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Pollution sonore au Maroc : Le remue-ménage sourd d’un bruit qui court toujours


Rédigé par Oussama ABAOUSS Mardi 28 Décembre 2021

La pollution sonore des villes marocaines est le résultat d’attitudes inciviques conjuguées à l’absence de normes acoustiques rigoureuses et à l’inefficience de la réglementation en vigueur.



C’est un mal qui ronge insidieusement les grandes agglomérations du Royaume, et, parfois, se matérialise également dans les petites villes et bourgades censées être plus paisibles. Tapages, concerts de klaxons, bruits de chantiers, nuisances sonores d’artisans installés dans des quartiers résidentiels…

Autant de manifestations différentes d’un tintamarre, parfois prolongé, souvent épouvantable pour ceux qui sont obligés de le subir au quotidien. « Nous avons emménagé dans notre nouvel appartement de moyen standing au début de l’année. Au bout de quelques jours, nous avons tous déchanté. Notre immeuble est situé en face d’une ruelle à travers laquelle passent les voitures de parents qui viennent récupérer leurs enfants à l’école d’en face. Comme la ruelle est exiguë et que certains s’arrêtent en deuxième position en bloquant le passage, nous sommes obligés de subir plusieurs fois par jour les klaxons des voitures qui se retrouvent bloquées », confie Amina, nouvelle résidente dans le quartier Hassan de Rabat.

Ce que dit la loi

Pourtant, la loi 11-03, promulguée par le dahir n°1-03-59 du 12 mai 2003 relative à la protection et à la mise en valeur de l’environnement, stipule clairement dans son article 47 : «Les bruits et les vibrations sonores, quelles qu’en soient l’origine et la nature, susceptibles de causer une gêne pour le voisinage, de nuire à la santé de l’homme ou de porter atteinte à l’environnement en général, notamment lors de l’exercice des activités de production, de services, de mise en marche de machines et de matériels et d’utilisation d’alarmes et des haut-parleurs, doivent être supprimés ou réduits conformément aux dispositions législatives et réglementaires prises en application de la présente loi ».

D’un autre côté, le code pénal marocain stipule, dans son chapitre sur les contraventions relatives à l’ordre et à la sécurité publique, que « les auteurs de bruits, tapages ou attroupements injurieux ou nocturnes troublant la tranquillité des habitants » sont punis d’une amende de 10 à 120 dirhams.

Un arsenal incomplet

L’existence de ces textes n’a cependant pas permis à Amina de trouver une solution légale à son problème. « Nous avons déposé une plainte, mais c’est impossible d’appliquer ces lois sur des personnes de passage d’autant plus qu’il s’agit plus d’un manque flagrant de civisme. Autant pour les parents qui se permettent de bloquer la voix pendant quelques minutes pour éviter de stationner plus loin, que pour ceux qui, dépités, manifestent leur mécontentement en dérangeant tout le quartier », déplore notre interlocutrice qui, au final, a trouvé un semblant de solution dans l’installation de double vitrage à ses fenêtres.

Pour elle, le cadre juridique relatif à la pollution sonore est aussi peu contraignant qu’incomplet. L’article 47 de la loi 11- 03, citée plus haut, ajoute : « Ces dispositions fixent les valeurs-limites sonores admises, les cas et les conditions où toute vibration ou bruit est interdit ainsi que les systèmes de mesure et les moyens de contrôle ». Cela dit, il est impossible de trouver les fameuses « valeurs-limites sonores » évoquées dans le texte.

Un nouveau texte dans le pipe ?

Cette absence de normes marocaines claires est également constatée dans le domaine de l’isolation acoustique des bâtiments. En 2017 (puis en 2018), le ministère de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Politique de la Ville avait annoncé avoir confié la réalisation d’une étude et la proposition d’une réglementation acoustique des bâtiments résidentiels au Laboratoire Public d’Essais et d’Etudes (LPEE), en collaboration étroite avec le Centre Scientifique et Technique des Constructions (CSTC).

À l’époque, il a même été question de l’entrée dans le circuit d’adoption d’un texte visant à améliorer le confort acoustique dans les bâtiments résidentiels en imposant des exigences acoustiques minimales à atteindre en termes de performances dans les logements économiques et de standing.

Aujourd’hui, les connaisseurs pointent toujours le vide légal dans ce domaine où les constructeurs, qui souhaitent garantir un bon niveau d’isolation phonique, sont réduits à s’aligner sur les normes françaises en vigueur.


Oussama ABAOUSS 

Repères

Impact environnemental sonore
Les Etudes d’Impact sur l’Environnement permettent d’évaluer, a priori, les répercussions des projets d’investissement sur l’environnement en vue de prévoir les mesures nécessaires pour supprimer, atténuer ou compenser les impacts négatifs et améliorer les effets positifs du projet. Les nuisances sonores font partie des impacts négatifs qui doivent être couverts par les études d’impact sur l’environnement. Les maîtres d’ouvrage sont par ailleurs tenus de définir les moyens d’en atténuer l’impact et l’intensité.

