L'Opinion Maroc - Actuali
Consulter
GRATUITEMENT
notre journal
facebook
twitter
youtube
linkedin
instagram
search


Agora

Plaidoyer pour la langue Arabe classique


Rédigé par Ahmed KETTANI le Mardi 30 Novembre 2021



Un ami m’a demandé d’écrire un commentaire sur le livre de Fouad Laroui : Le drame linguistique des Marocains, publié en 2011. J’ai longtemps hésité avant d’entamer ce travail, car le livre est déjà ancien. Mais mon ami m’a convaincu que son ancienneté n’affecte pas les idées qu’il développe et ne saurait justifier la discrétion des lecteurs sur sa dévalorisation de la langue arabe classique.

C’est pour cela que je l’ai lu très attentivement. Et sans être un spécialiste de linguistique, et aimant la langue arabe classique je me suis permis de faire sur le contenu de ce livre les observations suivantes :
 
Je fus d’abord frappé par l’appellation du prophète de L’Islam par « Mahomet ». J’ai vite compris que l’auteur ne s’adresse pas au lecteur marocain qui appelle son prophète «   Mohammed », mais au lecteur français et généralement francophone non musulman.

J’ai remarqué également le nombre impressionnant des auteurs cités en référence pour appuyer ses idées : Sur 111 références 67 sont étrangères à la langue arabe classique. L’auteur s’appuie sur les positions de 65 d’entre elles qui sont négatives pour cette langue. Les deux autres références sont celles de Larousse et de Massignon qui sont plutôt favorables.

D’après Larousse « la langue arabe classique est non seulement le plus riche des idiomes sémitiques mais encore c’est l’une des langues les plus complètes du monde à tous les points de vue ».

L’auteur rejette en bloc ces appréciations.

Massignon, quant à lui, s’intéresse à la non voyelisation des textes de la langue arabe et estime que c’est une qualité parce que, dit-il, « elle incite le lecteur à penser ». Là encore, Laroui n’est pas d’accord, il estime que c’est plutôt un « handicap ». Il cristallise, d’ailleurs, son opinion sur cette absence des voyelles sur les textes arabes qui les rend, d’après lui, « très difficiles à lire ».

Il semble ignorer que cette voyelisation est d’abord obligatoire pour le cycle primaire et pour les débutants dans l’apprentissage de cette langue. Elle ne devient superflue que pour les initiés qui la maitrisent parfaitement. Par conséquent elle ne pourrait être un handicap et encore moins une raison, comme il le prétend, pour aiguillonner le lecteur vers d’autres langues « plus faciles ».

D’un autre côté, l’auteur ne se rend pas compte de certaines positions contradictoires : Apres avoir écrit (page 22) qu’aucune langue n’est meilleure qu’une autre, il écrit que « lorsque l’Arabe classique se trouve en concurrence avec le Français dès les premières années d’étude, la tentation est grande de concentrer ses efforts sur la langue qui se lit comme elle s’écrit ».

Mettez les voyelles aux enfants dès les premières années d’études et l’Arabe classique se lira aussi facilement que le Français. Mais le problème ne se limite pas là, c’est la qualité de l’enseignement, la formation, la motivation de l’enseignant  et le matériel pédagogique qu’on met à sa disposition dès l’école maternelle.

Quand ces conditions sont réunies pour une langue, l’enfant se penchera davantage vers elle. Malheureusement, ces conditions ne sont réunies que dans des écoles privées étrangères qui enseignent le Français comme langue principale et qui sont fréquentées par les enfants des familles aisées.

Par conséquent ce n’est pas un défaut de la langue arabe si certaines familles marocaines envoient leurs enfants de bas âge aux écoles maternelles et écoles primaires étrangères.

D’autre part, l’auteur ne cesse, le long de son ouvrage, de relever les « défauts » de la langue arabe classique. Je voudrais lui rappeler que toutes les langues présentent des difficultés. Ce ne sont, en définitive, que des créations humaines.

Je cite entre autres la langue française déjà citée par l’auteur : Pour un débutant la langue française n’est pas aussi simple que l’auteur le laisse croire. Ne serait-ce que pour ses six temps de conjugaison, son orthographe, et pour certaines de ses lettres qui ne se lisent pas comme elles s’écrivent.

