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Rapport du GIEC : Plus que 3 ans pour sauver la terre !


Rédigé par Oussama ABAOUSS Mardi 12 Avril 2022

Pour comprendre les conclusions du dernier rapport du GIEC, tant au niveau global que local, Pr Fatima Driouech, membre du bureau du GIEC, répond à nos questions.



Publié le 4 avril 2022, le troisième volet du sixième rapport du GIEC complète l’état actualisé des connaissances sur les changements climatiques. Après un premier volet sur les bases scientifiques physiques du phénomène (publié en août dernier), un deuxième volet qui évalue les impacts des changements climatiques (publié en mars dernier), ce troisième volet fournit une évaluation mondiale actualisée des progrès et des engagements en matière d’atténuation du changement climatique, et examine les sources d’émissions mondiales. Pour décrypter ces enjeux au niveau mondial et national, nous avons posé nos questions au Pr Fatima Driouech, membre du bureau du GIEC et vice-présidente du Groupe de travail 1 (GT1).


- Quelles sont, selon vous, les principales conclusions mises à jour par ce troisième volet du sixième rapport d’évaluation du GIEC ?

- Parmi les principales conclusions de ce 3ème volet, on peut citer que le monde n’est manifestement pas sur la bonne voie pour limiter le réchauffement à 1,5 °C comme visé par l’Accord de Paris et ceci en dépit de l’action climatique marquée par une expansion des politiques et des lois traitant de l’atténuation. Le rapport montre également que les émissions nettes de gaz à effet de serre (GES) ont augmenté depuis 2010 dans tous les principaux secteurs à l’échelle mondiale. Une part croissante des émissions est par ailleurs attribuée aux zones urbaines, ce qui illustre leur importance en termes de solutions permettant l’atténuation du changement climatique.

D’autres solutions sont également évaluées et décrites par le rapport qui conclut qu’il existe actuellement des options disponibles (pour chaque secteur) qui peuvent réduire au moins de moitié les émissions d’ici 2030.


- Encore faut-il que les investissements nécessaires pour y arriver soient disponibles…

- Combler les lacunes en matière d’investissements est évidemment un enjeu décisif. Les flux financiers restent, en effet, 3 à 6 fois inférieurs aux niveaux nécessaires pour limiter le réchauffement à moins de 1,5°C ou 2°C d’ici 2030. Cependant, il y a suffisamment de capitaux et de liquidités mondiales pour combler les déficits d’investissement. Soulignons que le défi de combler les écarts est plus grand pour les pays en voie de développement. Les progrès en matière d’alignement des flux financiers vers les objectifs de l’Accord de Paris restent lents.


- Avez-vous participé à l’élaboration de ce troisième volet du sixième rapport ?

- J’ai contribué de façon plus intense au premier volet qui a été publié en août dernier et qui s’est focalisé sur les éléments scientifiques puisqu’il a traité de la compréhension physique la plus récente du système climatique et du changement climatique. Dans ce contexte, ma contribution s’est faite en tant que membre du bureau du GIEC et vice-présidente du Groupe de travail 1 chargé de ce premier volet.


- Le président du GIEC s’est montré optimiste au vu des mesures climatiques qu’il a observées dans divers pays. Pensez-vous que le Maroc fasse partie de ces pays leaders dans l’action climatique ?

- En dépit des efforts qui doivent encore être déployés pour éviter les pires scénarios, il y a eu effectivement des actions au niveau mondial qui ont permis d’éviter des émissions de GES et d’augmenter les investissements dans les technologies et les infrastructures à faibles émissions.

Dans ce contexte, le Maroc fait résolument partie des pays engagés pour lutter contre les changements climatiques à la fois à travers l’adaptation (qui minimise leurs effets) et la réduction des émissions de GES (qui en sont les causes).

La voie empruntée par le Maroc pour atténuer ses émissions de 45,5% d’ici 2030 (en dépit de leur faiblesse comparativement au total mondial) le situe parmi les meilleurs exemples. En effet, le pays est classé 8ème selon l’Indice de Performance en Changement Climatique en 2022 du « Climate Action Tracker ». La tendance du Maroc en matière d’énergies renouvelables est jugée élevée, mais leur part dans la consommation énergétique reste à améliorer.
 