Santé et pollution sonore
Selon les spécialistes, les nuisances sonores seraient à l’origine d’une quantité de problèmes de santé : insomnies, dépression, hypertension artérielle, diabète et même infarctus. Ce lien de cause à effet s’explique par la réaction physiologique du corps humain aux bruits incommodants. L’exposition à une source de nuisance sonore met le corps en état d’alerte : le cerveau déclenche la sécrétion d’hormones du stress, le coeur bat plus vite, la pression sanguine augmente et la respiration s’accélère.

L'info...Graphie

Pollution sonore au Maroc : Le remue-ménage sourd d’un bruit qui court toujours

Monde


L’OMS appelle à la réduction de l’exposition aux nuisances sonores
 
Depuis ses premiers travaux sur le bruit en 1980, l’OMS a mené trois vagues d’études afin d’élaborer des valeurs guides visant à préserver la santé, la qualité de vie et de bien-être des citoyens, en tenant compte des groupes vulnérables. Les premières valeurs-guides ont été proposées en 1999.

Dans un second temps, les valeurs établies en 2009 ont défini les seuils de bruits ne comportant pas d’effets nocifs sur la santé. Les lignes directrices de l’OMS établies en 2018 se distinguent en proposant des recommandations en fonction des différentes sources du bruit, tournant le dos à l’idée d’adopter des valeurs-guides applicables en toute circonstance.

L’OMS recommande par ailleurs que les décisions politiques et les règlements tiennent compte de trois principes directeurs : la réduction de l’exposition tout en conservant les milieux calmes, la promotion des interventions de réduction de l’exposition et d’amélioration de la santé, et l’implication et information des communautés affectées par le bruit.
 

Code du travail

 
La protection des travailleurs contre les dangers des nuisances sonores
 
Si à ce jour, les normes acoustiques dans le bâtiment et les valeurs-limites sonores ne sont pas encore très explicites au niveau réglementaire, le code du travail marocain semble pour sa part bien plus précis concernant les nuisances sonores auxquelles peuvent être exposés les travailleurs.

La section 3 (du chapitre 3) de l’Arrêté du ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle n°93-08 du 12 mai 2008, fixant les mesures d’application générales et particulières relatives aux principes énoncés par les articles de 281 à 291 du code du travail, stipule que « l’employeur est tenu de prendre les dispositions nécessaires pour réduire le bruit au niveau le plus bas compatible avec l’état de santé des salariés, notamment en ce qui concerne la protection du sens et de l’ouïe ».

À cet égard, « l’employeur doit procéder à un mesurage du bruit subi pendant le travail, de façon à identifier les salariés pour lesquels l’exposition sonore quotidienne atteint ou dépasse 85 dB ou pour lesquels la pression acoustique de crête atteint ou dépasse le niveau de 135 dB ».

Le résultat du mesurage doit être consigné dans un document établi par l’employeur et soumis pour avis au comité d’hygiène et de sécurité ou, à défaut, aux représentants syndicaux, aux délégués des salariés, ainsi qu’au médecin du travail. Dans ce cas de figure, l’employeur doit veiller à mettre à la disposition des salariés des protecteurs individuels et prendre toutes les dispositions pour que ces protecteurs soient utilisés.
 

L’info...Graphie 3 question à Youness Kerrad, expert en isolation phonique

Pollution sonore au Maroc : Le remue-ménage sourd d’un bruit qui court toujours

« Une mauvaise isolation acoustique dans une habitation peut avoir des retombées néfastes sur la qualité de vie »
 
Fondateur d’une société spécialisée dans l’isolation phonique au Maroc, Youness Kerrad, physicien et expert en isolation phonique, répond à nos questions.


- Comment se développe le marché des sociétés spécialisées en isolation acoustique des bâtiments ?

- Il y a quelques années, l’isolation acoustique des bâtiments était encore considérée au Maroc comme une nouvelle discipline. Ces deux dernières années, nous avons assisté à une augmentation importante et croissante de la demande. Je pense que le développement de ce marché au Maroc est surtout dû au niveau d’exigence des nouveaux acquéreurs de biens immobiliers. C’est d’autant plus valable pour le haut standing où les acquéreurs ont des attentes de plus en plus hautes, notamment en matière de confort acoustique.


- Qu’en est-il de la qualité de l’offre et des services ? Sont-ils à la hauteur de cette nouvelle demande ?

- L’isolation phonique, c’est des dizaines de produits différents qui sont pour chacun adapté à un usage bien spécifique. Il y a actuellement au Maroc une offre de produits qui est vraiment très large. Il y a beaucoup de sociétés qui - entre autres - vendent des solutions acoustiques. Mais, il existe encore très peu d’entreprises vraiment spécialisées dans ce domaine qui peuvent aider les clients à sélectionner les produits les mieux adaptés à leurs besoins tout en assurant un service de pose et d’installation dans les règles de l’art.


- Est-il possible de régler les défaillances acoustiques dans des bâtiments déjà construits ?

- Il est évident qu’une mauvaise isolation acoustique dans une habitation peut avoir des retombées néfastes sur la qualité de vie. C’est un état de fait qui est déplorable, car un investissement relativement faible au moment de la construction aurait pu éviter ces tracas et nuisances. Il existe bien sûr des solutions. Cela dit, le coût d’une bonne isolation acoustique au moment de la construction reste très insignifiant par rapport à l’investissement qu’il faut consentir pour rattraper les défaillances acoustiques après la fin des travaux.

 

Recueillis par O. A.
 








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