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Programme d’Ajustement Structurel : Les révélations inédites d’Abdellatif Jouahri


Rédigé par Anass Machloukh Lundi 4 Septembre 2023

Dans un podcast du FMI, le gouverneur de Bank Al-Maghrib est revenu, avec le franc-parler qui le caractérise, sur l’épreuve douloureuse de l’ajustement structurel en révélant des détails inédits.




Il ne fait aucun doute que le gouverneur de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, s’est forgé une réputation au niveau international au fil d’une longue expérience au sommet de la finance marocaine. Raison pour laquelle personne n’a été étonné qu’il soit désigné parmi les meilleurs banquiers centraux au monde par le magazine Global Finance (voir repère). Fin connaisseur des subtilités de l’économie nationale et des marchés financiers qu’il connaît si bien, Jouahri a, au cours de son long parcours qui continue jusqu’à aujourd’hui, dû gérer l’économie nationale à la tête du ministère de l’Economie et de Finances dans les années 80 dans une conjoncture ultra difficile.

Jamais un argentier du Royaume n’a eu une mission aussi ardue que celle qu’Abdellatif Jouahri a dû mener lors de la crise liée à l’ajustement structurel qui avait plongé le Maroc dans une période mouvementée où le gouvernement de l’époque a été forcé de prendre des mesures difficiles et surtout douloureuses. Cette période a beaucoup marqué l’actuel patron de la Banque centrale qui a en parlé à cœur ouvert à Taline Koranchelian, directrice adjointe du Département Moyen-Orient et Asie centrale du FMI, dans un podcast publié sur le site de l’instance financière. Avec un ton serein qui reflète le poids des souvenirs, Jouahri s’est épanché librement sur la bataille qu’il a livrée pour mettre le Royaume sur les rails de l’ajustement structurel. Ce fut le premier choc libéral d’un pays habitué aux plans quinquennaux.

Sauver le bateau ivre !

Selon lui, il n’y a eu d’autres solutions que de s’engager dans la voie des réformes dans un contexte marqué par le deuxième choc pétrolier de 1979, la baisse des prix des phosphates et une inflation internationale très forte. Un cauchemar pour un pays en développement.  Imposer des réformes libérales dans un pays comme le Maroc dans une telle époque ne fut pas une tâche aisée tant les oppositions furent fortes. « Dès mon arrivée aux finances, je voyais déjà les fragilités auxquelles on allait faire face », a expliqué le patron de Bank Al-Maghrib (BAM) qui était à l’époque membre d’un gouvernement très politique qu’il avait eu du mal à convaincre quant à la stratégie à adopter pour la sortie de crise.  D’ailleurs, il l’a fait savoir. « J’ai commencé à tâter le terrain et je me suis aperçu qu’il y avait une certaine réticence à me suivre dans les solutions douloureuses auxquelles j’appelais », a confié l’ex-ministre, qui s’est réjoui que le temps lui ait donné raison.

L’époque de la tornade

Début 1983, la situation fut critique. Jouahri est revenu sur le souvenir d’une réunion avec le Vice-gouverneur de la Banque centrale qui fut restée gravée dans sa mémoire où il eut appris que le Royaume fut à court de réserves de changes. Sous le choc d’une situation qui lui fut inédite, Jouahri a demandé une audience auprès de SM le Roi, feu Hassan II, pour annoncer la nouvelle au Souverain. Une rencontre dont il se souvient des détails les plus pointus. « Je me rappelle que j’étais reçu par le Roi. En chemisette, assis, derrière lui une fenêtre en fer forgé, il m’a dit de dire ce qui se passe. Je lui ai dit que nous n’avions plus de devises », raconte Jouahri qui a confessé au Souverain que cette situation lui fut tout à fait nouvelle lorsqu’il lui a demandé ce qu’il propose pour en sortir. 

Jouahri a obtenu 48 heures pour entamer des discussions avec le Fonds Monétaire International à Washington. C’est là qu’il eut découvert le Programme d’Ajustement Structurel, le club de Londres et celui de Paris. Après son retour, Jouahri a proposé au Souverain une Loi des Finances rectificative diminuant les dépenses, surtout dans les secteurs jugés budgétivores. Cela a été décidé ensuite en Conseil des Ministres durant lequel le Souverain a fait apprendre au reste des membres du gouvernement la situation sans manquer de leur donner le choix s’ils souhaitent monter à bord du train de la réforme ou partir. La réponse fut unanime de la part de l’Exécutif qui a fait part de sa détermination à rester soudé derrière le Souverain. 