« La tendance du Maroc en matière d’énergies renouvelables est jugée élevée, mais leur part dans la consommation énergétique reste à améliorer. »


- La même source évoque la nécessité d’intensifier les efforts investis dans la transition énergétique. Comment le Maroc peut-il renforcer ses efforts liés à ce chantier ?

- Le rapport du Groupe de Travail 3 a identifié les mécanismes par lesquels les transitions énergétiques futures pourraient se produire plus rapidement que celles du passé. Ces moteurs importants comprennent : le transfert de technologie et la coopération, la politique internationale et le soutien financier, et l’exploitation des synergies entre les technologies dans une perspective de système énergétique durable.

On note par ailleurs le déploiement rapide et la diminution des coûts unitaires des technologies modulaires telles que l’énergie solaire, éolienne et les batteries. La faisabilité politique, économique, sociale et technique des technologies de l’énergie solaire, de l’énergie éolienne et du stockage de l’électricité s’est également considérablement améliorée au cours des dernières années. Tout cela donne des opportunités et des exemples à suivre pour une meilleure transition énergétique au Maroc.

Notre pays doit ainsi tirer profit des moteurs d’accélération de la transition énergétique, y compris au niveau des zones urbaines qui peuvent créer des opportunités pour accroître l’efficacité des ressources et réduire les émissions de GES grâce à la transition systémique de leurs formes et infrastructures. L’usage durable des terres est également un aspect clé dans cette lutte contre le changement climatique.
 
Dans le contexte de l’atténuation, la faisabilité de tout objectif de réduction des émissions dépend de la capacité à promouvoir l’innovation dans les technologies à faible et à zéro carbone.


- Les besoins de réduction des GES et d’efficacité énergétique semblent esquisser les contours du monde de demain. Pensez-vous que la transition vers le modèle idéal/résilient décrit par ce troisième volet puisse se faire dans un temps suffisamment rapide ?

- Le changement climatique est une menace pour le bien-être humain, pour toutes les autres espèces sur Terre, et pour la santé de toute la planète. Tout nouveau retard dans l’action climatique mondiale concertée manquera une fenêtre qui se referme rapidement comme conclu dans les rapports du GT1 et GT2. Le rapport du GT3 montre que les solutions d’atténuation existent et présente les options et stratégies pour réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en rendant les secteurs émetteurs plus durables. Les preuves sont claires et il est temps d’agir pour retrouver un monde normal.


- Comment l’innovation technologique peut-elle jouer un rôle positif dans cette transition climatique nécessaire?

- Dans le contexte de l’atténuation, la faisabilité de tout objectif de réduction des émissions dépend de la capacité à promouvoir l’innovation dans les technologies à faible et à zéro carbone. L’innovation peut, en effet, soutenir les transitions pour limiter le réchauffement…
 
La voie empruntée par le Maroc pour atténuer ses émissions de 45,5% d'ici 2030 (en dépit de leur faiblesse comparativement au total mondial) le situe parmi les meilleurs exemples.


- Voulez-vous bien citer quelques exemples ?

- La mise en oeuvre actuellement généralisée de l’éclairage solaire PV et LED, par exemple, n’aurait pas pu se produire sans innovation technologique qui a également permis le développement de l’énergie éolienne. Les innovations technologiques dans les transports sont derrière l’électrification du secteur et les carburants à faible émission de carbone. L’innovation technologique dans la production biosourcée peut fournir des mesures d’atténuation et d’adaptation via le développement de la bioéconomie.

Un autre exemple, et pas des moindres, est celui de l’innovation dans les technologies de l’information dont les empreintes sont visibles dans divers secteurs comme l’atténuation via une agriculture intelligente face au climat, une meilleure gestion des mobilités ou encore l’efficacité énergétique.


- Qu’en est-il de l’apport de l’innovation dans d’autres domaines, notamment celui des services ?

