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Protection des infrastructures : Comment le Maroc doit-il se préparer à la guerre hybride ?


Rédigé par Nizar DERDABI Mercredi 26 Octobre 2022

Au cours de ces derniers mois, les évènements en Ukraine ont démontré que la guerre hybride prend de plus en plus d’importance dans les conflits modernes. Le Maroc doit se prémunir contre ce type de menaces sur ses infrastructures vitales.



La guerre en Ukraine est graduellement en train de prendre une nouvelle tournure. Sur les chaînes d’information, les images de drones et pièces d’artillerie qui bombardent les troupes ennemies ont laissé la place à celles de gaz naturel s’échappant de la mer Baltique suite à l’explosion de gazoducs ou à celles de l’incendie d’une partie du pont de Crimée causée probablement par un camion piégé.

On assiste également à une évolution dans le choix des cibles visées par les deux camps. L’effort est de plus en plus concentré sur les infrastructures énergétiques pour affaiblir l’adversaire, quitte à laisser les troupes adverses grignoter encore plus de terrain, comme l’indiquent les dernières attaques russes sur les centrales électriques ukrainiennes. Alors même que l’hiver qui approche augure d’un enlisement du conflit, aussi bien Moscou que Kiev ont décidé d’avoir recours aux méthodes de la guerre hybride, qui risquent de marquer les conflits futurs de manière bien plus prononcée.

Des opérations de sabotage aux répercussions dévastatrices

Eprouvés par des mois de conflit armé qui ont causé de lourdes pertes humaines et l’épuisement des stocks d’armes et de munitions, les chefs militaires russes et ukrainiens ont dû changer leur fusil d’épaule et faire évoluer leurs stratégies. Dans cette guerre larvée, aux multiples intervenants, le théâtre du conflit peut rapidement se déplacer du terrain militaire au champ économique.

Alors que les pays de l’Union Européenne (UE) cherchent désespérément à s’approvisionner en gaz, les gazoducs Nord Stream 1 et 2 ont été sabotés, coupant définitivement leur approvisionnement en gaz russe. L’Europe doit désormais apprendre à composer sans son principal fournisseur de gaz. C’est donc la sécurité énergétique de l’UE qui est mise en danger par cet acte.

De ce fait, l’impact de cette attaque non conventionnelle est beaucoup plus dévastateur que n’importe quelle autre attaque par le biais d’armes conventionnelles. L’attaque du pont de Crimée, dont le mode opératoire s‘approche de celui d’un attentat terroriste, visait lui aussi le même objectif pour les Ukrainiens : couper définitivement la Crimée du reste de la Russie afin de l’isoler politiquement, économiquement mais aussi militairement.

Enfin, le dernier incident en date a vu le trafic ferroviaire paralysé plusieurs heures dans le Nord de l’Allemagne après un sabotage des lignes de chemin de fer. Et toutes ces attaques ont un dénominateur commun : des opérations clandestines exécutées de manière coordonnée et délibérée qui portent la signature de services spéciaux, parfaitement entraînés pour de pareilles missions. Les attaques successives sur des infrastructures stratégiques marquent l’entrée dans une nouvelle ère. L’ère de la guerre hybride par excellence.

Guerre hybride : attaquer l’ennemi sur tous les fronts

Selon Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI), dans son livre « Guerres invisibles » (2021), une guerre hybride s’appuie sur une «intimidation stratégique de la part d’États disposant d’armes de destruction massive, des opérations interarmées impliquant aussi des unités spéciales et des mercenaires, et des manoeuvres de désinformation à grande échelle». Cela revient donc à attaquer l’ennemi sur tous les fronts, afin que son système de défense soit rapidement saturé.

Actuellement, les belligérants ont recours à une multitude de leviers immatériels pour attaquer ou déstabiliser l’adversaire : cyber-attaques, guerre informationnelle et instrumentalisation des opinions publiques, ainsi que des pressions économiques qui font appel à des acteurs non étatiques et aux technologies de l’information. Ou bien des opérations clandestines conduites par des forces spéciales pour mener des attaques contre des infrastructures stratégiques ou des Opérateurs d’Importance Vitale (OIV), indispensables au bon fonctionnement et à la survie des nations tels que des centrales électriques thermiques ou nucléaires, des oléoducs, des hubs routiers ou aériens, des institutions bancaires ou encore des administrations étatiques.

