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Actu Maroc

Quand le gouvernement ne se donne pas les moyens de ce qu’il prétend

La relance de l’économie n’est pas pour bientôt !


Rédigé par Ahmed NAJI Mardi 28 Juillet 2020

Mohamed Benchaâboun, le ministre des Finances, l’appelle l’équation à six inconnus, ou comment continuer à soutenir les ménages et relancer les activités productives, après la plus grave récession qu’ait connue le Maroc, tout en préservant les fondamentaux macro-économiques.



Mohamed Benchaâboun, ministre de l'Economie, des Finances et de la Réforme de l’administration.
Mohamed Benchaâboun, ministre de l'Economie, des Finances et de la Réforme de l’administration.
Autant la valeur ajoutée agricole que non-agricole ont reculé au cours des six premiers mois de l’année en cours, suite à la pandémie du Sras-Cov2, constate la Direction des Etudes et Prévisions Financières (DEPF) du ministère de l’Economie et des Finances, dans sa dernière note de conjoncture en date de juillet 2020.  

Incertitudes

Le tourisme est le secteur le plus touché, outre l’industrie et le BTP. Les entreprises de télécommunications ont, au contraire, profité d’une conjoncture qui leur était favorable, alors que le secteur non-marchand a pu se montrer résilient. La demande extérieure comme la demande intérieure sont en berne.

La récession est donc là, bien installée, la question qui se pose désormais est surtout de savoir quels sont les ressorts qui pourraient permettre à l’économie de rebondir. Les prémices de réponse ne sont pas favorables, même pour l’année prochaine.

Selon la Banque Mondiale, dans son rapport de suivi de la situation au Maroc, récemment publié, un taux de croissance du PIB du même niveau que ceux enregistrés précédemment n’est pas à attendre avant 2022. Ses projections tablent sur un taux de croissance de 3,8% du PIB en moyenne pour la période allant de 2022 à 2024.

Mais l’institution de Bretton Woods se montre quand même prudemment optimiste concernant l’année 2021, qui pourrait enregistrer un taux de croissance de l’ordre de 3,4%, soulignant un haut degré d’incertitude à ce sujet, toutefois. 

Fragilités

Le ciel doit se montrer plus clément en précipitations pluviométriques que ces deux dernières années, chose pour laquelle on ne peut que prier. Et la demande étrangère, essentiellement celle des pays de l’Union Européenne (UE), premier partenaire commercial du Maroc, se montrer plus dynamique, ce qui est loin d’être évident. 

Malgré le recours massif à la planche à billets de la Banque Centrale Européenne et à l’endettement mutualisé entre l’ensemble des pays de l’UE, au grand dam des épargnants des pays d’Europe du Nord, les flots de liquidités injectés sur les marchés financiers peinent à ruisseler vers l’économie physique.

Le même raisonnement peut être tenu à propos du secteur du tourisme. En l’absence d’un vaccin, dans un avenir prévisible, et face à la menace d’une nouvelle vague d’expansion du virus Sras-Cov2, le volume des visiteurs étrangers ne pourra significativement augmenter qu’une fois la confiance rétablie. 

La loi de finances rectificative a laissé plusieurs experts sur leur faim, simple exercice comptable sans scénarios de potentielle relance des activités économiques. Mais peut-être est-ce que les chiffres de l’économie nationale et des finances publiques sont plus de nature à étourdir qu’à permettre une optimiste projection des actions à mener pour redresser la barre.

Déficits

Une destruction de richesses de l’ordre de 5% du PIB, cela veut dire que les recettes fiscales de l’Etat en seront d’autant amenuisées, de l’ordre de 18,6%. Déjà, à fin juin de l’année en cours, les recettes ordinaires ont baissé de 10,5% par rapport au premier semestre 2019, pour se chiffrer à 108,2 milliards de Dhs. Une dégradation constatée aussi bien concernant les recettes fiscales que non-fiscales. 

Et comme il fallait bien faire face aux dépenses imprévues dues à la crise du Coronavirus, la hausse des dépenses ordinaires a atteint les 7,1%. L’estimation de l’aggravation du déficit du budget est de 7,5% du PIB au terme de cette année. 