Abdellatif Jouahri a reconnu que le FMI a fait preuve de flexibilité dans les négociations avec le Maroc qui avait, selon lui, pu respecter à 95% les engagements qu’il avait pris.

Le FMI a évolué !

Bien que l’épreuve de l’ajustement structurel ait été difficile pour le Maroc qui a fait beaucoup de concessions pour obtenir les financements nécessaires à sa survie économique, Jouahri considère que le FMI a beaucoup évolué sachant qu’on lui reprochait souvent son approche dogmatique qui ne prenait pas en considération les spécificités des pays auxquels il accordait des prêts. « Dans les années 80, il y avait des sujets tabous que le FMI n’abordait jamais tels que la transparence, la redistribution des richesses et les aides ciblées. Maintenant, ça commence à évoluer autrement », a-t-il souligné.

Le patron de Bank Al-Maghrib est convaincu que le Fonds a connu des évolutions telles qu’il ne correspond plus à l’image qu’en avaient les pays en voie de développement. « Le Fonds était perçu par les populations comme étant celui qui imposait ses diktats et qui représentait les intérêts des pays développés », a-t-il conclu à ce sujet.

Dans sa relation avec l’instance de Bretton Woods, le Royaume a su, selon les confidences de Jouahri, gérer ses négociations avec intelligence.  Raison pour laquelle il a obtenu des prêts importants comme la ligne de précaution en 2012 et 2020 et la ligne modulable en 2023. Concernant le futur, Jouahri a estimé que nous entrons actuellement dans une nouvelle ère où il faut changer de perspective, voir même de paradigme, au moment où les défis posés par la numérisation et les crises géopolitiques s’accumulent. Il en a cité la monnaie numérique sur laquelle Bank Al-Maghrib mène une réflexion approfondie.

Par ailleurs, la relation entre le Maroc et les institutions de Bretton Woods sont tellement excellentes que le Royaume a été choisi pour abriter les assemblées annules du FMI et la Banque Mondiale. Des assemblées qui auront lieu à Marrakech. A ce sujet, il a plaidé pour le maintien du multilatéralisme dans la gestion du développement. « Il faut préserver le multilatéralisme mais dans une autre forme », a-t-il conclu.   

Encadré

Libéralisation du taux des changes : Le FMI comprend les réserves du Maroc

Cela fait des années qu’on parle d’une possible libéralisation du régime de changes au Maroc. Jusqu’à présent, la Banque centrale se montre réticente. Pour sa part, le FMI semble compréhensif bien qu’il plaide toujours pour cette réforme comme il l’a fait avec d’autres pays de la région comme l’Egypte par exemple. Si le Maroc affiche autant de précaution, c’est parce qu’il est encore tôt de s’attaquer au taux de changes qui reste, à présent, appuyé largement sur le dollar et l’euro. Deuxième raison évoquée par Jouahri : les acteurs économiques ne sont pas encore prêts. « Au titre de l’article IV, le FMI m’a souvent dit que les prérequis sont là, qu’il y a une fenêtre pour passer à la deuxième étape. Mais j’ai dit attention, nous avons les prérequis mais les opérateurs ne me semblent pas assez préparés », a-t-il lâché, ajoutant que le FMI a appelé le Maroc à libéraliser son taux de change à deux reprises avant d’abandonner, ne serait-ce que temporairement, cette exigence.

Abdellatif Jouahri a salué, en abordant ce sujet, la compréhension du FMI qui, selon lui, s’est montré sensible à l’argumentaire du Royaume. « Là, il n’y a pas cet esprit dogmatique dont on taxe souvent le FMI », a-t-il insisté, précisant que le Maroc et l’institution financière parviennent à avancer intelligemment dans les réformes sensibles.

Rappelons que le patron de BAM a d’ores et déjà parlé publiquement de ce dossier, il y a quelques mois, précisément le 17 octobre 2022. Dans une interview accordée à Sky News, il a clairement affirmé que le Maroc a refusé d’entamer la deuxième phase de libéralisation du régime de change.








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