnités de stage et les conditions de son déroulement. Durant cette année, ils jugent bénéfique d’organiser cinq stages dans différentes spécialités. Pour ce qui des indemnités, ils revendiquent 3000 dirhams.








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