Parallèlement, l’Etat est incité à renforcer l’investissement public pour jouer le rôle de locomotive de l’économie. Il a même fini par être admis, par la plupart des économistes et autres experts qui se sont exprimés, que la mise en œuvre d’une politique keynésienne allait de soi, position également défendue par le Haut Commissariat au Plan (HCP). À tort, apparemment. Car, déjà, dans la loi de finances rectificative, c’est une baisse des dépenses publiques d’investissement qui a été actée. La communication du gouvernement n’a pas été très honnête à propos de l’investissement public, lors de la présentation de la loi de finances rectificative. Quand il est dit que l’investissement du budget général a été augmenté de 15 milliards de Dhs pour financer la relance de l’économie, il est omis de préciser que le budget d’investissements des établissements et entreprises publics a été sabré de 28,3%, soit 30 milliards de Dhs, passant ainsi de 101,2 à 72 milliards de Dhs. Il n’est pas mis en lumière, non plus, que celui des collectivités locales a également été réduit de 23%, reculant de 19,5 à 15 milliards de Dhs.

Austérité

Dire que le gouvernement Othmani fait tout pour décevoir est un euphémisme. L’attachement à l’orthodoxie financière est tel qu’il frise l’aveuglement idéologique. Si une réduction des dépenses de fonctionnement de 2,75% est compréhensible, celle des dépenses d’investissement de 8% l’est beaucoup moins. Que signifie l’application d’une politique d’austérité quand le pays est en crise  ? À quoi sert-il d’avoir des comptes publics étincelants quand l’économie étouffe ?

Même si le nouveau modèle de développement n’a pas encore été présenté, ce qui devrait être fait vers la fin de cette année, il est quand même temps d’en voir les grands principes directeurs guider la gouvernance de l’économie. C’est en ce moment de récession et d’incertitudes sur les moyens et perspectives de relance de l’économie que le besoin se fait le plus sentir d’une nouvelle vision globale du développement. 

Persister actuellement sur le même mode de gestion de l’économie que celui qui a mené les plus hautes autorités du pays à en constater l’échec et appeler à la conception d’une autre approche, plus volontariste et inclusive, reviendrait à vicier la crédibilité du nouveau modèle de développement auprès de l’opinion publique nationale. Une thérapie est plus utile au malade quand il est encore terrassé par sa pathologie que lorsqu’il commence déjà à se rétablir grâce à son seul système immunitaire.

Le Maroc escompte se positionner en espace de recours pour les unités de production européennes délocalisées en Chine, dont certaines pourraient être redéployées en raison de la fragilité des longues chaînes d’approvisionnement constatée. Ce n’est sûrement pas une ambiance anxiogène, due à des entrepreneurs désespérés et des pouvoirs publics frileux, qui va renforcer l’attractivité du pays.

Ahmed NAJI 

Repères

Tir ami
A l’issue de sa réunion organisée vendredi 24 juillet, le Bureau Politique du Rassemblement National des Indépendants (RNI) a émis un communiqué dans lequel il a exprimé sa déception quant aux mesures apportées par la Loi de Finances Rectificatives, estimant qu’elles «ne répondent pas aux attentes des acteurs économiques et sociaux». Venant de toute autre formation politique, cette sortie pour le moins inattendue, n’aurait pas prêté à débat si ce n’était qu’elle émane de l’instance centrale d’un parti dont est justement issu le ministre des finances et de l’économie, Mohamed Benchâaboun, sous la direction duquel cette même loi des finances rectificative a été élaborée.
Moins d’argent pour l’éducation
La plus mauvaise surprise de la loi de finances rectificative a été le budget de l’éducation amputé de 5 milliards de Dhs, 1,5 milliard de Dhs au titre des investissements et 3,5 milliards de Dhs à celui du budget de fonctionnement. Cela veut dire que la prise de conscience que sans éducation, point de développement, n’a même pas encore été atteinte par le gouvernement Othmani. Seul le département de la Santé a échappé à l’amputation. Il faut espérer que les investissements vers lesquels les fonds ont été réorientés en valent le sacrifice. 
Recul des devises en réserve
4,1 mois d’importations, c’est vers ce niveau que devra reculer le volume des devises en réserve à Bank Al Maghrib pour cette année 2020. La raison en est le recul des recettes des exportations, touristiques, des entrées de capitaux et des transferts de fonds, tendances qui se sont traduites par une aggravation du déficit du compte courant, qui passe de 4,1% du PIB en 2019 à 8,4% en 2020. La baisse des cours du baril de pétrole n’a pas grand effet sur cette dégradation. Une amélioration est prévue à partir de 2021.