C’est le cas de la lettre C qui se lit différemment selon qu’elle est accompagné de (a, o, u) ou de (y, e, i) ou avec l’article ç en bas, c’est le cas de la lettre x qui ne se prononce pas à la fin des mots ou se prononce S : Dix. C’est le cas de la lettre P qui se lit F quand elle est accompagnée de la lettre h : (Philosophie).

Il ne s’agit pas pour nous de dénigrer la langue française mais de montrer que chaque langue a ses difficultés.

Par ailleurs l’auteur se lance dans un certain nombre d’affirmations gratuites : L’Arabe classique, écrit-il, est « une langue figée, rigide, et non littéraire, », il écrit plus loin que c’est une langue « orale », sans apporter aucune justification à ses affirmations.

Il semble oublier que cette langue a dominé la  civilisation universelle pendant 7 siècles, du 7ème au 14ème, qu’elle a permis la traduction et la conservation des œuvres scientifiques et philosophiques grecques et leur transmission à l’Occident qui les ignorait jusqu’alors, qu’elle a été la langue écrite de Ibnou Rochd (AVEROES), de Ibnou Sina (Avicenne), de Ben khaldoun, historien, démographe et fondateur de la sociologie,  du grand voyageur Ibn Batouta, qu’elle est la langue du grand Sofi Ibn al Arabi, qu’elle est la langue des romans de Naguib Mahfoud,  Prix Nobel de littérature, qu’elle est la langue de Nizar Kabbani, dont les poèmes sont célèbres à travers tous les pays arabes. Et elle est d’abord et avant tout la langue du Coran, source spirituelle par excellence de deux milliards de Musulmans.

Il faut reconnaitre que l’importance d’une langue est liée au rôle de ses utilisateurs dans le monde. Quand les Arabes étaient des innovateurs dans tous les domaines, leur langue était la plus utilisée, ce n’est plus le cas depuis plusieurs siècles.

Cette question a échappé à M. Laroui qui s’est empressé de conclure qu’il faudrait remplacer l’Arabe classique par le dialectal en tant que langue nationale.

Il faudrait rappeler que ce sujet a été abordé par plusieurs pays arabes, notamment en Egypte, et qu’il a été abandonné.

Au Maroc les autorités coloniales, à la première moitié du 20ème siècle, avaient abordé le sujet. Le but politique de l’opération était clair : créer une scission entre le Maroc et les autres pays arabes. Ils ont réuni les professeurs français de linguistique, et après plusieurs mois ceux-ci ont conclu, avec l’objectivité des hommes de sciences, que l’Arabe dialectal ne pourrait jamais être érigée en langue nationale des Marocains.

Plusieurs décennies plus tard voilà que M. Ayouch, président d’une société de publicité, a adopté l’Arabe dialectal pour la diffusion de ses messages publicitaires.

Il faut remarquer que ces messages, même avec des voyelles, sont plus difficiles à lire et à comprendre que s’ils étaient écrits en Arabe classique.

M. Ayouch est allé même jusqu’à proposer au sein de la commission nationale de la réforme de l’enseignement que l’Arabe dialectal soit la langue nationale du Maroc.

Il a fallu un débat organisé à la chaine de télévision 2M, sur le sujet, entre lui et le Professeur Abdallah Laroui pour le faire revenir sur ses propos.

Enfin je profite de ce commentaire du livre de Fouad  Laroui  pour relever quelques erreurs dans le chapitre « Surabondance lexicale » p (46).

Le pluriel de bab en Arabe classique c’est abouab et non pas bibane qui est de l’Arabe dialectal. Sarāb n’a pas pour traduction en français : repaire, trou, tunnel, mais mirage (voir verset du Coran n° 39 sourat Annour).

Quanaâ n’a pas de correspondant en Français, mais le mot le plus proche est : contentement. Il n’est pas synonyme de Iqtinaâ qui veut dire conviction.

En conclusion s’il y a un drame linguistique, c’est bien celui du haut cadre marocain qui dévalorise la langue arabe classique, langue Nationale de son pays.  


Ahmed KETTANI