Entre les années 1930 et 1970, le bâtiment a été le cœur battant de la Banque Commerciale du Maroc. Dans un quartier en pleine mutation, marqué par la construction de nouveaux immeubles et d’édifices administratifs, il servait à la fois de siège social et de vitrine de modernité. Ses vastes volumes, sa façade épurée et son allure monumentale traduisaient la confiance d’une institution financière qui accompagnait l’essor de la ville.
"Le choix de Boyer, architecte reconnu de l’époque, n’était pas fortuit, car ce dernier est à l’origine de plusieurs réalisations majeures de Casablanca, qui marquent encore le paysage urbain. Avec ses réalisations, il a su trouver un équilibre entre monumentalité et sobriété, donnant au lieu une identité forte sans tomber dans l’ostentation", témoigne l'architecte Rachid Andaloussi, militant culturel et fervent défenseur du patrimoine de Casablanca.
Un chef-d’œuvre de sobriété
Contrairement à d’autres édifices bancaires du début du XXᵉ siècle, souvent influencés par l’éclectisme ou l’ornementation coloniale, le bâtiment Lahrizi se distingue par une écriture architecturale plus contenue. Sa façade, rigoureusement composée, privilégie la clarté des lignes, la régularité des ouvertures et la mise en valeur de la pierre. "Cette esthétique minimaliste annonçait déjà l’évolution vers un langage moderne, adapté à la fonction bancaire et aux impératifs d’efficacité", appuie Karim Rouissi, architecte et président de Casa-Mémoire.
On y retrouve les caractéristiques de ce que les historiens de l’architecture appellent la "seconde génération des banques marocaines". L'allusion est ici faite aux édifices qui, sans renoncer à la monumentalité, assumaient une certaine simplicité formelle et mettaient l’accent sur la solidité, la stabilité et la confiance.
Après plusieurs décennies d’usage et de transformations, l’édifice avait perdu de son charme. L’encrassement des façades, l’évolution des besoins bancaires et les aménagements successifs avaient altéré sa lecture originelle. Consciente de la valeur patrimoniale de ce bâtiment, Attijariwafa Bank, héritière de la Banque Commerciale du Maroc, a décidé de lui redonner son éclat.
En décembre 2021, une vaste opération de réhabilitation a été engagée. La façade a été restaurée avec soin, respectant les matériaux et l’esprit du projet initial. Les travaux ont également concerné l’intérieur, afin de réadapter les espaces aux exigences actuelles tout en préservant la cohérence architecturale de l’ensemble. Cette démarche illustre une tendance croissante à Casablanca : concilier modernisation et sauvegarde du patrimoine.
Plus largement, cette renaissance met en lumière l’importance de préserver les édifices emblématiques du XXᵉ siècle. Alors que nombre d’immeubles modernistes sont menacés par la spéculation ou la dégradation, le cas du bâtiment Lahrizi prouve qu’il est possible de protéger et de valoriser ces témoins de l’histoire récente.
Entre héritage et modernité, le Lahrizi illustre le dilemme auquel Casablanca est confrontée: continuer à se développer tout en sauvegardant ce qui fait son identité. En restaurant cet édifice, la banque qui en est propriétaire a non seulement redonné vie à une architecture emblématique, mais elle a aussi envoyé un signal fort : le patrimoine n’est pas un frein au progrès, il peut en être l’allié.
Discret et majestueux, ce bâtiment reste l’un des jalons essentiels pour comprendre la trajectoire de la ville et mesurer l’apport des grands architectes comme Marius Boyer. Il appartient désormais aux Casablancais de s’approprier ce patrimoine et de le transmettre aux générations futures.
Mécénat : L'engagement entrepreneurial à l'aune de la transmission patrimoniale
Il y a quelques années, Attijariwafa Bank s’est engagée dans la réhabilitation du bâtiment Lahrizi, démontrant sa volonté de préserver son patrimoine architectural tout en l’adaptant aux besoins contemporains. Selon Ouafaa Ghaouat, responsable de la communication de l'entreprise, «chaque intervention a été pensée pour valoriser l’histoire du lieu et restituer sa splendeur d’origine, tout en offrant des espaces fonctionnels pour nos collaborateurs et nos clients».
La banque a mis en place un suivi rigoureux des travaux, coordonnant artisans, architectes et équipes internes afin de garantir le respect des matériaux et des détails historiques. «Nous souhaitons que ce bâtiment ne soit pas seulement restauré, mais qu’il continue de vivre au quotidien, témoignant de l’histoire de Casablanca tout en répondant aux standards modernes», insiste Ouafaa Ghaouat.
Au-delà de la façade, cette institution bancaire a engagé une réflexion globale sur l’aménagement intérieur, alliant ergonomie, confort et efficacité. Pour la chargée de communication de la banque et dudit projet, «il s’agit de créer un environnement où l’histoire et la modernité coexistent, permettant à nos équipes de travailler dans les meilleures conditions tout en respectant l’identité patrimoniale du lieu».
«Cette démarche s’inscrit dans la politique globale de responsabilité sociale et culturelle du groupe, qui met un point d’honneur à préserver les bâtiments emblématiques dont il est propriétaire», entrevoit Ouafaa Ghaouat avant de conclure que «restaurer cet immeuble est un exemple concret de notre engagement à faire vivre le patrimoine architectural de Casablanca et à le transmettre aux générations futures».