D’autres types d’attaques peuvent se produire dans des « zones grises » telles que les eaux internationales ou les zones économiques exclusives visant principalement des câbles sous-marins d’Internet ou dans l’espace avec pour objectif de couper les liaisons satellitaires et les systèmes de communication.

Les attaques menées dans ces zones grises, appelées aussi opérations « sous le seuil », permettent à l’assaillant de rester d’avance caché et rendent presque impossible son identification par l’absence de preuves matérielles. Ainsi, les opérations de guerre hybride qui restent en deçà du seuil à partir duquel elles pourraient être considérées comme des agressions militaires sont moins risquées et produisent souvent plus d’effets que des opérations armées conventionnelles. Bien que ce concept de guerre hybride soit assez récent (théorisé pour la 1ère fois en 2005 par 2 officiers américains), les stratèges militaires ont de tous temps essayé de remporter la victoire par tous les moyens. Le stratège chinois Sun Tzu ne disait-il pas que « l’art suprême de la guerre, c’est de soumettre l’ennemi sans combattre » ?

Quelles menaces pour le Maroc ?

Le Maroc n’est pas à l’abri de telles attaques. Depuis que le Polisario a décrété la rupture unilatérale du cessez-le-feu depuis le 13 novembre 2020, les milices séparatistes ne cessent de manifester des intentions bellicistes contre les intérêts du Royaume, allant même jusqu’à menacer de commettre des attentats terroristes dans les villes de Laâyoune et Dakhla. Cette menace, qui vise à porter des attaques terroristes contre des “entreprises et consulats, compagnies aériennes et autres secteurs”, s’apparente aussi bien à du terrorisme qu’à des opérations de la guerre hybride qui visent ouvertement à porter atteinte aux intérêts économiques du Maroc.

D’ailleurs, le blocage du passage de Guerguerat par les milices du Polisario en octobre 2020 peut être considéré comme « un acte délibéré de guerre hybride visant à interrompre les flux commerciaux entre le Maroc et la Mauritanie », d’après Emmanuel Dupuy, Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). Mais la menace ne s’arrête pas là. Un certain nombre d’infrastructures stratégiques pourraient tout aussi bien être visées par des opérations de sabotage et doivent déjà bénéficier d’une protection renforcée de la part des forces armées ou des services de sécurité du Royaume.

Une attaque contre la centrale électrique de Jorf Lasfar, par exemple, pourrait priver d’électricité et paralyser toute l’activité économique d’une grande partie du Royaume. Alors qu’une opération de sabotage visant le port de Tanger Med serait tout aussi préjudiciable en termes d’image et de pertes économiques pour le Royaume. La menace de cyber-attaques contre les OIV est aussi omniprésente et constitue le souci permanent de la Direction Générale de la Sécurité des Systèmes d’Information (DGSSI) qui doit constamment renforcer ses capacités de cyberdéfense pour accompagner les avancées technologiques dans le champ cyber.

La stratégie de défense du Royaume contre les menaces hybrides va nécessairement bénéficier d’un intérêt particulier dans les années à venir afin de protéger des infrastructures stratégiques qui seront développées telles que le futur gazoduc Nigeria-Maroc, le projet X-Links de câble électrique sous-marin reliant le Maroc au Royaume-Uni, ainsi que les futures plateformes offshores d’exploitation de pétrole et de gaz au large de Larache et d’Agadir.

Pour assurer la protection de ces futurs projets qui seront situés dans la zone grise de la ZEE du Royaume, la Marine Royale aura la lourde tâche de mettre en oeuvre des moyens de surveillance sous-marine et de surface de dernière technologie et d’accentuer les patrouilles maritimes afin de relever ce défi.



Nizar DERDABI

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Protection des infrastructures : Comment le Maroc doit-il se préparer à la guerre hybride ?

Forces navales


Les drones, avenir du combat en mer
 
Le corps des forces de Marine sera appelé à effectuer la mission la plus délicate dans la prochaine décennie pour la surveillance des infrastructures stratégiques telles que les câbles sous-marins (électrique ou internet) ou les gazoducs et oléoducs en dessous de la surface de la mer. Etant donné l’étendue très vaste des espaces sous-marins à surveiller et le coût élevé des moyens mis en oeuvre (sous-marins et navires de surveillance), il est nécessaire d’investir dans les technologies de drones sous-marins et de surface.