- L’innovation technologique peut également apporter des moyens nouveaux et améliorés de fourniture des services qui sont essentiels au bien-être humain tout en appuyant la réduction des émissions de GES. Dans tous les cas, il faudra mettre en place les conditions favorisant l’innovation, surtout le financement adéquat de la recherche. Cet enjeu fait par ailleurs face à beaucoup de défis, surtout dans notre continent africain.



Recueillis par Oussama ABAOUSS

Perspective


Une transition climatique confortable est-elle encore possible ?
 
Face à l’ampleur de l’enjeu du réchauffement planétaire et en dépit de ses efforts pour s’engager et entamer une mutation structurelle, rapide, constructive et salvatrice, le Maroc n’est qu’un pays parmi tant d’autres qui ne peut pas à lui seul peser dans la balance climatique. La cascade d’alertes du GIEC et des scientifiques de tous bords décrit des scénarios effrayants qui laissent présager des temps difficiles pour les prochaines décennies.

Ces gongs sonnent depuis bientôt deux décennies, voire plus si l’on prend le temps de remonter à la genèse des premières études environnementales mondiales. Aujourd’hui, alors que vient d’être publié le troisième volet du rapport du GIEC, le mal qui empêche l’humanité d’agir vite et bien est plus clair que jamais. Il s’agit du fameux « déni climatique » dont la métaphore a par ailleurs été merveilleusement illustrée dans le récent film « Don’t Look Up » dans lequel Leonardo Di Caprio joue le premier rôle.

Dans ce contexte qui présage une adversité sans précédent qui s’installe et promet de s’exacerber, est-il encore raisonnable de croire qu’une transition climatique confortable est encore possible ? Le dernier communiqué du GIEC semble en tout cas vouloir maintenir une tonalité positive, rappelant que « la portée de l’action climatique devient de plus en plus tangible » que « les coûts de l’énergie solaire, de l’énergie éolienne et des batteries n’ont cessé de diminuer » ou encore qu’un « arsenal de plus en plus riche de lois et de politiques améliorent le rendement énergétique, réduisent les taux de déboisement et accélèrent la mise en place d’énergies renouvelables ».
 


Proaction


L’humanité dispose de trois ans pour opérer un changement de cap radical
 
S’il fallait décrypter les messages techniques qui émanent du rapport du GIEC pour en formuler le principal sous une forme simple : l’humanité n’a plus que trois ans pour agir afin de conserver un monde «vivable» et aborder une transition climatique plus ou moins confortable. Ce scénario correspond au fameux objectif de limitation du réchauffement à environ 1,5 °C.

Ainsi, le rapport du GIEC précise que la fenêtre pour atteindre cet objectif est en train de se refermer : « Les émissions mondiales de gaz à effet de serre devraient atteindre leur valeur maximale avant 2025, puis diminuer de 43% d’ici à 2030. Pour cela, il faudrait une réduction parallèle d’environ un tiers du méthane ». Jim Skea, coprésident du groupe de travail III du GIEC, souligne par ailleurs que « même si nous y parvenons, nous risquons fort de dépasser temporairement ce plafond de température, mais nous pourrions redescendre au-dessous à la fin siècle ».

Le virage mal entamé ne sera donc pas une manoeuvre dans les règles de l’art, mais peut encore permettre de négocier une transition sans trop de dégâts. « Si nous n’agissons pas aujourd’hui, il sera trop tard : nous ne pourrons plus limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C », poursuit la même source. La température planétaire se stabilisera lorsque les émissions de dioxyde de carbone se seront ramenées à une valeur nette de zéro.

« Pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C, nous devrons donc avoir ramené les émissions mondiales de dioxyde de carbone à la valeur nette de zéro au début des années 2050; pour la limiter à 2 °C, la date butoir se situe au début des années 2070.

Selon cette évaluation, pour limiter le réchauffement à environ 2 °C, les émissions mondiales de gaz à effet de serre doivent aussi atteindre leur valeur maximale avant 2025 au plus tard, puis diminuer d’un quart d’ici à 2030 ». Que l’on puisse rêver de la transition idéale limitée à 1,5 °C ou même vouloir s’accommoder du (moins bien) scénario d’un réchauffement plafonné à 2 °C, il est certain que les trois prochaines années seront décisives.

 








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