Vers l'officialisation d'un porte-étendard architectural
Dans les discours, le Lahrizi apparaît souvent associé à d’autres édifices modernistes casablancais, surtout si l'on sait que certains d’entre eux ont déjà bénéficié d’un classement ou d’une inscription au titre des monuments historiques. Cette association entretient parfois une confusion : parce que ce joyau architectural est qualifié d’«emblématique», beaucoup supposent qu’il figure dans la liste officielle des monuments protégés par la loi 22-80. Or, cette loi encadre strictement la procédure de classement et d’inscription, qui nécessite un arrêté ministériel publié au Bulletin Officiel.
À ce jour, aucune référence claire à un tel arrêté n’a été retrouvée concernant spécifiquement le bâtiment Lahrizi. Les textes disponibles évoquent son intérêt architectural et la valeur symbolique qu’il représente pour la mémoire bancaire du pays, mais sans fournir le numéro d’un acte juridique formel.
L’absence de mention explicite dans les registres officiels ne signifie pas que le bâtiment est laissé à l’abandon. Sa réhabilitation récente, financée et pilotée par son propriétaire institutionnel, prouve au contraire qu’il bénéficie d’une attention particulière. Toutefois, cela ne remplace pas la reconnaissance juridique que confère le classement ou l’inscription. Sans cet ancrage légal, l’édifice reste vulnérable, car rien n’empêcherait, en théorie, de futures modifications lourdes ou même une éventuelle démolition si les pressions immobilières devenaient trop fortes.
La protection juridique est d’autant plus importante que Casablanca connaît depuis plusieurs décennies une tension constante entre modernisation urbaine et sauvegarde de son patrimoine. De nombreux immeubles des années 1920 à 1950, parfois signés par de grands architectes, ont été détruits faute de reconnaissance légale, malgré leur valeur culturelle.
Quoi qu'il en soit, ce porte-étendard d'un grand pan de l'Histoire casablancaise ne laisse quasiment personne sans opinion.
Patrimoine : La valeur de la reconnaissance symbolique
Cette reconnaissance symbolique contribue à protéger le bâtiment dans l’opinion publique. Elle peut également préparer le terrain pour une inscription future, car les autorités patrimoniales prennent souvent en considération la notoriété et l’intérêt manifesté par la société civile.
La question reste donc ouverte : le bâtiment Lahrizi rejoindra-t-il la liste officielle des monuments historiques du Maroc ? Tout dépendra de la volonté des pouvoirs publics, de la mobilisation des acteurs locaux et du plaidoyer des associations patrimoniales. La procédure, bien qu’administrative, est aussi politique : elle engage une vision de la ville et de la place accordée à son histoire.
En attendant, l’exemple de cet immeuble rappelle l’importance de distinguer entre deux niveaux de reconnaissance. D’un côté, il y a la reconnaissance sociale et culturelle, portée par la mémoire collective, les initiatives privées et l’attachement des habitants à un lieu qui fait partie du paysage urbain. Elle se traduit par des récits, des publications ou encore des actions de sensibilisation qui maintiennent le bâtiment vivant dans la conscience publique. De l’autre, il y a la reconnaissance juridique, plus contraignante mais aussi plus efficace, qui seule peut garantir une protection durable face aux aléas du développement urbain, aux pressions foncières ou aux projets de rénovation parfois destructeurs. C’est cette articulation entre mémoire citoyenne et cadre légal qui conditionne, à long terme, la sauvegarde réelle d’un édifice patrimonial.
Classement : 57 bâtiments casablancais sur la liste des monuments historiques
Sur décision de la tutelle, pas moins de 57 bâtiments datant du 20ème siècle, dont 56 appartenant à des propriétaires privés et un affilié à l'Ambassade de Bulgarie au Maroc, figurent désormais sur la liste des monuments historiques de la ville. Publiée dans le dernier numéro du Bulletin Officiel, cette liste fait écho à une demande formulée par la direction générale de l'Agence urbaine de Casablanca.
C'est le cas de Dar America, des immeubles Antoinette, Charles III, Daniel II, Farairre II, Germaine Marie V, Lakhiri, Rosa 2, Rosa 3, Nelly IV, Basciano, Alexandre II, Cécile III, Acropole, Sophie, Princep, Inchallah, Lahlou frère Vaissière, et des villas Mabrouka, Géo Zette, Augustine II, Marie Thérèse, Benchimol, et Charmare et Provincial.
C'est aussi le cas des immeubles Alexandre IV, Bosia Viari, Simaf, la Société immobilière israélite de Casablanca, Angle d’Amade, Libération, Jean Jean, Maisons Banons, Suresnes, Marina, Marguerite, résidence Mirasol, Cazes Junion, Cité du Maréchal Lyautey, Cherifa, Pennaroya III, Le Glay, Linda, Bastieu-Casa, Gattous, Carmella, Joseph Isaac Harrosh, Altairac II, Saint Blaise, Gracieuse II, Normandie, La Roseraie, Dar Andaso et Lapeen, Terrain Pelloux et porte M.30 Bis, ainsi que des villas de Liz, José et Rachelle.
Selon la loi 22.80 sur la conservation des monuments historiques, des sites et des inscriptions d'œuvres d'art et d'antiquités, un bâtiment inscrit ne peut être démoli, même partiellement, sans déclassement préalable. Il ne peut être rétabli ou aménagé ou modifié, même superficiellement, qu'après avoir obtenu une autorisation administrative, et aucune construction nouvelle ne peut être effectuée sans une autorisation délivrée conformément à la réglementation en vigueur. Le permis de bâtir doit être accordé par l'autorité municipale compétente.