Pierre-Eric Pommellet, patron de Naval Group, leader européen du naval de défense, vient de déclarer le 17 octobre 2022 que « les drones sont l’avenir du combat en mer ». Plusieurs modèles de drones au profit des forces navales sont d’ailleurs exposés actuellement au salon Euronaval au Bourget.

Ces modèles de drones sous-marins vont certainement se généraliser dans toutes les forces navales à travers le monde, car ils permettront aux armées dépourvues de sous-marins de guerre de combler ce retard à moindre frais et dans un délai beaucoup plus court.
 

3 questions à Emmanuel Dupuy, Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE)


«Pour pouvoir se défendre face à ces menaces hybrides, il faut d’abord les identifier et les évaluer»
 
- Les attaques récentes contre des infrastructures stratégiques se multiplient en Europe. Pourquoi le recours à de telles méthodes ?

- Il n’y a rien de nouveau dans ces méthodes. Lors de l’offensive russe en Géorgie en 2008 déjà, qui s’était soldée par la perte de l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud en faveur de Moscou, la Russie avait déjà eu recours à une attaque contre l’oléoduc BTC qui traverse l’Azerbaïdjan, la Géorgie et la Turquie. Dans les guerres modernes, la guerre hybride ou guerre hors limites, qui est définie comme la guerre par d’autres moyens non conventionnels, a toujours été une réalité doctrinaire.

Désormais, elle s’applique de manière plus incarnée, plus offensive dans ce conflit. Il y a la guerre cinétique, qui fait appel à des opérations militaires, et il y a la guerre hybride, immatérielle qui vise à détruire des infrastructures vitales des pays adverses. Cela peut être le cas des gazoducs Nord Stream 1 et 2, des câbles sous-marins, ou des cyber-attaques ou bien des attaques visant des satellites. Et la Russie dispose de ces capacités-là.


- Comment les Etats peuvent-ils se prémunir contre de telles attaques ?

- Pour pouvoir se défendre face à ces menaces, il faut d’abord les identifier et les évaluer. Et la meilleure façon est d’avoir une vision stratégique pour l’anticipation des menaces à travers des livres blancs, comme la France en a réalisé en 2008 et 2013 avant de publier la revue stratégique de 2017. Ce type de document stratégique, comme la boussole stratégique de l’UE de 2022, permettent de fixer les objectifs en matière de défense face aux menaces identifiées.

A travers une vision de prospective stratégique, ces documents permettent aux Etats de concevoir les menaces possibles et d’envisager les moyens d’y faire face. On est dans une phase de rupture technologique qui est à la fois une source d’opportunités mais aussi une réalité liée à nos vulnérabilités. Et que pour y faire face, nous devons construire des partenariats au niveau régional mais aussi à travers les relations entre les deux rives de la Méditerranée. C’est le cas du partenariat stratégique entre la France et le Maroc en matière de lutte antiterroriste et d’anticipation des menaces sur nos deux territoires.


- Le Maroc peut-il être la cible de pareilles attaques dans le contexte du conflit avec le Polisario et la crise avec l’Algérie ?

- Déjà, on peut dire que ça s’est déjà produit. Quand il y a eu l’attaque contre le point de passage de Guerguerat, en novembre 2020, qui est un hub routier, on peut dire concrètement qu’il s’agissait d’une opération destinée à interrompre les flux commerciaux entre le Maroc et la Mauritanie.

Après, quand le Polisario annonce son intention de s’en prendre à la ZEE des provinces du Sud (on peut imaginer qu’il s’agit d’infrastructures portuaires), les cibles des attaques peuvent être des infrastructures vitales pour le Maroc, car on sait que la pêche constitue 2,3 % de son PIB. On peut à l’avenir penser que des infrastructures touristiques, qui contribuent à 12% environ du PIB marocain, pourraient être la cible d’attaques directes ou indirectes de la part du Polisario. Ensuite, concernant les menaces d’attaque par drone, rien ne prouve que le Polisario dispose de ce type de matériel ou que l’Algérie a intérêt à les lui procurer.



Recueillis par N. D.
 








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